Liste 5 : Littérature française : Albert t’Serstevens


Voir aussi mon site  Voyage autour de ma Bibliothèque , Tome 1 :    Giono et Stendhal, Cendrars et ses amis  


N° 0521 A. t’Serstevens :  Reflets , édit. Self, Paris, 1945.

N° 0522 A. t’Serstevens :  Le Dieu qui danse , édit. Albin Michel, Paris, 1921. (Relié toile)

N° 2594 A. t’Serstevens :  Le Vagabond sentimental , édit. Albin Michel, Paris, (exemplaire numéroté), 1923. (Reliure demi-cuir, sur papier du Japon, ex. numéroté)

Ce sont là des livres à caractère plus ou moins auto-biographique. La famille de t'Serstevens était une grande famille de Bruxelles, son père était notaire, et le fameux t apostrophe a une explication historique. Ce t' aurait été attribué au XIVème siècle à 7 familles qui ont alors organisé la ville de Bruxelles. Ser signifie clan et Stevens correspond au nom d'Etienne (ou de Stéphane ?). La mère de t'Ser était française, même provençale, la fille d'un marchand de parapluies ambulant qui s'appelait Verdier et qui au cours de ses randonnées était arrivé à Bruxelles. Et c'est là que le digne et sévère notaire en tombe amoureux et l'épouse. Elle avait quinze ans. On voit que son fils Albert avait de qui tenir. Et on ne s'étonnera plus de voir que lui-même a épousé quatre femmes chacune étant plus jeune que la précédente.

 Le Vagabond Solitaire  est probablement son meilleur roman, très romantique, un peu fantastique et imprégné de l’amour du Sud. L’influence de sa mère qui était provençale a fini par prendre le dessus.


N° 0520 A. t’Serstevens :  Taïa , édit. Albin Michel, Paris, 1930. (Relié toile)

N° 2787 A. t’Serstevens :  La Grande Plantation, Roman tahitien , édit. Albin Michel, Paris, 1952. (Reliure d’éditeur cartonnée)

N° 0518 A. t’Serstevens :  Les Corsaires du Roi , édit. Arléa, Paris, 1988.

Son roman,  la Grande Plantation , n’est pas inintéressant du tout. Les Tahitiens sont croqués avec beaucoup de sympathie. Et l’on apprend que les Chinois ont été attirés en Polynésie Française au moment où quelques Américains et Français ont eu l’idée d’y cultiver du coton alors que celui-ci était devenu rare à cause de la Guerre de Sécession. Quant à son roman de flibuste, ou plutôt ses histoires de flibuste, savamment mises en scène comme les Contes de Canterbury, puisqu’elles sont racontées « lors d’un boucan de cochon le jour de la fête du Roy en 1705 » sur une plage des Antilles, il est tout ce qu’il y a de plus savoureux, aussi savoureux que la gastronomie flibuste de l’époque.


N° 3268 A. t’Serstevens :  Le Carton aux Estampes , G. & A. Mornay, Paris, 1922. (Illustrations de Louis Jou. Edit. originale, ex. numéroté n° 980 sur Papier de Rives)

(T'Serstevens raconte qu'il a trouvé un carton d'estampes dans la boutique du vieux Manassé rue de Buci. « 19 estampes, sans ordre ni chronologie, d’âges et de styles différents… Une main de notre époque avait écrit au verso de chaque gravure une sorte de commentaire… ». Et on y trouve vraiment de tout (probablement sortis de l’imagination fertile de t’Ser !) : Monsieur de Caylus, Machiavelli, la Reine Cléopâtre, Sainte Ursule, un bourreau italien et même un possible ancêtre de t’Ser, Simon t’Serstevens, libraire à Bruxelles, mort en 1653…)


N° 3599 Amandine Doré-t'Serstevens :  L'Homme au t apostrophe , édit. Durante, Courbevoie, 2002

Amandine était la compagne de t'Serstevens. Celui-ci, né en 1885, n'a rencontré Amandine qu'au cours des années 40, alors que celle-ci n'avait pas 20 ans. Et pourtant ce fut un grand amour qui dura jusqu'à sa mort en 1973. Et c'est avec elle qu'il appelait la petite-fille de Saint François, qui apprivoisait tous les animaux, même les plus féroces et les plus étranges, qui fut une dessinatrice merveilleuse (petite-nièce du grand Doré, m’apprend une internaute qui la connaissait) qu'il fit tous ces voyages et séjours en Polynésie et en Méditerranée.

On y apprend aussi que Ter s'est installé dans l'île St. Louis déjà en 1913 et qu'il n'en a plus jamais bougé. C'était au 19, Quai de Bourbon, l'ancien hôtel Jassaud construit en 1635. C'est là qu'il avait ses 6000 livres et c'est l'appartement qu'avait entrevu la sœur de Mme Samuelian de la regrettée Librairie Orientale de la rue Monsieur le Prince.

Amandine a illustré de ses charmants dessins la plupart des livres que t'Serstevens a publiés après les voyages faits en commun après la guerre : Polynésie (ils y ont séjourné trois ans), Espagne, Mexique, Sicile, Sardaigne, Iles Eoliennes, Grèce, Maroc, etc.  L'itinéraire espagnol  fait exception car c'est essentiellement une mise à jour d'un ouvrage déjà publié en 1933 chez Plon (t'Serstevens était passionné par l'Espagne, il y a fait de nombreux séjours avant la guerre et a été correspondant de guerre pour un quotidien parisien pendant la guerre civile).

Voir aussi mon site Voyage autour de ma Bibliothèque, Tome 1 : Albert t'Serstevens et Amandine Doré.


N° 1964-66 A. t’Serstevens :  Tahiti et sa couronne  (vol. 1  Tahiti - Moorea - Les Polynésiens , vol. 2  Marquises - Sous-le-Vent - Australes - Tuamotu , vol. 3  Photos d’illustration ), édit. Albin Michel, Paris, 1950-1952.

Dans son introduction au volume 3 t'Serstevens fait l'éloge de sa jeune compagne, de la supériorité du dessin sur la photo et regrette que l'éditeur n'ait pas pu reproduire les planches en couleur d'Amandine. « Ce que Redouté a fait pour les roses, elle l'a fait pour l'hibiscus, le pua, le tiare, le frangipanier et tant d'autres merveilles de cette flore excessive dont elle n'a abandonné que les parfums ».

N° 1962 A. t’Serstevens :  Le Périple des Archipels Grecs , édit. Arthaud, Paris, 1963.

(57 dessins au pinceau d'Amandine Doré.)

N° 1963 A. t’Serstevens :  Itinéraires de la Grèce Continentale , édit. 1961.

(17 dessins originaux d'Amandine Doré)

N° 1961 A. t’Serstevens :  Sicile - Iles Eoliennes - Sardaigne , édit. 1957.

(28 dessins originaux d'Amandine Doré)

N° 2278 A. t’Serstevens :  L’Itinéraire Marocain , édit. Arthaud, Paris, 1970.

(47 dessins et croquis)

C’est dans cet  Itinéraire marocain  que t’Serstevens écrit ceci : « Les plus belles comme en tous pays sont les moins de quinze ans… Aussi les épouse-t-on dès les douze ans car elles sont déjà pubères à cet âge, et parce que les Marocains ont le goût de la chair fraîche, en quoi je ne saurais les blâmer. ». Si les nouvelles Sorcières hystériques parisiennes découvrent ce texte c’en est fini de ce pauvre t’Serstevens et de toute sa production littéraire !


Le père Labat.

T’Serstevens était un grand érudit, un érudit classique, contrairement à son ami Cendrars, érudit aussi, mais qui était passionné par le monde moderne. Il s'était déjà attaqué à la traduction du  Prince  de Machiavel dès 1921. En 1927 il écrit un essai sur  René Caillé, découvreur de Tombouctou . Avant de s’attaquer au Père Labat, d’abord en préfaçant  la Comédie ecclésiastique - Voyages en Espagne et en Italie  de Labat en 1927, puis en réalisant l'édition de 1931 de Duchartre des  Voyages aux Isles de l'Amérique 

N° 2581 et 2582 R. P. Labat :  Voyages aux Isles de l'Amérique , deux volumes, Duchartre, Paris, 1931 (avec 32 illustrations d'après des documents de l'époque et avec un avant-propos de A. t'Serstevens, ainsi qu'une bibliographie annotée placée en annexe et non signée mais qui ne peut être que de t'Ser) (Reliés toile)

(C’est un travail extraordinaire et qui montre sa méthode et son érudition. T'Serstevens mentionne chaque coupure qu'il fait, p. ex. : (L'auteur fait ici la description de l'ananas) ou (L'auteur décrit le Fort St. Pierre). T'Ser a travaillé pendant près de dix ans sur le père Labat. Il dit que lorsqu'il a édité et préfacé ses  Voyages en Espagne et Italie , Labat était totalement oublié. En somme c'est t'Ser qui l'a fait redécouvrir, et sous sa véritable identité : un guerrier bien plus qu'un religieux, mais aussi « moine aventureux, savant naturaliste, ingénieur civil et militaire, aumônier de la flibuste, convertisseur énergique, administrateur à poigne, débrouillard et brouillon », et aussi intelligent, volontaire, méchant, bavard, gourmand, glorieux, un écrivain de génie qui malgré tous ses défauts « ne cesse jamais de nous être sympathique ». T'Ser connaît tout de lui, il a fouillé toutes les bibliothèques, tout lu. Et après avoir vécu avec le Père Labat pendant tant d'années, conclut sa préface en disant : « Pour moi, je dis adieu au plus cher de mes amis… » Et regrette : « Je ne vivrai plus avec lui dans une intimité jalouse… ». L’empathie !


N° 1132  Le Livre de Marco Polo ou le Devisement du Monde , mis en français moderne et commenté par A. t’Serstevens, édit. Club Français du Livre, Paris, 1953 (exemplaire numéroté).

N° 2148  Les Précurseurs de Marco Polo , textes traduits et commentés par A. t’Serstevens, édit. Arthaud pour la Sélection des Amis du Livre, Strasbourg, 1960 (broché, exemplaire numéroté).

Marco Polo.

T’Serstevens étudie les manuscrits du  Livre des Merveilles  pendant la guerre, alors qu’il ne peut de toute façon pas voyager. Comme on sait Marco Polo, après être revenu de Chine, avait fait la guerre avec les Vénitiens contre les Génois qui l’ont fait prisonnier, et il est resté dans leurs geôles pendant plus de trois ans (de 1296 à 1299). Et ce que beaucoup de gens ignorent sans doute c’est que ce fameux livre a été écrit en français, en français de l’époque bien sûr, une langue d’oïl en tout cas, par un Italien de Pise, nommé Rusta ou Rusticien, un lettré, qui avait lui-même beaucoup voyagé et avait réalisé une compilation des romans de la Table Ronde.

T’Serstevens dit avoir étudié lui-même, à l’Archivo General de Indias, à Séville, l’exemplaire du livre de Marco Polo annoté par Christophe Colomb. La plupart de ces notes marginales parlent d’or, d’argent, de perles, d’épices, de gain en somme (les Génois avaient la réputation d’être les plus cupides et les plus avares de tous les marchands italiens). Il y en avait 366, dit t’Serstevens. On peut donc dire que c’est grâce au livre de Marco Polo que l’Amérique a été découverte !

Bizarrement le  Livre de Marco Polo  n’a été pris au sérieux qu’au XVème siècle, malgré une très grande diffusion du manuscrit chez tous les lettrés des couvents. Les précurseurs de Marco Polo présentés par t’Serstevens : un Arabe du IXème siècle et deux Franciscains du XIIIème ne semblent pas connus non plus par les cartographes de l’époque (il faut dire que t’Serstevens avait une collection très complète de cartes de l’époque probablement achetées chez Chadenat). Le premier manuscrit édité et annoté par t’Serstevens est ce que l’on appelait le  Livre des deux Mahométans  : en fait  le Livre de Soleyman , chronique de marchand écrit en 851, et  le Livre d’Abou-Zeid , commentaire du premier par un érudit contemporain qui le complète par des renseignements recueillis auprès d’autres voyageurs. T’Serstevens s’était servi d’une traduction faite au XIXème siècle (par Reinaud) et d’une plus récente : Ferrand - 1922. Il se trouve que je dispose d’une édition bilingue du texte de Soleyman faite par Jean Sauvaget, Professeur au Collège de France, en 1948 (voir n° 2590   Relation de la Chine et de l’Inde, rédigée en 851  , texte établi, traduit et commenté par Jean Sauvaget, édit. Société d’Edition des Belles Lettres, Paris, 1948).

Les deux autres textes présentés et traduits (du latin) par t’Serstevens lui-même concernent l’un  le Voyage de Jean du Plan de Carpin , un Italien, disciple de Saint François d’Assise, parti en 1245 et revenu en Europe en 1247 (il avait été envoyé par le Pape Innocent IV), et l’autre celui de  Guillaume de Rubruk , un Franciscain lui aussi, probablement Flamand, parti en 1253 et envoyé par notre roi Saint Louis.


N° 2919 A. t’Serstevens :  La légende de Don Juan , édit. Jean Gonet, Paris, 1946 (exemplaire dédicacé par l’auteur au poète Frédéric Lefèvre). (Orné par Louis Ferrand)

Pour une fois l’ami t’Serstevens me déçoit un peu. Ce n’est qu’une oeuvre de fiction, une de plus, sur ce curieux personnage. Non, ce qui m’intéresse chez Don Juan, c’est cette double nature de séducteur et de damné. Séduire ne lui suffit pas. Il faut qu’il souille, qu’il trompe, qu’il se damne. Il ne respecte ni père, ni roi, ni Commandeur de Pierre. Au fond c’est un génie du mal. Et ceci aussi bien chez le créateur du mythe, Tirso de Molina, que chez Molière et que chez Mozart et son librettiste Lorenzo da Ponte. Georges Haldas et José Herrera Petere qui commentent le théâtre de Tirso de Molina citent un certain Maragnon qui semble avoir bien étudié le phénomène du donjuanisme. Il pense que le type du Don Juan n’est pas une création espagnole. « Son attitude devant l’amour témoigne d’un instinct indécis et ne répond pas à l’idée d’un modèle de virilité. » C’est l’Italie où règne le cynisme de la Renaissance qui est à l’origine du modèle. Mais comme c’est l’Espagne qui met en scène la légende, « elle apparut mêlée à des éléments religieux et funèbres typiquement ibériques, qui furent la cause immédiate de son succès et de sa diffusion. » C’est un peu ce qu’écrit t’Serstevens dans son introduction. La Religion Chrétienne, toute-puissante dans l’Espagne du siècle d’or, interdisait l’oeuvre de chair en-dehors du mariage. L’homme qui s’insurge contre cette loi, qui proclame les droits de son désir malgré le Ciel et malgré l’Enfer, devient rebelle dans le monde et rebelle à Dieu. Il se complaît dans le péché, il aime le goût du péché dans l’amour. Il fallait être espagnol pour cela. Casanova ne l’était pas.