6) n° 0006 et 0007 Werke von Abraham a Sancta Clara, édités par l'Académie des Sciences de Vienne chez Adolf Holzhausen Nachfolger à Vienne en 1943 et 44 sous l'égide du Reichsstatthalter Baldur von Schirach (manuscrits de la période 1670 - 1682 pour le 1er volume et de la période 1683 - 1706 pour le 2ème volume. Je ne dispose pas du 3ème volume)
De son vrai nom Ulrich Megerle, Abraham a Sancta Clara est né le 02 juin 1644 à Kreenheinstetten près de Messkirch en pays de Bade. Entré en 1662 dans le couvent des Augustins aux pieds nus (Barfüsser-Augustiner) de Maria Brunn près de Vienne, il prend le nom de Abraham a Sancta Clara. Après avoir vécu sept ans à Graz il commence sa carrière de prédicateur à la chaire de l’église des Augustins de Vienne en 1669 et la continue sans interruption jusqu’à sa mort le 1er décembre 1709. En plus de ses sermons il a publié plusieurs ouvrages dont le principal est : Judas der Erzschelm (Judas, l’infâme), publié entre 1686 et 1695. Au moment où les Turcs menacent Vienne (1683) il publie : Auf, auf ihr Christen ! (Levez-vous ô Chrétiens). Cet écrit a servi de base à la Kapuzinerpredigt (le sermon du Capucin) inclus dans la pièce Wallensteins Lager de Schiller (j’en parle encore à propos de la guerre de trente ans dans la troisième partie de mon Voyage : notes de lecture 12 (suite) Eléments d’histoire alsacienne). D’après l’histoire de la littérature allemande de Koenig (Deutsche Literaturgeschichte von Robert Koenig, éditions Velhagen und Klasing, Bielefeld/Leipzig, 1906) le poète souabe Uhland aurait utilisé le même matériau pour son poème Schwäbische Kunde (cela ne me paraît pas évident, le poème en question ne relatant que la rencontre d’un super-héros souabe avec un détachement de 50 Turcs où le héros s’en sort en coupant un Turc en deux d’un seul coup d’épée! Les Souabes ont la réputation d’être les Gascons de l’Allemagne).
On peut trouver plus de détails sur la biographie d’Abraham a Sancta Clara sur les sites de wikipedia ou du projet Gutenberg.
Le livre qui se trouve dans ma bibliothèque est, comme je l'ai raconté, un cadeau du curé Oberlechner. Il s'agit d’une publication savante, réalisée pendant la guerre, de 88 sermons de ce prédicateur, édités à partir de manuscrits conservés à la Bibliothèque Nationale de Vienne (découverts en 1926). C’est un spécialiste d’Abraham a Sancta Clara, Karl Bertsche, qui a reconstruit ces textes, dans leur forme la plus authentique possible, avec l’aide de graphologues, les a datés, commentés et annotés. Ces 88 sermons vont de 1670 à 1707 et remplissent 872 pages. Le travail avait été confiée à l’Académie des Sciences de Vienne (sur sa proposition) par le Gouverneur de l’Autriche de l’époque, Baldur von Schirach.
On peut se demander pourquoi le nazi Baldur von Schirach qui a été le promoteur de la Hitlerjugend avant d’être nommé Gouverneur de l’Autriche (Reichsstatthalter) par Hitler (et donc responsable de la déportation et de l’extermination des juifs autrichiens) a jugé bon d’éditer ces sermons. Etait-ce-ce pour montrer que l’Autriche, par sa culture, faisait partie intégrante du Reich ou était-ce parce que Abraham a Sancta Clara avait inclus dans ses sermons des tirades antisémites? C’est cette dernière thèse qui a été défendue dernièrement dans des articles sur le nazisme par un avocat de Luxembourg, Maître Vogel.
En fait je crois que cette thèse a pour origine les études récentes qui ont été publiées à propos du philosophe Heidegger à qui beaucoup d’intellectuels reprochent ses sympathies pour le nazisme. Or Heidegger est lui-même né à Messkirch, dans une ville toute proche du lieu de naissance d’Abraham a Sancta Clara et il a eu beaucoup de considération pour le prédicateur. Et c’est dans le livre récemment publié par le Chilien Victor Farias (voir Victor Farias : Heidegger et le nazisme, éditions Verdier, Paris) que l’on trouve, paraît-il, cette citation d'Abraham a Sancta Clara : « Ce maudit scélérat doit être pourchassé partout où il ira… A cause de ce qu’ils ont fait à Jésus, les narines de leurs enfants mâles s’emplissent de vers chaque vendredi saint, ils naissent avec des dents de porc… Hormis Satan, les hommes n’ont pas plus grand ennemi que le Juif… Pour leurs croyances, ils méritent non seulement la potence mais aussi le bûcher.»
Farias semble également reprocher à Abraham a Sancta Clara la façon dont il invective le Turc : « un véritable Antéchrist, un tigre enragé et déchaîné, un tyran, le contraire d’un homme ». Là je crois qu’il faut quand même raison garder. Le Turc était l’ennemi. Toute l’Europe en avait peur. Cette phrase est extraite d’un appel à la résistance. Est-ce que la Kapuzinerpredigt de Schiller est moins virulente ?
Pour en revenir à l’accusation d’antisémitisme je me suis donné la peine de parcourir l’ensemble des 88 sermons dont je dispose, soit, je le rappelle, 872 pages, ce qui est d’autant plus méritoire qu’ils sont écrits en vieil allemand du XVIIème et même en vieux souabe ! Et je n’ai rien trouvé. Lorsqu’il décrit l’arrestation du Christ il parle des juifs et des rabbins qui le frappent, mais il ne fait que rapporter ce qu’en disent les Evangiles de Marc et de Mathieu. Et lorsqu’il se demande pourquoi Dieu s’est fait homme en Palestine et non en Occident ou même en Autriche, il plaisante : Il l’a fait naître parmi les juifs parce qu’Il savait bien qu’ils s’entêteraient à ne pas vouloir le croire. Et s’Il l’avait fait naître à Vienne, les Viennois, considérant Dieu comme un compatriote, immanquablement, se laisseraient aller au péché, certains que leur compatriote leur pardonnerait...
Alors je veux bien croire que Farias n’a pas inventé sa citation, mais de là à prétendre, comme le fait Robert Maggiori sur le site www.caute.lautre.net, que les diatribes du prédicateur ont deux thèmes principaux : les Turcs et les Juifs, archétypes du Mal, il me semble que c’est un peu gros !
Entendons-nous bien : je n’ai aucune indulgence pour Heidegger, un philosophe, recteur d’université, vivant au XXème siècle et qui sympathise avec les idées racistes des nazis. Non, cet homme n’a aucune excuse. Abraham a Sancta Clara a vécu à la fin du XVIIème. Il vit littéralement dans l’Ancien Testament. Il ne peut avoir que du respect pour les Hébreux. Mais il en veut aux Juifs de l'époque parce qu’ils n’ont pas reconnu celui que lui-même considère comme étant le vrai Dieu. Si haine il y a elle n’est pas raciste comme celle des nazis, elle est religieuse. S’il est coupable, toute l’Eglise l’est tout autant.
Moi j’ai trouvé dans ces sermons beaucoup d’humanité, les thèmes sont toujours religieux ou moraux (on traite de la paresse, de l’avarice, du couple, etc., on console les veuves, les mères qui ont perdu leur enfant, etc., on critique souvent ceux qui nous gouvernent : « chez eux la distance du cœur jusqu’à leur langue est plus grande que celle qui va de Strasbourg à Nuremberg »). Je suis étonné par l’érudition du personnage : en plus de l’Ancien et du Nouveau Testament tous les anciens auteurs grecs et latins y passent, il est aussi à l’aise dans l’histoire de Rome que dans celle des Hébreux, il cite même l’anecdote du prophète Mahomet qui, pour ne pas déranger son chat qui dort, découpe son manteau ! Mais on y trouve aussi une multitude d’anecdotes, de fables, de paraboles et d’histoires de paysans ou de gens du peuple. Et toujours beaucoup d’humour. Du sarcasme aussi. Et puis quelle joie exubérante dans le maniement du verbe ! Il joue de l’allitération, de la répétition, du rythme. Il s’enivre. Il faut le citer en allemand : ainsi quand il parle de l’argent :
« Was ist das ? Es ist ein Köder, an welches ein Jeder will beissen, es ist ein’ Feder, mit welcher ein Jeder will schreiben, es ist ein Tisch, bei dem ein Jeder will sitzen, es ist ein Fisch, den ein Jeder will fangen, es ist ein Bach, in dem sich ein Jeder will baden, es ist ein Dach, under dem ein Jeder will wohnen, es ist ein Glocken, die ein Jeder will laüten, es ist ein Brocken, den ein Jeder will schlucken, es ist ein Buch, in dem ein Jeder will lesen, es ist ein Tuch, in dem ein Jeder will brangen (?), es ist eine Mühl, in der ein Jeder will mühlen, es ist ein Ziel, wohin ein Jeder will laufen, es ist eine Weid’, wo ein Jeder will grasen, es ist ein Kleid, das ein Jeder will tragen. Was muss denn das Ding sein ? »
« In der Stärke ist ihm nichts gleich in der Welt. Samson hat viel gerichtet, Gideon…, David…, Joab…, Jahel…, etc., aber nicht so viel, als dieses Ding. Was muss es doch sein ? »
« Es schlagt alles, es jagt alles, es trutzt alles, es stutzt alles, es treibt alles, es reibt alles, es findet alles, es überwindet alles. Was muss es doch sein ? Gelt, es errats niemand ? Es ist schon erraten : Geld ist es. Das Geld will ein Jeder, das Geld ist das allerstärkste in der Welt, welches der Ecclesiast selbst bezeugt : pecuniae obediant omnes… »
Abraham a Sancta Clara, lit-on dans l’introduction de mon livre de sermons, est le plus éloquent des prédicateurs de langue allemande depuis Luther. Cela me fait penser à quelque chose : Luther, lui aussi, a lancé des imprécations contre les Juifs (Des Juifs et de leurs mensonges – Sur Chem Hamphoras). Alors tous ceux qui aiment Luther et qui suivent son enseignement sont-ils des antisémites et des nazis?
(2000/2006)