(La première partie de cette note (Hang Tuah) a paru sous le titre : Pages retrouvées : La traduction de Hikayat Hang Tuah par Hans Overbeck dans la Revue Le Banian, N° 13 de juin 2012, de l'Association franco-indonésienne Pasar Malam.)
Je trouve ce personnage tout à fait fascinant. Un commerçant hanséatique qui se passionne pour la culture et l’ancienne littérature malaises. A un point tel qu’il en devient érudit. Hans Overbeck est né à Brème en 1882. A l’âge de 22 ans il part pour l’Asie du Sud-Est, s’installe d’abord à Singapour où il travaille pour une Maison d’Export de Hambourg, couvre ce que l’on appelait à l’époque l’Insulinde et les Philippines, court les marchés, achète les vieux manuscrits, fréquente musées et archives, apprend le malais et le javanais et puis… ses études sont interrompues une première fois par la guerre de 14 : il est interné par les Anglais à Singapour puis envoyé dans un camp dans le New South Wales au fin fond de l’Australie.
Le prisonnier N° 4981 du camp australien (photo trouvée par l'entomologiste australien Robert Taylor - source Rüdiger Siebert)
Après la guerre il travaille pour une autre firme allemande installée à Singapour mais lui-même réside aux Indes néerlandaises, à Batavia, Semarang, Surabaya, puis prend sa retraite en 1932 à Jogjakarta, tout près du Kraton, le Palais du Sultan de Java. Pendant tout ce temps il continue ses études (il va même devenir un expert dans un autre domaine : les insectes, une passion qu’il a prise dans son camp australien, et va correspondre régulièrement avec le Directeur du Musée zoologique de Dresde), entreprend la traduction en allemand de nombreuses œuvres de la littérature malaise (chroniques, épopées, contes populaires, les contes du kancil, le cerf-nain, espèce de Roman du Renart malais), puis contribue aux publications littéraires de l’époque par un nombre considérable d’articles (90 dit-on) écrits en anglais ou néerlandais et commence à collectionner non seulement des pantouns de diverses origines mais aussi des comptines et chansons enfantines qu’il va publier en néerlandais. Mais le sort va le frapper une deuxième fois : les Nazis envahissent la Hollande et les Hollandais emprisonnent l’Allemand Overbeck, puis l’envoient dans un camp en Inde chez les Anglais. Et le bateau qui l’emmène, attaqué par les avions japonais, sombre en janvier 1942, avec presque tous ses prisonniers allemands, au large de la côte occidentale de Sumatra.
Moi j’ai découvert le nom de Hans Overbeck il y a plus de vingt ans déjà : en fouillant dans les rayons d’un libraire antiquaire de Trèves je trouve deux tomes aux couvertures merveilleusement décorées de motifs de batik et intitulés : Malaiische Weisheit und Geschichte (Sagesse et Histoire malaises) et Malaiische Erzählungen (Histoires malaises).
Le premier comprenait une Introduction à la Littérature malaise et la Chronique des Malais (Sejarah Malayu) ainsi que la Couronne de tous les Princes (Makota Segala Raja) et le deuxième, entre autres, les Contes du Cerf-nain. La première phrase de son Introduction à la Littérature malaise est devenue fameuse : la littérature malaise est morte. En disant cela, dit le Professeur Ulrich Kratz, Overbeck était parfaitement conscient du renouveau en cours dans ce domaine à son époque mais était inquiet pour ce qui devait être la base de ce renouveau, inquiet de l’affaiblissement de la culture et du mode de vie malais traditionnels auquel il assistait dans la vie de tous les jours (voir E. U. Kratz : The Malay Studies of Hans Overbeck, Indonesia Circle, School of Oriental and African Sudies, Londres, 1979). Ses deux livres de traduction avaient été publiés en 1925/27 par l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna. L’éditeur annonçait en même temps un troisième volume consacré à la poésie populaire dont le Ramayana indonésien (Seri Rama) et les pantouns.
Quand je me suis intéressé plus tard aux pantouns après avoir lu les ouvrages que François-René Daillie et Georges Voisset y ont consacrés j’ai longtemps cherché ce volume mythique. Sans succès. Aujourd’hui je sais qu’il n’a jamais été publié. Pourquoi ? Mystère. Pourtant Paul Hambruch qui introduit au nom de l’éditeur le premier des tomes en date du 12 juillet 1927 parle de ce troisième tome comme s’il était déjà prêt à être publié (bizarrement le tome 2 a été publié en premier en 1925, le 1er tome, d’abord annoncé pour le printemps 1926, a paru en 1927 et ce fameux 3ème tome, annoncé d’abord pour l’automne 1926, puis pour 1928, n’a donc jamais paru). Or Hans Overbeck avait publié en 1922 déjà un texte sur le pantoun qui fait encore autorité aujourd’hui dans le Journal of the Straits Branch of the Royal Asiatic Society (The Malay Pantun). J’émets une hypothèse – elle vaut ce qu’elle vaut – en me demandant si Overbeck n’a pas voulu prendre ses distances avec l’éditeur Eugen Diederichs. Le journaliste et écrivain allemand Rüdiger Siebert, spécialiste de l’Indonésie, qui a collecté les biographies de dix Allemands qui ont laissé leurs traces dans ce pays, dont celle de Hans Overbeck, écrit que celui-ci a vite pris ses distances avec le régime nazi (voir Rüdiger Siebert : Deutsche Spuren in Indonesien, édit. Horlemann, Bad Honnef, 2002). Or Eugen Diederichs a été un des piliers de ce que l’on a appelé le mouvement völkisch et est passé tout naturellement de ce courant de pensée au nazisme. On commence par s’enthousiasmer pour « l’âme du peuple », puis sur ses liens avec la terre, le sang, la race, et l’exclusion et l’antisémitisme ne sont pas loin. Quelqu’un a dit : le mouvement völkisch était la transition tragique entre le romantisme allemand et le national-socialisme. Hans Overbeck était d’ailleurs lui-même un peu imprégné de cette idée que les Romantiques allemands avaient mise en avant : que l’âme du peuple était enfouie dans ces contes, ces légendes et ces anciennes chansons populaires qu’ils allaient collecter au cours du XIXème siècle. C’est ainsi que Overbeck, après avoir traduit en allemand les grands récits épiques malais, va se consacrer aux contes populaires (comme le kancil), à la poésie populaire (comme le pantoun) et aux comptines et chansons enfantines. Et quand il lance son fameux cri : la littérature malaise est morte ! il faut d’abord le prendre pour un cri d’alarme car dans son esprit, avec la disparition (ou disons l’affaiblissement) de la culture traditionnelle et de la littérature qui la représentait c’était « l’âme du peuple » qui risquait de mourir !
Le Hikayat Hang Tuah
Ce n’est que récemment que j’ai découvert que Overbeck avait déjà publié quelques années auparavant, en 1922, une très belle traduction, dans un style très poétique, du Hikayat Hang Tuah, l’histoire du preux mythique du Royaume de Malacca, Hang Tuah. Traduction entreprise pendant ses cinq années d’emprisonnement à Singapour et en Australie qui n’ont donc pas été entièrement perdues. Voir : Hikayat Hang Tuah, die Geschichte von Hang Tuah, von dem Malayischen übersetzt von H. Overbeck, édit. Georg Müller, Munich, 1922 (deux tomes, 650 pages). « La seule traduction complète qui existe du plus célèbre des hikayat malais », dit Henri Chambert-Loir dans la Bibliographie de la littérature malaise en traduction qu’il publie en 1975 (Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient). Ce n’est que récemment que ce Hikayat a été traduit d’abord en russe (1984), puis, enfin, en anglais (voir: The Epic of Hang Tuah, traduction Muhammad Haji Salleh, édit. Institut Terjemahan Negara Malaysia Berhad, Kuala Lumpur, 2010). Or voilà ce que dit celui qui a entrepris cette dernière traduction, Muhammad Haji Salleh, dans un article paru en novembre 2006 dans la Revue Indonesia and the Malay World : Si, parmi toutes les grandes œuvres littéraires malaises, la Couronne des Princes et la Chronique des Malais sont celles qui témoignent le mieux de l’histoire des Malais de la péninsule, le Hikayat Hang Tuah, lui, démontre quelles étaient leurs valeurs chevaleresques. Les Malais, dit-il, considèrent cette œuvre comme essentielle. Elle est l’une des plus longues et des plus riches sur le plan de l’imagination. Tout en rappelant les faits d’armes de l’ancien Royaume de Malacca elle se focalise sur un ancien héros culturel. « On y expose la conduite exemplaire d’un chevalier légendaire et, ce faisant, on définit ce qu’était le code de loyauté et de courage de ces guerriers totalement dévoués à leur Seigneur ». Voir Muhammad Haji Salleh : A Malay Knight speaks the white man’s tongue : Notes on translating the Hikayat Hang Tuah, Indonesia and the Malay World, 2006. Il est donc tout à fait étonnant que l’on ait autant tardé à traduire cette œuvre en anglais et on ne peut que saluer la clairvoyance de Hans Overbeck qui a fait le choix de commencer ses traductions par l’histoire de ce Hang Tuah.
J’ai lu beaucoup de romans de chevalerie et d’épopées originaires des quatre coins du monde et j’y ai toujours trouvé pas mal de ressemblances entre leurs héros. Tous glorifient le courage du guerrier (ou sa ruse, surtout chez les Chinois), souvent aussi sa dévotion à un Seigneur, le respect de son adversaire et la fidélité à l’ami. Et il en est de même du monde que décrit le Hikayat Hang Tuah. C’était le monde d’avant. Avant les guerres modernes et les tueries de masse. Muhammad Haji Salleh trouve que le code du guerrier malais, du « hulubalang » est plus proche du bushido, le code des Samouraïs que de celui des Chevaliers de la Table ronde. Moi, ce somptueux guerrier de Hang Tuah m’a fait penser plutôt au pahlavan Rostam du Livre des Rois de Ferdousi qu’aux samouraïs dévoués jusqu’à la mort à leur Seigneur. Car si la dévotion du guerrier à son Roi pourrait s’expliquer dans le contexte malais par l’origine divine de ce dernier (c’est un devara), sans compter qu’il est du sang d’Alexandre, il n’empêche que le Roi a aussi certaines obligations, de justice en particulier, qu’explicite la très belle Couronne des Princes. Est-ce à dire que dans certains cas d’injustice notoire ses subordonnés ont le droit de refuser d’obéir ? On y reviendra plus loin. J’ai en tout cas trouvé un exemple d’une telle « désobéissance civique » dans la Chronique des Malais : quand le jeune fils du Sultan Mansour Shah que son père a désigné pour lui succéder, tue le fils d’un des Nobles du Palais, ceux-ci refusent d’obéir au futur souverain et le Sultan est obligé de l’envoyer régner ailleurs. Ainsi quand, dans le Hikayat Hang Tuah, le Souverain de Malacca écoute une fois de plus les calomnies de ses Nobles, jaloux de Hang Tuah, et condamne celui-ci à mort pour la deuxième fois, le fier guerrier accepte son sort tout en faisant éclater sa colère. Voici la scène : le Grand Vizir annonce à Hang Tuah que le Roi lui a commandé de le mettre à mort. Tuah répond d’abord sur un ton méprisant : « bah, que signifie cela ? Le Tuah ne commet pas de traîtrise envers son Seigneur mais mon corps et mon âme sont à lui ». Et quand le Grand Vizir lui dit qu’il refuse d’exécuter l’ordre du Roi, Hang Tuah lui demande de ne pas se sacrifier lui-même et répète encore une fois : « Pour ce qui est de ma vie, je la donne au Roi d’un cœur joyeux ». Mais, en même temps, continue l’histoire, la colère sauvage de Hang Tuah secoue tout le grand hall d’audience du Grand Vizir comme sous l’effet d’une tempête et tous les assistants sont saisis de peur et d’effroi. De même dans le Livre des Rois quand Rostam, le fidèle entre les fidèles, est humilié par le Roi Key Kâvous, il explose: « Je suis le vainqueur des lions, le distributeur des couronnes. Quand je suis en colère, que devient Kâvous ? C’est Dieu qui m’a donné la force et la victoire et non pas le roi et son armée. Le monde est mon esclave et Rakhsh mon trône ; mon épée est mon sceau, mon casque est mon diadème; le fer de ma lance et ma massue sont mes amies ; mes deux bras et mon coeur me tiennent lieu de roi. J’illumine la nuit sombre avec mon épée ; je fais voler les têtes sur le champ de bataille. Je suis né libre et ne suis pas esclave, je ne suis le serviteur que de Dieu » (traduction Jules Mohl).
Il y a une autre très belle scène dans Hang Tuah qui me fait penser également à d’autres récits épiques, à d’autres combats singuliers entre guerriers qui se respectent, des combats d’autant plus dramatiques quand les protagonistes sont d’anciens amis (comme ce combat, conté par une ancienne Chanson de geste germanique, le Walthari-Lied, entre deux anciens otages d’Etzel, Roi des Huns, Walter, fils du Roi des Wisigoths, et Hagen, fils du Roi des Burgondes de Worms, et qui se déroule sur le Wasigenstein, un plateau rocheux de mes Vosges natales). Dès sa jeunesse, son enfance même, Tuah avait formé une bande avec quatre amis, tous aussi courageux et tous unis comme les doigts d’une main, des amis qui l’accompagnent tout au long de sa vie de guerrier. Or l’un d’eux, Hang Jebat, après la condamnation à mort de Hang Tuah, et alors que tout le monde croit celui-ci mort (mais le grand-vizir l’avait épargné et lui avait demandé de rester caché dans la forêt), devient son successeur mais se rebelle contre son Roi en tyrannisant ses Nobles, séduisant leurs femmes et organisant des orgies dans le Palais. Le Roi fuit le Palais avec sa suite, se lamente, personne n’ose se battre contre Hang Jebat jusqu’à ce que le grand-vizir avoue que Hang Tuah n’est pas mort. Celui-ci revient. Et alors s’engage un combat somptueux entre les deux amis qui se respectent, s’aiment encore et ceci d’autant plus que Hang Tuah se rend compte que les crimes commis par Hang Jebat n’avaient d’autre but que de venger l’injustice commise par le Roi à son égard. J’aurais certainement trouvé un stratagème pour t’épargner, lui dit Hang Tuah, mais hélas, ton crime est trop grand. Je suis obligé de te tuer. Et ils pleurent tous les deux. Après un long combat artistiquement rendu (très visuel, « cinématographique », dirait-on aujourd’hui) Hang Tuah arrive à transpercer le corps de son ami de part en part avec son kriss puis rentre chez lui et reste assis dans un coin sans bouger et sans manger pendant trois jours. Pendant ce temps Hang Jebat avait réussi à bander de manière très serrée sa blessure et avait parcouru la ville dans une crise de folie amok tuant tous ceux qu’il rencontrait. Quand Hang Tuah sort enfin de sa prostration les deux se rencontrent et se regardent. Hang Jebat s’approche : je veux mourir maintenant, dit-il. Hang Tuah l’emmène chez lui, le couche et quand Hang Jebah lui demande : ma maîtresse est enceinte de sept mois, si elle met un fils au monde, prends soin de lui, Hang Tuah le lui promet. Alors Hang Jebah enlève son bandeau, le sang jaillit et il meurt enfin.
On voit toute la différence entre le Hikayat Hang Tuah et la Chronique des Malais quand on compare la relation de ces scènes dans les deux textes. Dans la Chronique des Malais (du moins dans la traduction d’Overbeck, mais il l’a peut-être écourtée) la calomnie de Hang Tuah et sa condamnation à mort sont expédiées en deux phrases comme s’il s’agissait d’une affaire sans importance. Quant à la relation de la rébellion de l’un des membres de la bande des cinq (ici il s’agit de Hang Kasturi et non de Hang Jebat) et du combat entre les deux preux elle est loin d’être aussi chevaleresque que dans le Hikayat. Hang Kasturi est un monstre : il a assassiné sa maîtresse, l’a défigurée et dénudée, et Hang Tuah gagne son combat par la ruse.
Le Hikayat Hang Tuah n’est pas seulement une épopée guerrière. C’est aussi, dans une certaine mesure, un roman historique. D’ailleurs Romain Bertrand, Directeur au CERI-Sciences Po et grand spécialiste de l’Indonésie, qui vient de publier une amusante histoire parallèle – il l’appelle « symétrique » – de la rencontre à la fin du XVIème siècle entre Portugais et Hollandais d’une part et Malais et Javanais de l’autre, s’appuie sur le Hang Tuah pour raconter par quelle ruse les Portugais se sont emparés de Malacca (voir Romain Bertrand : L’Histoire à parts égales, édit Seuil, septembre 2011). Cette histoire se trouve à la fin du Hikayat : les Portugais, après de multiples tentatives, arrivent enfin, en offrant une grande quantité d’or au Roi (son père avait renoncé au trône pour se faire ermite), à s’installer sur la terre ferme, remplissent leur bâtisse d’armes et de munitions et une nuit bombardent la ville avant que leurs renforts remontent l’embouchure et finalement, après de violents combats, prennent Malacca. J’avais d’ailleurs été étonné de constater qu’à la fin du roman aussi bien le vieux souverain que Hang Tuah abandonnent tout pour aller vivre en saints reclus dans la forêt. Je pensais qu’il y avait là peut-être des réminiscences indiennes mais Bertrand affirme qu’il s’agit d’influences soufies originaires du Moyen-Orient.
Le Hikayat débute avec la création de Malacca puis une grande partie du roman traite des guerres entre Malacca et l’Empire javanais de Majapahit (Menjapahit dans la traduction Overbeck). Pas étonnant que l’histoire donne le mauvais rôle aux Javanais qui sont toujours perfides (surtout le grand-vizir de Majapahit, Patih Gajah Mada, qui ne cesse de comploter pour faire assassiner Hang Tuah) et les Malais qui, eux, sont simplement rusés ! Mais ce sont justement ces complots qui nous valent des combats somptueux qui m’ont fait penser aux héros de nos sagas islandaises car on se combat souvent sans faire de grandes phrases et avec un complet mépris de la douleur (et de la mort). Comme ce combat entre Hang Tuah et un guerrier du Majapahit, Sang Winara, aux pouvoirs magiques : « Sang Winara cherche à transpercer Hang Tuah de son kriss mais le rate. Alors Hang Tuah se jette sur lui et lui tranche l’épaule droite. Sang Winara prend son kriss dans sa main gauche et cherche encore à atteindre Hang Tuah mais celui-ci saute à droite, à gauche et évite ses coups. Puis Hang Tuah frappe à nouveau et tranche l’autre épaule de Sang Winara qui reste debout, là, comme un arbre sans branches… »
Hang Tuah, aussi, se sert quelques fois de pouvoirs magiques. Il a des pierres magiques et des livres de divination. Et quand il est chargé, comme Tristan pour le roi Marc, à aller quérir celle dont le souverain de Malacca est tombé amoureux, la belle et rebelle Tun Teja, la fille du grand-vizir d’Indrapura, Hang Tuah va la rendre amoureuse de lui-même par une opération magique sur le siège où elle a l’habitude de s’asseoir. Alors elle accepte de se laisser enlever par lui et on se dit qu’on va assister à un drame comme celui de Tristan et Yseut. Et, effectivement, arrivée à Malacca, la belle Tun Teja ne veut épouser que Hang Tuah et non le Roi de Malacca. Mais Hang Tuah va utiliser à nouveau sa magie et, cette fois-ci, inspirer de la « haine » à Tun Teja. Haine toute relative car Tun Teja, une fois mariée au Roi, n’entreprend aucune action hostile contre notre héros qu’elle ne cesse d’admirer.
Très tôt dans l’histoire de Hang Tuah celui-ci obtient le titre de Laksamana. J’avais d’abord l’impression qu’il s’agissait là d’un titre guerrier, de chef militaire (Overbeck dit que c’était le nom d’un frère, guerrier particulièrement valeureux, de Rama), mais en réalité ce nom signifie amiral et, effectivement, on voit Hang Tuah, dans la suite du roman, mener de nombreux combats navals et conduire les flottes de Malacca vers toutes les grandes destinations du monde (oriental) connu de l’époque : Inde, Siam, Chine, Ceylan, Arabie, etc. Dans son livre Romain Bertrand reproduit une carte des voyages réels ou imaginaires de Hang Tuah (carte reprise de Denys Lombard : Le Carrefour javanais – Essai d’histoire globale, édit. EHESS, Paris, 1990). Les descriptions des endroits rencontrés au cours de ces voyages, ports, villes, palais, etc. sont toujours magnifiques (et Hang Tuah, parfait polyglotte, s’entretient avec tous les Souverains dans leur propre langue). Mais aucune de ces descriptions n’atteint l’imagination débridée avec laquelle est peinte la ville d’Istanbul (Byzance, écrit Overbeck). Une description empreinte d’une poésie somptueuse qui s’étend sur sept pages entières dans la traduction d’Overbeck. Pour une fois, ajoute Overbeck, l’auteur de l’histoire a raison de clore son chapitre avec la formule rituelle : « Wa’llahu’alam bi’s-sawab » c. à d. « Mais Dieu seul connaît la vérité ! ».
On aimerait bien sûr savoir ce qui est historique et ce qui ne l’est pas dans le Hikayat Hang Tuah. Overbeck fait suivre sa traduction d’une annexe où il analyse les correspondances entre ce roman et la Chronique des Malais. Mais cette dernière n’est pas non plus une chronique historique dans le sens moderne du terme. En tout cas Hang Tuah y est mentionné et apparaît sous les règnes de trois Sultans successifs. Overbeck en conclut qu’il aurait donc eu 150 ans ! Mais les noms des Souverains de Malacca et les dates de leurs règnes qu’il a tirés d’une étude de J. J. Hollander de 1845 sont erronés et ne correspondent plus à ce qu’on connaît aujourd’hui du Sultanat de Malacca (voir la Chronologie reprise par Bertrand dans son Histoire à parts égales). Par contre la date indiquée par Overbeck pour le plus ancien manuscrit connu pour le Hikayat Hang Tuah, soit 1758, est exacte. On n’en a pas trouvé de plus ancien depuis. Mais Overbeck s’était déjà rendu compte que l’écriture du texte n’était pas homogène et que plusieurs auteurs y ont collaboré et que l’original était certainement plus ancien. Overbeck s’était appuyé sur une édition établie sur la base de 5 manuscrits connus et avec l’aide de lettrés malais par W. G. Shellabear en 1908. En 1964 et 1997 une nouvelle édition du texte original a été publiée par Kassim Ahmad à Kuala Lumpur. C’est elle qui est à la base de la traduction moderne en anglais entreprise par Muhammad Haji Salleh. Kassim Ahmad estime que le plus ancien manuscrit devrait être antérieur à 1726 (data à laquelle l’œuvre est signalée par le Hollandais François Valentijn, dit Bertrand). Bertrand pense que le cœur de l’œuvre est plus ancien encore et date du XVIIème siècle. L’œuvre complète est en tout cas postérieure à 1641 : c’est l’année où Malacca a été reprise aux Portugais par les Hollandais alliés aux gens de Johore. Et c’est cet événement qui clôt l’Histoire de Hang Tuah.
En fait le Hikayat Hang Tuah dans sa version Overbeck se termine de manière étrange. Voici comment : ...Aujourd’hui on n’entend plus parler par ici de Tun Tuah (= Hang Tuah), mais il n’est pas mort car il fut un guerrier puissant, et c’est pour cela qu’il est devenu un représentant d’Allah sur terre. On raconte que Tun Tuah habite à la source du fleuve Perak et qu’il règne maintenant sur tous les Bataks et les habitants des forêts. De temps en temps quelqu’un le rencontre encore et quand il lui demande : « Seigneur, ne voulez-vous pas prendre épouse ? », il répond : « Je ne veux plus me marier. » C’est là l’histoire de Hang Tuah.
Pourquoi ne veut-il plus se marier ? Parce qu’il s’est fait ermite, qu’il pratique l’ascèse ? De toute façon on ne lui connaît guère d’histoires de femmes. A peine mentionne-t-on à un moment donné qu’il est marié et qu’il a un fils. Mais ce qui semble certain c’est que dans l’esprit des Malais Hang Tuah a accédé à l’immortalité…
Insulinde I
C’est sous le titre général d’Insulinde que l’éditeur Eugen Diederichs avait publié les deux autres livres de traduction de Hans Overbeck en 1925 et 27. Insulinde I débutait, on l’a vu, avec une Introduction à la littérature malaise (voir : Insulinde I, Malaiische Weisheit und Geschichte. Einführung in die Malaiische Literatur. Die Krone aller Fürsten. Die Chronik der Malaien. Aus dem Malaiischen übertragen von Hans Overbeck. Edit. Eugen Diederichs, Iéna, 1927). Overbeck fait suivre son introduction par une vaste vue d’ensemble de toute cette littérature divisée en contes et récits (Erzählungen), légendes religieuses (Mohammedanische Legenden), ouvrages historiques, traités juridiques, ouvrages de sagesse et de morale (Werke der Weisheit und Sittenlehre), ouvrages religieux, poésie savante (les Syair qu’il écrit Shaër) et poésie populaire (les Pantouns). Les problèmes qu’il soulève dès son introduction me paraissent intéressants et expliquent pourquoi il va tellement s’engager plus tard pour que les autorités gouvernementales créent des institutions centralisées pour sauver ce qui peut encore être sauvé de tout ce trésor du passé. D’abord, dit-il, les élèves de Malaisie ou de Singapour trouveront peut-être des extraits d’ouvrages de littérature ancienne dans leurs livres de lecture mais quand ils voudront lire ces histoires dans leur intégralité ils ne les trouveront nulle part. Si jamais elles ont été imprimées elles sont pour la plupart épuisées. Car les imprimeurs locaux utilisaient encore l’impression lithographique et leurs éditions étaient forcément limitées à 500 à 1000 exemplaires ! Si certaines ont été publiées avec le soutien du Gouvernement dans les Malay Literature Series de la Methodist Publishing House de Singapour, elles l’ont été en écriture latine, ce qui ne sera pas du goût du Malais moyen, et seront de toute façon trop chères pour sa bourse. Et puis il y a un autre problème relevé par Overbeck : toute cette littérature était manuscrite. Des manuscrits copiés et recopiés par des scribes pas toujours érudits. Et surtout des manuscrits collectionnés par des Européens, rachetés à bas prix et puis ramenés dans des bibliothèques publiques ou privées européennes. Ou simplement perdus comme ceux de ces quatre énormes malles en cuir que Raffles avait fait rechercher pendant de nombreuses années dans tout l’archipel et qui ont été entièrement détruits par le feu sur le bateau qui devait les ramener en Angleterre ! Overbeck donne un grand nombre de résumés des Contes et Récits qu’il énumère. Le premier qu’il cite, Hikayat Seri Rama est la version malaise du Ramayana. Il en avait entrepris une traduction partielle pour ce qui devait être Insulinde III. D’après le Professeur Kratz le manuscrit en question est conservé par l’éditeur Eugen Diederichs à Cologne. Il y a encore quatre autres récits (Hikayat) qu’Overbeck a traduits, toujours partiellement, en anglais, et qu’il a publiés dans le Journal of the Royal Asiatic Society, Malaysian Branch, Singapour : Hikayat Ganja Mara, en 1928, (une histoire liée à l’introduction de l’Islam dans des royaumes hindouistes, très joliment racontée, dit Overbeck ; Ganja Mara, fils de roi, descendant d’Alexandre, échangé contre le fils d’un haut-fonctionnaire, exposé sur une île déserte, élevé par un djinn musulman, épouse la souveraine d’un empire qu’il convertit à l’Islam, combat infidèles et esprits et y est aidé par le destrier de guerre d’Ali, gendre du Prophète…), Hikayat Tjindawan Poetih, en 1929, Hikayat Sultan Bustaman, en 1931 (encore une légende relative à l’introduction de l’Islam et à la conversion de peuples infidèles : une histoire qui se passe dans une ville nommée Bandara Masad et un empire du nom de Sumatrani) et Hikayat Maharaja Ravana, en 1933.
Parmi les œuvres historiques Overbeck cite bien sûr la Chronique des Malais dont on va parler plus loin, le Hikayat Hang Tuah et Salasilah Melayu dan Bugis dan radja-radjanja (la Généalogie des Malais et des Bugis et de leurs Princes). C’est beaucoup plus qu’une généalogie, dit Overbeck. C’est un ouvrage tout à fait intéressant qui décrit la pénétration d’une famille princière bugis (des Célèbes du Sud) dans les petits royaumes malais de Bornéo, de l’archipel des îles Riaou et Lingga, ainsi que dans certains royaumes de la presqu’île malaise. C’est en quelque sorte une suite de la Chronique des Malais, dit Overbeck. Il en a fait une « paraphrase abrégée », selon l’expression de Chambert-Loir (opus cité), qui a été publiée en anglais dans le Journal of the Royal Asiatic Society, Malaysian Branch, en 1926.
La poésie, on l’a vu, Overbeck la sépare en deux : les Syairs d’un côté, poésie littéraire (Kunstdichtung) et les Pantouns de l’autre, poésie populaire (Volksdichtung). J’ai déjà beaucoup parlé des pantouns (voir Voyage, Tome 5, M comme Malaisie. Le pantoun malais) et j’y reviendrai plus loin puisque Overbeck s’y est intéressé pendant toute sa vie. Quant à la catégorie syair (le nom vient de l’arabe sh’ir) j’avais d’abord l’impression que c’était un peu un fourre-tout, avant de comprendre que le terme syair désignait une forme poétique bien précise : des quatrains monorimes ! Overbeck cite les poèmes narratifs, ceux qui célèbrent un évènement (Zeitgedichte), les poèmes d’amour et les poèmes édifiants (Lehrgedichte).
Overbeck a traduit deux poèmes de cette dernière catégorie en anglais et les a publiés dans le Journal of the Royal Asiatic Society, Malaysian Branch : Shaer Raksi, en 1923 et Shaer Ta’bir Mimpi, en 1929. Le premier est un texte de magie et divination (méthodes pour savoir si un couple est assorti, si on doit entreprendre une action avec succès, quelles règles à observer pour rencontrer une personne). Le deuxième est un livre sur les rêves qui existe également en prose (voilà donc une poésie qui n’est rien d’autre qu’un texte versifié !). On y trouve à la fois des origines arabes (chameau, datte, figue) et des origines locales (le cerf-nain) : si on rêve qu’on monte un chameau, c’est un bon signe, on aura la femme qu’on désire, aussi bien que la richesse ; et si on rêve du cerf-nain, on aura un enfant et la richesse en plus. Le poème est divisé en 20 chapitres suivant les différents types de rêves. Les rêves sont des présages, bons ou mauvais. Mais certains ne doivent pas être interprétés ! Les deux traductions d’Overbeck sont signalées par Chambert-Loir.
Les poèmes d’amour, par contre, sont tout à fait originaux car ils mettent en scène d’une manière systématique des animaux (« allégories animales », dit Overbeck). Un poisson d'eau de mer, le terubok, amoureux d'un poisson d'eau douce, le puyu-puyu (Ikan terubok birahikan puyu-puyu didalam lubok), le petit hibou amoureux de la Princesse de la lune (Shaër burong pongkok), le bourdon amoureux de la fleur (Shaër Kumbang Tjumbuan). Je ne connais guère d’autre exemple de ce genre dans la littérature mondiale. Le Professeur de Littérature comparée Georges Voisset, interrogé, pense à des similitudes persanes. Pourtant le couple hibou-lune pourrait plutôt être d’origine indienne puisqu’il trouve son équivalent dans le couple cakora-lune indien. Le cakora est une espèce de perdrix et le cakora amoureux de la lune (s'abreuvant de ses rayons, fasciné par son éclat) est cité six fois dans l’édition de la Pléiade de L’Océan des Rivières des Contes de Somadeva (dans la traduction anglaise de Tawney éditée par Spencer, the Ocean of Stories, l’oiseau s’appelle chakora et est censé « se nourrir des rayons de la lune »). En tout cas je préfère le hibou ou la petite chouette comme dit Overbeck (en allemand la lune est du genre masculin). Une perdrix c’est con. Et c’est pas nocturne (en tout cas pas les nôtres). Alors qu’on voit bien le hibou qui a les yeux fermés toute la journée et qui lorsqu’il les entrouvre au début de la nuit est fasciné par la lune qui monte dans le ciel nocturne. Georges Voisset a traduit le début du syair du hibou dans son anthologie de poésie traditionnelle de l’archipel malais : Sonorités pour adoucir le souci, traduit du malais, présenté et annoté par Georges Voisset, Gallimard – Connaissance de l’Orient, 1996, page 131, sous le joli titre : Lai du Hibou qui bayait à la Lune :
…
Hibou, dit-on, se mourait de langueur,
La voix brisée comme un tonnerre qui meurt,
Se consumant avec même douleur
Que si l’on eût planté un bambou en son cœur.
En son malheur s’exhalait sa détresse :
« Ô Lune ! Lève-toi, ô ma maîtresse,
Et vois le désespoir que ton absence laisse ! »
Alors, sous les nuages, apparut la déesse
…
Le poème, dit Georges Voisset, ne fait que développer ce qui est une célèbre expression proverbiale. Je suppose que c’est aussi le cas du couple cakora-lune indien.
La Couronne des Princes (Makota Segala Raja, Die Krone aller Fürsten dans la traduction allemande) fait partie de ce que Overbeck a appelés Ouvrages de sagesse et de morale. L’œuvre est aussi connue sous le nom de : Taj us-Salatin. Henri Chambert-Loir, une fois de plus, parle à propos de la version Overbeck de « paraphrases résumées ». Overbeck s’en explique. L’auteur de la Couronne des Princes était un très grand styliste (une langue pure, un style clair, le sommet de la civilisation malaise des cours royales de Malacca et de Johore, avait dit l’érudit hollandais P. P. Roorda van Eysinga qui l’a traduit pour la première fois en 1827) mais il a surtout puisé dans divers textes de la littérature arabe et persane, dit Overbeck. Un court extrait lui a donc semblé suffisant. C’est pourtant une œuvre d’une très haute tenue morale qui montre que les Souverains, s’ils ont des droits, ont aussi des devoirs envers leurs sujets et que c’est là leur principale légitimité. Au chapitre XI, intitulé De la tyrannie et du comportement des tyrans, on apprend qu’au Jour du Jugement « les anges vont aller chercher tous les mauvais Souverains et les jeter en enfer et les y attacher avec des chaînes tout au fond de l’abîme », car c’est ce que méritent « ceux auxquels Dieu a accordé la souveraineté et confié ses serviteurs et qui n’ont pas protégé leurs sujets comme s’ils étaient leurs propres enfants ». Il y a des tyrans contemporains de certains pays musulmans qui devraient se faire du souci ! Et au chapitre XX, intitulé pourtant Du comportement des sujets envers leurs souverains, on commence par énoncer 20 règles que le Souverain doit respecter (rester humble, ne pas écouter les calomnies, protéger tous ses sujets sans favoritisme, tenir toujours parole, ne pas chercher à séduire les femmes et les filles de ses sujets et ne pas entrer dans leurs maisons sans y être invité, etc.). Quant aux sujets ils doivent le respect au souverain. En toutes circonstances. Dans la Chronique des Malais cela est encore plus explicite. Le principe de base qui se manifeste tout au long de cette Chronique, nous dit Overbeck, est celui-ci : « Le Souverain ne doit blesser aucun de ses sujets dans son honneur et ne le tuer que si son crime mérite la mort selon les lois divines ; le sujet ne doit en aucun cas se soulever contre son souverain ». On a vu comment ce dernier commandement est respecté dans le Hikayat Hang Tuah. Il l’est aussi, de manière dramatique, dans le Hikayat Raja Pasai dont l’ancienne et très belle traduction d’Aristide Marre a été rééditée récemment avec une introduction et des notes de Monique Zaini-Lajoubert (voir Histoire des rois de Pasey, traduit par A. Marre, présentation par Monique Zaini-Lajoubert, édit. Anacharsis, Toulouse, 2004). Le Sultan Ahmed, dans la haine complètement injuste qu’il porte à son fils, Toun Brahim Bapa, lui fait porter du poison et celui-ci « pensa dans son cœur : Si j’en mange, certainement je mourrai ; si je n’en mange pas, certainement je serai un rebelle. Mieux vaut mourir que d’être appelé rebelle ». Et il avale le poison.
Et pourtant Romain Bertrand qui cherche toujours un parallèle entre le monde européen et le monde malais (dans l’ouvrage déjà cité) trouve que « l’art de la justice » tel qu’il est décrit dans la Couronne des Princes « se situe aux antipodes du despote asiatique » tel que le conçoit Montesquieu. Ce n’est pas, dit-il aussi, parce qu’il est d’origine divine (descendant d’un devara dans la tradition indienne) ou descendant d’Alexandre (même si la Chronique des Malais débute en le démontrant) que le Souverain doit être respecté (comme je l’ai indiqué en commentant l’histoire de Hang Tuah), mais parce que c’est Allah qui l’a investi d’un mandat. C’est un homme comme un autre qui est faillible et auquel il faut donc imposer des règles. Romain Bertrand a raison. Cette évidence s’impose quand on lit la Couronne des Princes même dans la version abrégée d’Overbeck. Bertrand a-t-il raison quand il interprète un texte du chapitre V (intitulé De la Nature de la Souveraineté et de l’exercice de la Justice et du Pouvoir) comme un droit, dans certaines circonstances, de se soulever contre le Souverain ? Le texte en question commence par poser la question : si le Souverain ne sait plus faire la différence entre le bien et le mal, devons-nous suivre ses commandements ? Réponse : oui, nous devons suivre ses paroles mais non ses actes. Si nous devons suivre ses paroles c’est parce que nous sommes dans une situation difficile, non parce ces souverains sont respectables. Et nous sommes dans une situation difficile parce que si nous ne suivons pas ses paroles nous ne respectons pas la nature du Souverain et nous serions la cause du mal qui submergerait le Royaume et serions ainsi la cause du malheur de tous les sujets. Si nous n’étions pas dans cette situation difficile nous aurions le droit de nous rebeller contre le Souverain car les mauvais Princes sont les ennemis de Dieu et il est de notre devoir d’être les ennemis des ennemis de Dieu. Voilà la traduction d’Overbeck. Bertrand lit la fin différemment. « Si la situation ne l’exige pas, nous n’avons plus à obéir ni à ses paroles, ni à ses actes… ». Il est vrai que le texte est plutôt alambiqué. Et l’auteur visiblement ennuyé… Quoi qu’il en soit, Romain Bertrand trouve que cette façon de concevoir la relation souverain-sujet (il utilise même à un moment donné la notion, plutôt anachronique pourtant, de contrat social) est assez proche des conceptions européennes de l’époque. Il ne faut évidemment pas comparer ces textes de la fin du XVIème à des textes européens plus modernes, à Hobbes par exemple, dit-il. Et il finit sur une formule que je trouve assez plaisante : si on compare vraiment les conceptions des uns et des autres à l’époque qui nous intéresse, dit-il, on constatera « que le lieu de l’exotisme n’est pas le monde malais ou javanais, mais ce moment si particulier que fut, d’un bout à l’autre de l’Eurasie, la fin du XVIème siècle ».
Pour la traduction de la Chronique des Malais (Sejarah Malayu, titre traduit par Die Chronik der Malaien) Overbeck a gardé l’essentiel, ne supprimant que les redondances et certains aspects mineurs, comme la généalogie des grands-vizirs par exemple. La Chronique des Malais est en réalité la Chronique du Sultanat mythique de Malacca. J’emploie le terme mythique parce que c’est bien ce qu’il est resté dans l’esprit des Malais d’aujourd’hui. Il faut dire que Malacca constituait une sacrée puissance au XVème siècle et jusqu’au début du XVIème : le sultanat recouvrait presque la totalité de la péninsule malaise, le Singapour d’aujourd’hui et une grande partie de la côte orientale de Sumatra. Malacca avait des relations, on l’a vu dans Hang Tuah, avec de nombreuses nations dans le monde, et en particulier avec la Chine des Ming, et a gagné toutes les guerres que lui a livrées le Siam. Quant à son vieil ennemi et partenaire, l’empire javanais de Majapahit, il était déjà en déclin, à bout de course, à la fin du XVème siècle. Le port de Malacca était idéalement situé et servait d’escale pour les navires de commerce arabes et indiens allant vers la Chine et les navires chinois allant vers l’ouest. C’était le port des épices (et c’est pour cela que ce nom nous fait encore rêver aujourd’hui, même en Occident). L’écrivain portugais Duarte Barbosa a écrit, peut-on lire sur le net, « celui qui est le maître de Malacca a ses mains sur la gorge de Venise ». C’est bien pour cette raison que Afonso de Albuquerque a pris la ville en 1511. Mais mal leur en prit, aux Portugais. Ils ne purent conserver le contrôle du trafic. Ils n’ont fait que le désorganiser. Car bien d’autres ports remplacèrent Malacca, comme Johore par exemple. Mais cela c’est une autre histoire.
Je ne vais pas reprendre en détail l’histoire que conte la Chronique des Malais. Beaucoup des événements sont relatés également, d’une manière bien plus plaisante, dans le Hikayat Hang Tuah. Ce qui m’amuse en tout cas c’est le besoin de démontrer que le fondateur de Malacca, Parameswara, un prince de Palembang d’origine indienne, qui avait dû fuir devant la menace de l’Empire de Majapahit, était un descendant d’Alexandre. Le Roman d’Alexandre, dit Overbeck dans une note de bas de page, était bien connu des Malais. Je dis que cela m’amuse parce que ce roman est complètement mythique et n’a pas grand-chose à voir avec l’Alexandre historique (voir Pseudo-Callisthène : Le Roman d’Alexandre, édit. Les Belles Lettres, Paris, 1992 et Corinne Jouanno : Naissance et métamorphoses du Roman d’Alexandre, édit. CNRS Editions, Paris, 2002). Ferdousi en a fait un Roi persan, Byzance un Roi byzantin, chrétien, et ici il devient Iskander, promoteur de l’Islam. Mais passons. Il y a autre chose qui m’étonne c’est l’incroyable erreur sur la date de création de Malacca que fait Overbeck. Il reprend, je ne sais pourquoi, les dates avancées par un érudit hollandais du XIXème siècle, J. J. de Hollander. Qui indique comme date de création de Malacca 1253. Et comme durée du règne de Parameswara, devenu Iskandar Shah, 1249 – 1276. Or aujourd’hui tout le monde indique comme date de création de Malacca 1400 ou 1402. Et comme règne de Parasmewara sur Malacca : 1400 – 1414. Pourquoi une erreur aussi énorme, de 150 ans ? Encore en 1927, année de la publication d’Insulinde I. Bizarrement les noms des 6 ou 7 sultans qui succèdent à Parasmewara jusqu’à la chute de Malacca et qui sont cités dans l’introduction de Overbeck sont plus ou moins exacts. Mais leurs règnes apparaissent comme bien plus longs, surtout celui du successeur d’Iskandar, Muhammad Shah, qui chez Overbeck (ou plutôt de Hollander) dure 60 ans et celui du Souverain Mansour Shah pendant lequel apparaît pour la première fois dans la Chronique le nom de Hang Tuah, dure 70 ans, de 1374 à 1447, alors que suivant les sources actuelles il aurait duré de 1456 ou 59 à 1477. Mais dans ces conditions la durée de vie de Hang Tuah qui paraissait, en se basant sur les dates d’Overbeck, avoir été de l’ordre de 150 ans, devient beaucoup plus raisonnable et le héros mythique Hang Tuah un peu plus réaliste, pour ne pas dire carrément réel et historique ! Mais ce qui m’amuse également c’est qu’on peut lire sur le web qu’en 2010, un an avant de commémorer le cinq-centième anniversaire de la prise de Malacca par les Portugais, une équipe de chercheurs désignée par l’Etat de Malacca actuel a proposé de repousser d’une bonne centaine d’années (à l’année 1278) la date de fondation de l’ancien sultanat…
L’éditeur Eugen Diederichs a republié en 1976 deux des traductions de Hans Overbeck, d’une part Sejarah Melayu – Die Chronik der Malaiien et d’autre part Hikayat Hang Tuah – Die Geschichte des Hang Tuah (voir Malaiische Chronik / Hang Tuah, aus dem Malaiischen übersetzt von Hans Overbeck, Eugen Diederichs Verlag, Dusseldorf-Cologne, 1976). En fait si le texte de Sejarah Melayu est identique à celui publié en 1927, le texte de Hang Tuah publié chez Georg Muller en 1922 n’est repris que très partiellement (nous n’en avons repris que des extraits par manque de place, nous explique l’éditeur !) et sans l’introduction et les annexes de Hans Overbeck. C’est bien regrettable. Le seul avantage de cette publication c’est de comporter une préface de Otto Karow, Professeur de littérature et de culture de l’Asie du Sud-Est à l’Université de Francfort, et d’une postface du Professeur Ulrich Kratz qui parle avec beaucoup de sympathie de la passion et de l’érudition de Hans Overbeck et fournit une bibliographie assez complète de son oeuvre.
Insulinde II
Voir Insulinde II. Malaiische Erzählungen : Romantische Prosa – Lustige Geschichten – Geschichten vom Zwerghirsch, aus dem Malaiischen übertragen von Hans Overbeck, Eugen Diederichs, Iéna, 1925. L’Insulinde II, publiée deux ans avant l’Insulinde I débute par un ensemble d’histoires intitulé par Overbeck : Prose romantique. Mais, en fait, il s’agit des Contes d’un Penglipur Lara, le raconteur d’histoires qui va de village en village pour amuser et distraire les hommes. Penglipur Lara, dit Overbeck, signifie le Consolateur des Peines. Beau mot pour un Conteur ! Les 5 histoires reprises par Overbeck ont été publiées grâce à l’érudit hollandais R. O. Winstedt et son adjoint A. S. Sturrock dans les Malay Literature Series à Singapour. C’est un Penglipur authentique, Pawang Ana, qui les a contées et c’est un Prince de Perak, Raja Haji Yahya bin Raja Mat Ali, Penghulu de Chenderiang, Perak, qui les a transcrites (« un lettré de culture arabo-musulmane qui s’est mis au service du colonisateur », dit de lui Georges Voisset).
Overbeck présente la première histoire, celle de Raja Muda, en traduction complète, les autres en résumé. L’histoire de Raja Muda, histoire bien connue, est particulièrement intéressante parce qu’on y rencontre tous les personnages du monde féerique malais, l’éléphant blanc qui va désigner le successeur du sultan quand celui-ci n’en a pas, le terrible taureau de guerre Si Benuang, le Garuda dévastateur. On y rencontre la vieille Nenek Kebayan, nourrice et entremetteuse (qu’on a déjà rencontrée dans le Hikayat Hang Tuah, nourrice de la belle Tun Teja que Hang Tuah est allé quérir pour le Roi de Malacca). Il y a des naissances magiques, des transferts de fœtus d’une mère à l’autre, des résurrections des morts. Il y a même des filles-cygnes d’un Empire céleste qui nous font penser à des contes de chez nous (on rêve toujours d’épouser des filles qui font partie d’un autre monde, des fées, des nixes, des Ondine, des Mélusine, etc.). Et il y a des poèmes de toutes les sortes, des pantouns, des syairs et même des vers libres (peut-être certains ont-ils été ajoutés par après par ce fameux Raja Haji Yahya, dit Overbeck, ce Prince de Perak que Winstedt appelait un « rimeur incorrigible » et à qui un autre Anglais avait donné le titre de « Poeta Laureatus »). Très beaux pantouns en chaîne (pantoun berkait) chantés par la princesse-cygne Rakna Dewi et ses six sœurs. Pantouns encore, dits par elle et le prince Raja Muda lors de leur première rencontre. Overbeck les a tous traduits dans une langue très poétique. Et puis il y a ce portrait de la fille du Sultan Muda, dont le nom est aussi long que sa beauté est grande, Renek Jintan Seri Kemala Keinderaan Seri Desa Tanjong Bunga Kembang Sa-Kaki Mestika Kelimpahan Benua Tua. Et qui est célébrée par un magnifique poème encore une fois très bien rendu par Overbeck :
Son éclat fait briller l’eau qu’elle boit,
…
Elle a les sept marques de la beauté.
Son corps est mince, ni trop grand, ni trop petit,
Sa face a l’ovale de la feuille de Sirih
Ses sourcils semblables à la nouvelle lune
Ses cils courbés tels éperons de coqs de combat
Tendre est son nez comme bouton de lotus
Doux les oreilles comme feuilles de lotus fanées
La joue ressemble à une mangue coupée
Les lèvres au fruit mûr du Pati
Les dents à la grenade éclatée
Le cou est fin comme fait au tour
La poitrine plus large que le corps ;
Ses cheveux sont comme les fleurs du palmier
Et tombent longs et drus jusqu’aux talons
Et brillent, plus noirs qu’encre de Chine
…
Cela nous change de la poésie arabe où le visage de l’aimée a immanquablement l’éclat de la lune, des yeux qui sont de gazelles et des dents qui brillent comme perles dans la bouche. Georges Voisset a également publié une très belle traduction de ce poème dans son anthologie de poésie traditionnelle de l’archipel malais (opus cité, page 65).
Overbeck n’a fait que résumer les 4 autres histoires du Penglipur Lara. Awang Sulong Merah Muda semble être une histoire de pirates, dit-il. Et dans Anggun Che Tunggal on fait connaissance avec un navire géant où l’on parle « nazaréen » et où se trouve un certain Raja Pertogal qui, d’après Winstedt, pourrait être le Roi du Portugal.
Habillé de voiles le jour
Blindé de chaînes la nuit ;
Quand on tue un bœuf à la proue
On envoie une missive à la poupe
Quand on tue un bœuf à la poupe
On envoie une missive à la proue
Sept temples divins à son bord
Et sept merveilleux palais…
Georges Voisset a traduit plusieurs des poèmes qui ornent ces récits dans son anthologie (opus cité). Pour Awang Sulong Merah Muda, voir les poèmes des pages 53 à 64. Et pour l’une des deux autres histoires résumées par Overbeck, Malim Demam, voir les poèmes des pages 45 à 52. La quatrième est Malim Dewa.
Sous le titre Lustige Geschichten (Histoires drôles, en malais : Tscherita Jenaka), Overbeck a repris à nouveau 5 histoires en choisissant de traduire l’une d’elles (Pa Pandir) plus ou moins complètement et en résumant les autres. Une fois de plus il s’appuie sur des textes publiés par R. O. Winstedt et A. S. Sturrock dans les Malay Literature Series à Singapour (sous le titre Cherita Jenaka) et collectés par Raja Haji Yahya à Perak même. Ces histoires drôles sont plutôt des farces, des farces populaires. Et les héros de ces farces rappellent un peu certains héros populaires de nos contes populaires allemands, dit Overbeck, tels Till Eulenspiegel ou Hans im Glück (Jean-la-Chance, conte de Grimm). Ici on trouve Pa Pandir qui fait tout à l’envers, Lebai Malang, le religieux La Malchance, Pa Bilang, le Père Sauterelle, qui, lui, a une chance incroyable, etc. La transcription a été faite comme pour les histoires de Penglipur Lara à partir de traditions orales. La langue est populaire, même dialectale, et certains termes font penser à une origine de Menangkabau ou Padang, pense Overbeck. Il faut croire que ces farces étaient néanmoins truffées de quelques poèmes puisque Georges Voisset en reprend certains dans son anthologie (opus cité). Il baptise Pa Pandir Père Simplet et Pa Kaduk Père Gogo !
Et pour finir Overbeck reprend trois histoires du célèbre cerf-nain (Geschichten vom Zwerghirsch). Un petit chevreuil, sans cornes, pas plus grand qu’un lapin, dit Overbeck, et dont le mâle a des canines prolongées comme des défenses de sanglier. Un animal appelé kancil en malais et pelanuk en javanais et qui est répandu sur tout l’archipel, Malaisie, Sumatra, Java et Bornéo. Un animal peureux, habitant des forêts, n’osant s’aventurer sur les champs des humains que dans l’ombre de la nuit. Or voici que cet animal devient le héros rusé, intelligent, méchant même par moments, de tout un cycle de récits comme ceux de notre Roman de Renart (et comme ceux du lièvre en Afrique, ajoute Overbeck). Pourquoi avoir choisi le cerf-nain ? Le renard, au moins, on le sait, est rusé et courageux. Mystère, dit Overbeck. On y reviendra.
Les trois histoires de cerf-nain reprises par Overbeck ont été publiées par O. T. Dussek en 1915 dans les Malay Literature Series à Singapour. Il s’agit du Hikayat Pelanduk Jenaka que H. C. Klinkert avait édité en 1885 à Leyden (et que Overbeck intitule Die Geschichte vom listigen Zwerghirsch – L’Histoire du rusé cerf-nain) et de deux autres histoires recueillies par R. O. Winstedt qui les a fait transcrire par des scribes malais : Geschichte von Sang Zwerghirsch (Histoire de Sang Cerf-nain) et Geschichte vom Zwerghirsch und den jungen Ottern (Histoire du cerf-nain et des jeunes loutres). Dans toutes ces histoires les animaux s’adressent les uns aux autres en utilisant le titre Sang qui, bizarrement, est un titre utilisé pour saluer des divinités inférieures ou des personnes nobles. Overbeck a effectué une traduction fidèle de l’Histoire de Sang Cerf-nain et un résumé, avec des extraits, des deux autres histoires. Et c’est bien ainsi. Car en lisant la première histoire en détail on peut se faire une bonne idée à la fois du style dans lequel elle est transcrite et du caractère de son personnage principal. On constate tout d’abord quelques similitudes avec notre Renart qui se joue régulièrement d’Ysengrin alors que notre Cerf-nain, lui, se joue surtout de Harimau, le Tigre, Sang Cœur-de-Héros. Mais le Cerf-nain a un autre ennemi encore, un ennemi mortel : le crocodile. Et pourtant il s’en sort toujours. Grâce à son intelligence supérieure, sa ruse, sa capacité de se servir de la bêtise et de la naïveté des autres animaux, et aussi de leur vanité (l’éternelle histoire du Corbeau et du Renard). Et puis, même dans les situations les plus désespérées il ne s’affole jamais, ne perd jamais courage et fait marcher son esprit inventif. Mais une fois sorti d’affaire il ne peut s’empêcher de se moquer de ceux qu’il a roulés. Pas très malin ! Car ses ennemis ne font que le détester encore plus. Quant au style il est populaire et dru. Le cerf-nain arrive, par ruse, à faire avaler au Tigre une bouse de vache. Et quand il est tombé par inadvertance dans un puits et qu’il a incité d’autres animaux à s’y réfugier en leur racontant que le ciel va leur tomber sur la tête, il va serrer les testicules de l’éléphant si fort que celui-ci, furieux, le saisit avec sa trompe et le jette hors du puits. Et Georges Voisset qui s’est pris depuis quelque temps déjà d’une véritable passion pour le petit animal et sort en ce moment-même une traduction nouvelle et extrêmement originale de ses aventures, en faisant revivre, comme si vous y étiez, l’atmosphère authentique des veillées du Lenglipur Lara (voir : Contes Sauvages. Les très curieuses histoires de Kancil le petit chevrotain, édit. Les Perséides, 2012), m’a raconté que dans la scène où le petit cerf-nain, ne pouvant plus échapper au Tigre, lui avait demandé de l’avaler en entier sans le mordre, réussissant ainsi à l’étouffer en bloquant sa gorge, il traverse, dans la version originale, tout l’intérieur du tigre jusqu’à sortir la tête du trou du cul du Tigre ! Overbeck n’a pas traduit ces détails-là !
A la fin de l’Histoire de Sang Cerf-nain le Roi Salomon, émerveillé par l’intelligence du petit animal, décide de l’engager pour l’aider à résoudre les cas difficiles et rendre ces fameux jugements qui l’ont rendu si célèbre. Que vient faire Salomon dans ces histoires ? Lui qui est le Roi des génies dans les Mille et Une Nuits ! Et l’Amant de la Reine de Saba aussi mythique que lui. Il y a donc une influence bien nette des Arabes et des Musulmans dans ces histoires. Mais dans l’Histoire du Cerf-nain et des jeunes loutres Salomon est encore monté en grade : Souverain du Monde et Prophète de Dieu ! J’avais d’abord trouvé cela plutôt étonnant, hérétique même, avant que, grâce à Georges Voisset encore, je ne me sois remis à la lecture du Coran et découvert qu’effectivement la 6ème Sourate le range dans les Prophètes reconnus (avec le petit David). Mais parlons-en de cette histoire du Cerf-nain et des loutres. Voilà donc que Salomon a cinq grands-vizirs, l’un pour les Hommes, un autre pour les Esprits (les Djinns ?), un pour les Oiseaux et deux pour les Animaux : le Porc-épic et le Cerf-nain. Et si l’Homme et le Porc-épic (ne me demandez pas pourquoi) sont peut-être plus intelligents que lui, c’est bien le Cerf-nain qui est le plus célèbre, le plus renommé pour sa sagesse et sa raison. D’ailleurs on l’appelle « la Paix dans la Forêt ». Aha, voilà quelque chose de nouveau. Ce petit animal aurait donc un rôle à jouer ? Il y a pourtant de la violence dans cette histoire. Une oeuvrette parfaitement construite. C’est d’autant plus évident quand on lit le résumé véritablement squelettique qu’en fait Overbeck. Première phase : le Cerf-nain, complètement irrationnel, commet un meurtre collectif, sans préméditation (croit-on) et accidentel : troublé par l’appel de l’oiseau Butbul auquel répondent tous les oiseaux de la forêt et qui lui rappelle des combats passés, il commence une danse guerrière et ce faisant piétine à mort sept jeunes loutres avec lesquels il venait de s’entretenir. Deuxième phase : on s’explique devant Salomon. Une chaîne de causes/effets très humoristique et bien imaginée (semblable à des enchaînements que l’on trouve dans certaines de nos comptines et chansons enfantines) : le Cerf-nain a dansé parce que le Butbul a chanté, le Butbul a chanté parce que le varan courait la queue dressée comme une épée, etc. Troisième phase : le dernier couple n’a pas de cause à invoquer et est donc coupable. Or, miracle, ce sont justement les loutres, les parents des victimes, que le poisson Sebaru accusait d’avoir décimé son peuple. La boucle est bouclée et le Cerf-nain est innocenté (encore que ce n’est pas joli-joli de se venger sur les enfants des crimes des parents). Oui, mais il y a un hic. Un hic que je n’avais pas noté lors de la première lecture du résumé Overbeck (et découvert à la lecture de la traduction Georges Voisset). C’est qu’avant même de piétiner les petites loutres il y a pensé aux crimes des parents : « Il pensait aux nombreuses plaintes sur l’injustice faite aux poissons par les loutres et se disait qu’il faudrait voir un jour à changer les choses » (traduction Overbeck). Alors, préméditation ou non ? Le Cerf-nain justicier cruel ou non ? Ou simple exécuteur de la volonté divine ? Georges Voisset admire « la riche ambiguïté morale et culturelle du texte » et pense que le traducteur doit conserver cette ambiguïté. Et il m’apprend que le fameux scribe qui a transcrit cette histoire est une de fois de plus Raja Haji Yahya. Or l’intervention d’un écrivain ou d’un simple lettré peut modifier, me semble-t-il, une tradition purement populaire (comme Perrault et Grimm ont influencé nos contes de fées ou comme Galland, le Dr. Mardrus et Richard Burton ont chacun donné leur coloration propre aux Mille et une Nuits). Et cette histoire de loutres est drôlement bien construite. Il faut dire que les histoires qui mettent en jeu le petit cerf-nain semblent constituer une véritable nébuleuse comme l’était d’ailleurs le cycle du Roman de Renart. Là aussi, si on consulte les études sur ce sujet que l’on peut dénicher sur le net, on se rend compte que de nombreux auteurs y ont collaboré. Et qu’ainsi le cycle du Renart est parti dans de nombreuses directions. Critique sociale par exemple. Alors qu’à l’origine on peut supposer que la tradition orale qui l’a inventé, comme pour le cerf-nain, a d’abord été l’expression d’un petit peuple qui imagine un personnage qui, par la ruse, l’emporte sur ceux qui le dominent. Et que celui qui raconte l’histoire sait qu’il fait plaisir à un auditoire qui rit des tours joués en en oubliant le côté immoral. On pourrait même aller plus loin et penser que les héros de ces histoires, Renart comme Cerf-nain, sont des personnifications de l’irrationnel qui est enfoui dans l’âme humaine, la révolte contre la société civilisée (das Unbehagen in der Kultur de Freud), le trickster (le coyote amérindien) libéré, imprévisible, sexué étudié par Radin… Vous voyez comme ce petit chevrotain nous mène loin, jusqu’à l’autre bout du monde…
Je ne croyais pas si bien dire. Peu de temps après avoir écrit cela je tombe sur le net sur une étude de l’anthropologue Fritz Graebner publiée dans la Zeitschrift für Ethnologie de Berlin (voir Zeitschrift für Ethnologie, Organ der Berliner Gesellschaft für Anthropologie, Ethnologie und Urgeschichte, 1920/21, Berlin). Graebner nous apprend d’abord qu’il a été prisonnier avec Overbeck au cours de la première guerre mondiale dans le même camp du New South Wales en Australie et qu’il s’est longuement entretenu avec lui sur les questions de Rejang (voir l’article de Overbeck dans le JRASSSB, ci-dessous) ainsi que sur les histoires de cerf-nain qu’il ne connaissait pas. Il a alors cherché des parallèles dans d’autres cultures, Inde, Afrique et Amérique du Sud. Et miracle (qui cherche, trouve, dit-il), il découvre que certaines légendes des Indiens Cora racontent pratiquement les mêmes histoires que celles du fameux cerf-nain, sauf que chez les Cora c’est l’opossum le rusé et le coyote qui remplace le tigre. Les similitudes sont saisissantes : le ciel qui s’effondre (voir le cerf-nain tombé dans un puits), le gong nid de guêpes, les aliments dégoûtants (la nourriture de Salomon est bouse de buffles), la course (cerf-nain contre tortue ici et loup contre sauterelle chez les Cora), l’épouvantail qui colle (poupée qui colle chez les Cora) faisant prisonnier aussi bien le cerf-nain que l’opossum, le soi-disant projet de mariage (le cerf-nain trompe le chien, l’opossum le coyote), le complot où le méchant fait le mort (le tigre pour attraper la biche, l’alligator pour attraper l’opossum : chez les Cora c’est l’ensemble des animaux qui montent ce complot contre l’opossum), la guerre des animaux (caractérisée aussi bien chez les Malais que chez les Cora par le fait que la guerre oppose les faibles contre les forts). Fritz Graebner est connu pour avoir été à l’origine d’une théorie de la Diffusion (il y a peu de créations nouvelles dans les facteurs culturels qui se propagent surtout par diffusion d’une région à l’autre). Oui, mais alors comment expliquer ces convergences entre l’ancien Mexique et l’Asie du Sud-Est ? Graebner n’en dit rien. Mystère.
Je voudrais encore signaler un autre point qui fait penser que le petit chevrotain est aussi dans une certaine mesure un culture-hero comme le coyote des Indiens d’Amérique du Nord : c’est qu’il est à l’origine de la création des villes mythiques de Malacca et de Pasaï. On trouve presque la même histoire dans le Hikayat Hang Tuah (fondation de Malacca) et dans le Hikayat Raja Pasai (fondation de Pasai) : dans les deux cas un cerf-nain perché sur un monticule résiste à un chien (pour Pasai voir Histoire des rois de Pasey, opus cité).
Overbeck ne dit rien de tout cela. Il se tient au mystère. Il note néanmoins que les histoires de cerf-nain ont eu plus de succès en Europe qu’aucune autre histoire de la littérature écrite ou orale malaise. Et qu’un Allemand, le Dr. C. Klaesi, a publié (en 1912, chez l’éditeur Frauenfeld) une traduction du Hikayat Pelanduk Jenaka version Klinkert sous ce titre significatif : Der malayische Reineke Fuchs (le Goupil-Renart malais).
Notre Roman de Renart est mort depuis longtemps. Le cycle de contes du cerf-nain ou kancil ou pelanduk, était encore vivant il n’y a pas si longtemps puisque Johanna Lederer, Présidente de l’Association culturelle franco-indonésienne Pasar Malam, me raconte qu’on lui contait ces histoires dans son enfance javanaise. Et, en relisant les livres de Gabrielle Wittkop qui se trouvent sur les rayons de ma bibliothèque, je suis tombé tout à fait par hasard (en cherchant autre chose) sur une histoire de kancil qu’elle a rapportée de son voyage à Bornéo (dans un texte intitulé Le Puritain passionné. Voir Gabrielle Wittkop : La Mort de C. suivi de Le Puritain passionné, édit. Verticales, 2001). Voici l’histoire : « Les torches d’huile de coco jetaient leur lumière sur le visage cuivre des chasseurs pawang. Quand les hommes se taisaient, on n’entendait que l’eau dégouttant des arbres et le crépitement du feu. Un Pawang alluma une kretek et commença : Il y avait une saline où se rendaient tous les animaux de la jungle, jusqu’au jour où ils n’osèrent plus y retourner parce qu’un tigre en profitait pour les guetter et tuer l’un d’eux chaque jour. Les animaux tinrent conseil. Le kantjil – le cerf-nain – leur dit : Frères, j’ai trouvé une ruse. Puis il alla vers le tigre et lui dit : Harimau, pourquoi, au lieu d’aller chasser tous les jours, ne préfères-tu pas que je t’apporte ta proie ? Harimau trouva que c’était bien dit. Le lendemain le kantjil revint et annonça qu’il n’avait rien pu rapporter de la chasse parce qu’un grand tigre, portant un kantjil sur son dos, lui barrait le chemin. Ma seule vue le fera fuir, dit Harimau, et il se mit en route avec le kantjil qui était posté sur son dos. Ils arrivèrent au fleuve et le kantjil s’exclama en montrant l’image du tigre dans l’eau : Regarde ! Regarde ! Voici le grand tigre qui barre le chemin !... Alors le tigre se jeta dans le fleuve pour combattre son reflet et se noya sur-le-champ ».
Le pantoun
Le pantoun est resté jusqu’à la fin l’un des principaux centres d’intérêt de Hans Overbeck (il en a collectionné plus de 2000). Au début de sa captivité à Singapour il avait déjà imaginé un mode de classification des pantouns et en fait part dans une lettre de sept pages adressée en 1915 à la Royal Asiatic Society. Dans sa traduction du Hang Tuah, en 1922, à l’occasion de la citation d’un pantoun, Overbeck donne cette définition : « Le pantoun est un quatrain d’amour ou de moquerie. Les deux premiers vers sont supposés contenir une allégorie ou une pensée voilée qui est explicitée dans les deux vers qui suivent. Mais avec le temps la règle semble s’être effacée et la plupart du temps seul le troisième vers ou le quatrième ont encore un sens alors que les deux premiers vers n’en ont guère et servent surtout à la rime. Dans la vie de tous les jours les pantouns ont un peu le même rôle que les Schnadehüpfel ». Il est donc probablement le premier à avoir fait le lien avec ce quatrain moqueur que connaît l’Allemagne du Sud et dont Georges Voisset a donné un exemple (mais mal traduit) dans son Histoire du Genre pantoun (voir: Georges Voisset : Histoire du genre pantoun – Malaisie – Francophonie – Universalie, édit. L’Harmattan, Paris, 1997) :
Was hilft mir a schöner Apfel,
Wenn er auf’m Baum hängt;
Und was hilft mir a schön Dirndl,
Wenn’s nit an mi denkt.
(Que me sert une belle pomme,
Tant qu’elle reste accrochée à l’arbre ;
Et que me sert une belle fillette,
Tant qu’elle ne pense guère à moi.)
La même année Overbeck publie dans le Journal of the Royal Asiatic Society un article sur le pantoun, sa structure, ses correspondances dans d’autres cultures, un article qui est encore abondamment cité par un spécialiste du pantoun contemporain, T. Wignesan, dans une étude récente (voir : T. Wignesan : Le Pantun : un exemple de détournement créateur ? Revue de Poïétique Comparée, 1990/01). D’ailleurs Wignesan dit de lui : « Overbeck, peut-être le savant le plus avisé sur l’origine du pantoun… ». Dans l’article qui m’a été aimablement fourni, grâce à l’entremise de Johanna Lederer, Présidente de Pasar Malam, par M. Nico van Rooiyen du KITLV à Leyden (voir : Hans Overbeck : The Malay Pantun, Journal of the Royal Asiatic Society, Straits Branch, 1922), Overbeck cherche des correspondances dans d’autres cultures. D’abord dans l’environnement proche : Java et Soundanais. Puis dans la littérature bouddhiste en langage pali (même famille linguistique que le sanscrit) du Siam et de Birmanie, déjà citée par Marsden et Wilkinson. Certains de ces poèmes bouddhistes (quatrain dont les deux premiers vers évoquent une image et les deux suivants une leçon de morale qui est le sens caché de l’image) ressemblent au pantoun, dit Overbeck. Comme celui-ci :
Comme une belle fleur
Brillante de rosée mais sans parfum
Ainsi la belle parole
N’est rien si elle n’est suivie de l’acte
Ou celui-ci, donné également à titre d’exemple par Georges Voisset dans son Histoire du genre pantoun (opus cité) :
Comme dans une maison au toit endommagé
Rentre la pluie
Ainsi dans une tête mal éduquée
Va entrer l’envie.
Si on enlevait le comme et le ainsi, on aurait un pantoun, dit Overbeck. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Le pantoun fuit, encore plus que le tanka japonais, le comme ou le tel, qui signalent la bête métaphore.
Du pali Overbeck passe au sanscrit, à la forme poétique sloka que l’on trouve dans le Ramayana :
Des gouttes de pluie tombent sur la feuille de lotus
Mais restent côte à côte sans se mélanger
De fausses relations nous entourent
Mais elles ne lient guère le cœur avec le cœur
Et puis il cite ce quatrain du Roi Dushyanta dans le drame Shakuntala du poète indien Kalidasa :
Les fleurs de la nuit s’ouvrent à la lune
Les fleurs du jour au soleil
Un homme d’honneur toujours s’efforce
D’éviter la femme d’un autre homme
C’est par le Sud-Est du sous-continent indien que les grandes épopées, Ramayana et Mahabharata, et le Panchatantra sont passés à l’aire malaise, donc par la langue des Tamils, le dravidien. Mais, observe Overbeck, on sait grâce à l’abbé Dubois, que la plupart des stances et slokas qui truffent ces œuvres étaient écrits en sanscrit (or je connais bien l’abbé J. J. Dubois et l’œuvre dont il tire cette affirmation, Hindu Manners and Ceremonies, pour l’avoir citée pour la terrible description du suttee qui y est incluse. Voir : Abbé J.A. Dubois : Hindu Manners and Ceremonies, traduction sur la base des derniers manuscrits en français de l’auteur par Henry K. Beauchamp, édit. Asian Educational Services, New-Delhi/Madras, 1996. L’abbé a également réalisé une remarquable traduction du Panchatantra). Le mot sloka est devenu seloka en malais mais il a une signification bien précise : c’est un quatrain humoristique ou satirique et sa forme est celle du syair : il est monorime. Overbeck se demande alors si ce quatrain n’a pas évolué dans le temps, si, au départ il pouvait être soit monorime, soit à rimes alternées et si, avec le temps, les quatrains dont la structure était binaire, c. à d. composés d’un distique « voilé » et d’un distique « dévoilé », et en même temps à rimes alternés, étaient devenus les pantouns.
Overbeck cherche également des correspondances dans la poésie chinoise. Il note d’abord qu’on trouve des poèmes qui ressemblent, pense-t-il, aux pantouns dans le Kin-kou K’i-kouan, un ensemble de 40 nouvelles compilé de manière anonyme à l’époque Ming (aujourd’hui on écrirait plutôt : Jin gu qi guan. Il s’agit des Histoires étranges d’hier et d’aujourd’hui, une compilation non traduite en français). Et puis il découvre que le grand classique de l’antique poésie chinoise, le Livre des Odes, faisait la différence entre trois modes, le fu, mode direct, le pi, mode comparaison simple et le hsing, mode comparaison symbolique ou métaphorique. Et il donne plusieurs exemples du mode hsing tels que ceux-ci :
Les mouches bleues volettent, erratiques
Et heurtent le noisetier
Ô langue maudite qui ne sait se taire
Et blesse et nous sépare toi et moi
Les poissons là-bas, dans les roseaux
Leurs longues queues remuent paresseusement
Le Roi, lui, est ici, dans la ville de Haou
Buvant, rêvant, repoussant à plus tard ses décisions
Comme on le voit le poète chinois crée une ambiance, décrit un événement qui préparent l’esprit à ce qui va suivre. Et Overbeck de se demander si ce n’est pas à une influence chinoise qu’il faut attribuer le fait que le lien entre le premier distique du pantoun et le deuxième est si souvent aussi ténu… Et il précise sa pensée : dans le sloka indien l’image du premier distique est toujours une illustration de la pensée exprimée dans le deuxième distique. Et cette règle ne souffre guère d’exception. Alors que dans le pantoun malais, dit Overbeck, le premier distique est une « esquisse impressionniste » et l’esprit européen a souvent du mal à comprendre ce qui le lie aux deux vers qui suivent. Or dans la poésie chinoise on retrouve justement cette relation si distendue entre l’image et la pensée que l’image est censée illustrer.
A Sumatra un spécialiste local du pantoun avec lequel il passe en revue les pantouns de sa collection va plus loin encore. Il lui assure même que le premier distique n’a aucune signification particulière. Il n’est là, l’assure-t-il, que « pour la rime ». Et Overbeck note effectivement qu’un chanteur ou récitant de pantouns exprime en général ce qu’il veut dire par le deuxième distique qu’il a fixé dans sa mémoire et qu’il improvise pour le premier distique, cherchant avant tout la rime, avant de chercher « l’assonance » ou la pensée cachée. Et pour prouver ce qu’il dit, Overbeck donne toute une série d’exemples tirés du Pantun Melayu (la fameuse collection de 1250 pantouns malais des Malay Literature Series publiée par R. J. Wilkinson et R. O. Winstedt en 1914), d’une autre collection de pantouns appelée Pantun Dondang Sayang (une collection d’environ 1200 pantouns publiée par un éditeur chinois de Singapour entre 1911 et 1920) et de sa propre collection de pantouns, des exemples de pantouns dont le deuxième distique est identique (il cite 50 couples de pantouns de ce type). Mais ce n’est pas tout. Il existe aussi, dit encore Overbeck, un autre type de pantouns où c’est le premier distique qui est le plus important. Il s’agit de séries de pantouns qui racontent dans le premier distique une légende comme l’histoire de Rama par exemple (il avait déjà parlé de ces pantouns qui illustrent le Seri Rama dans une note de bas de page du Hikayat Hang Tuah). Et là encore il donne toute une série d’exemples. Et il conclut son article de la manière suivante : tout ce qui vient d’être dit semble indiquer que dans beaucoup de pantouns l’image du premier distique n’est pas forcément conditionnée par la pensée exprimée dans le second distique. Et que pour ce qui est de ce type de pantouns au moins ils suivent plutôt « la fine arabesque » de certaine poésie chinoise que la logique de l’image illustrant strictement l’idée, propre au sloka indien.
Tout ceci m’amuse énormément. Parce que je pense aux multiples réflexions formulées sur le même sujet par François-René Daillie dans sa très belle étude romancée, La Lune et les Etoiles, où l’un des deux personnages, le Français François, porte-parole ou peut-être avatar de l’auteur, n’arrête pas de pinailler, de ratiociner sur ces questions de forme alors que son ami, l’Indonésien Hafiz, se moque de lui (voir : François-René Daillie : La Lune et les Etoiles – Le Pantoun malais – Récit – essai – anthologie, édit. Les Belles Lettres, Paris, 2000).
Je crois que les Occidentaux vont encore chercher longtemps à percer l’éternel mystère du lien entre les deux distiques du pantoun. Comme on le voit avec Overbeck ce n’est pas de hier que date la controverse. C’est que le pantoun est unique. « C’est une création », un nouveau genre littéraire, dit Wignesan (voir article cité). Pour le Malais, dit-il encore, « le pantoun est un défi, un défi à son génie créateur... Pour le Malais la poésie n’est que le pantoun et le pantoun une manière de vivre » (Cela me fait penser à ce que dit du haïku, l’historien des religions japonaises, Anesaki : Le haïku a influencé le goût du peuple japonais, l’invitant à la jouissance paisible et l’observation ironique de la vie et de la nature. Au beau milieu de la vie active).
Mais Hans Overbeck n’avait pas fini avec le pantoun. En 1930 il va encore publier une grande étude sur les pantouns en langue javanaise (voir Pantoens en het Javaansch, Djawa, Vol. 10). Après une introduction, d’autant plus nécessaire que dans son article de 1922 il avait dit que la langue javanaise ne connaissait pas le pantoun, il cite 161 pantouns en javanais accompagnés de leur traduction en néerlandais. Ces pantouns il les a trouvés tout à fait par hasard, grâce à ses indicateurs, dans l’est de Java : c’étaient des textes récités ou chantés lors de représentations de loebroek, un genre de théâtre comique et populaire en dialecte javanais de Surabaya. Il constate que ces quatrains javanais respectent les règles généralement acceptés pour le pantoun malais : rimes alternées, assonance entre premier distique et deuxième et lien plus ou moins évident entre l’image du premier distique et l’idée exprimée par le deuxième. Exemple :
Un oiseau Dali saisit un papillon
Ne le doit-il pas, alors qu’il a faim ?
Es-tu déjà fiancée ou non ?
Si tu ne l’es, alors tu es mienne
J’ai été frappé, à la lecture des règles qu’il énonce, de voir qu’il considère ce qu’il appelle assonance, c. à d. le parallélisme sonore, entre le premier distique et le deuxième, comme faisant partie de la nature même du pantoun. Et cette idée il l’a probablement prise chez les autres spécialistes surtout anglais de l’époque, Winstedt, Wilkinson, etc. Or il me semble que les spécialistes francophones ont moins insisté sur cet aspect des choses. La plupart, Fauconnier, l’auteur de Malaisie, et surtout Daillie, ont été littéralement fascinés par le lien mystérieux, intellectuel, poétique, entre les deux distiques, cette belle idée de miroir, et ce n’est qu’en constatant que dans certains cas il est absolument impossible de déceler le moindre lien qu’ils ont avancé l’idée de lien phonique. Or si on admet qu’il y a toujours « assonance », alors le lien phonique existe dans tous les cas et l’autre lien, celui de l’image et de l’idée, ne fait que s’y ajouter – s’il existe ! Georges Voisset m’a fait remarquer qu’il avait indiqué dans son Histoire du Genre Pantoun (opus cité) la définition de Winstedt et Wilkinson dont la première règle s’énonçait ainsi : La sonorité de la totalité du premier vers doit suggérer la sonorité de la totalité du troisième, et la sonorité de la totalité du second suggérer la sonorité de la totalité du quatrième (Voisset préfère le mot sonorité à assonance qui, effectivement, d’après le Robert, signifie : répétition du même son, de la voyelle accentuée, à la fin chaque vers).
Autres points d’intérêt
L’Institut pour les littératures indonésiennes. Comme on l’a vu Overbeck avait une véritable idée fixe : sauver les anciens manuscrits, en faire l’inventaire, permettre leur étude et ainsi sauver l’ancienne culture et enraciner la nouvelle dans l’ancienne. C’est dans un article paru en 1930 dans la Revue Djawa qu’il explicite ses idées que le Professeur Kratz résume dans son article de la School of Oriental and African Studies à Londres (opus cité). Il demande la création d’un Institut central pour les littératures indonésiennes auquel incomberaient trois tâches : faire un inventaire de tout ce qui a été collecté à ce jour ; continuer à collecter tout ce que l’on peut encore trouver ; créer une bibliothèque centrale divisée en deux sections : livres et manuscrits en langues indigènes – bibliothèque de référence en études universitaires. Il souhaite que le Gouvernement légifère pour interdire l’exportation de tout manuscrit sans l’autorisation de l’Institut et pour obliger les éditeurs à déposer à la Bibliothèque un exemplaire de tout livre imprimé en langue vernaculaire. Il voudrait que l’Institut soit adossé à une nouvelle Faculté des Lettres, que l’Institut publie un journal trimestriel qui puisse le lier au monde extérieur, ainsi qu’une publication annuelle en anglais, intitulée The Indonesian Bibliography. Les autres publications de l’Institut devraient également paraître en anglais : journaux universitaires, éditions critiques, dictionnaires, études linguistiques, etc. C’était peut-être un peu naïf de sa part, dit Kratz, mais, hélas, cela aurait été bien nécessaire et cela manque encore aujourd’hui (le papier de Kratz date de 1979. Les choses ont peut-être changé depuis).
Littérature malaise. Huit ans plus tard, en 1938, il fait paraître, dans une autre revue érudite néerlandaise (Tijdschrift voor Indische Taal-, Land- en Volkenkunde), un autre article très riche qui, sous couvert de faire la recension d’un livre sur la littérature malaise (de Hooykaas), revient sur un certain nombre de problèmes à propos de cette littérature auxquels il s’est toujours intéressé (voir : C. Hooykaas : Over Maleische literatur). C’est encore le Professeur Kratz qui résume ses idées (opus cité).
Overbeck regrette d’abord que Hooykaas ne mentionne pas la littérature de Minangkabau. Pour Overbeck il s’agit là d’un dialecte malais et cette littérature-là a eu une influence considérable sur la littérature malaise.
Il voudrait que le pantoun soit l’objet d’études comparatives s’étendant sur toute l’Asie de l’Est et du Sud-Est. Et il pose des questions essentielles à propos du syair. Il pense que certains syairs expriment les vrais sentiments des Malais ; que les Européens ont tort de sous-estimer ce genre poétique. Il fait la différence entre créations originales et imitatives, entre poésie créative et simple versification de proses existantes. Mais il pose aussi la question de savoir pourquoi cette versification, pourquoi les textes en prose versifiés sont-ils souvent tronqués. Quelle était la fonction de cette versification ? La récitation ? La fonction mnémotechnique ?
Il pense aussi que la littérature des Penglipur Lara n’est pas inférieure à la littérature de cour et de ville mais différente (les citadins ont toujours méprisé les paysans). Il pense qu’on y trouve « l’âme du peuple » (vieille idée romantique allemande). Il croit que beaucoup de hikayats romanesques (livres de fantaisie indienne) n’ont pas des origines écrites mais proviennent du répertoire des raconteurs d’histoires du monde malais aussi bien que du monde indien, si proches à une certaine époque. Quant aux textes du wayang et des histoires de Panji ils ne sont pas nécessairement traduits du javanais mais peuvent avoir être écrits en malais par des Javanais. Et s’ils sont aussi populaires chez les Malais c’est qu’ils comblaient un manque dans leur littérature héroïque : lyrisme et romance. Enfin il estime absolument nécessaire de faire une étude générale des autres littératures indonésiennes car elles sont essentielles pour la compréhension historique de la littérature malaise.
Pour Overbeck l’ancienne littérature malaise peut être considérée comme un chapitre clos. Comme le sont les littératures latine et grecque ancienne. On peut donc se poser un certain nombre de questions fondamentales :
Qu’est-ce que le malais ? Sa réponse est assez proche, dit Kratz, des conclusions d’un livre récent, Bahasa Jawi : de taal van Sumatra, de R. Roolvink, suivant lequel le malais des textes écrits n’était pas simplement la langue d’un peuple mais une langue écrite différente des divers dialectes que l’on pouvait trouver dans tout Sumatra et qui s’est développée en une lingua franca des ports et des cours royales et utilisée par différents groupes ethniques et sociaux.
Qui étaient les Malais de Malacca et leurs successeurs de Johore, Pahang, Perak, etc. ? Dans sa définition des Malais, dit Kratz, Overbeck s’appuie sur les thèses d’un certain Duyvendak (concept d’anciens et jeunes Malais) qui sont aujourd’hui abandonnées. Mais ses comparaisons avec les Vikings (les Malais navigateurs) et avec l’hétaïrisme grec (?) lui semblent plausibles (à Kratz) !
Comment expliquer les différents types de littérature malaise ? Et Overbeck de proposer une classification qui n’est pas formelle mais thématique.
De toute façon, conclut Kratz, ce ne sont pas les réponses qu’Overbeck a essayé d’apporter, en toute modestie, à ces questions qui importent mais le fait que ce soit un non-professionnel qui les ait posées et que ces questions soient toujours aussi primordiales et restent encore aujourd’hui un challenge pour les chercheurs et vont probablement le rester encore pour un bon bout de temps.
Jeux d’enfants. Au cours des années 30 Overbeck commence des recherches de folklore, essentiellement chansons et comptines enfantines et jeux de fillettes (voir : Javaansche Meisjespelen en Kinderliedjes. Beschrijving der Spielen, Javaansche liederteksten, vertaling, Djogjakarta, 1938). L’étude qu’il publie à Jogjakarta en 1938 est ensuite reprise l’année suivante par la Revue de l’Institut Java. C’est une étude extrêmement importante (341 pages en format quarto) qui comporte 1500 chansons enfantines et comptines avec leur traduction en néerlandais et qui est amplement illustrée par des croquis et les propres photographies d’Overbeck.
Overbeck avait d’ailleurs déjà analysé un jeu d’enfants pratiqué à Java et plutôt original, le Gobag Sodor, dans la Revue Djawa, en 1934.
Lakons du théâtre wayang. L’étude du wayang l’a toujours intéressé autant à cause de ses relations avec la tradition littéraire qu’en tant que manifestation folklorique. La dernière mention que l’on a de Hans Overbeck se trouve dans une lettre envoyée à des amis par un autre Allemand éminent d’Indonésie, le peintre et musicien installé à Bali, Walter Spies, qui sera interné avec Overbeck et mourra avec lui dans le naufrage du van Imhoff. « Je suis très content », écrit Walter Spies, « dans le baraquement voisin j’ai rencontré Hans Overbeck, il a une collection de lakons javanais. On pourra les comparer avec mes lakons que j’ai collectés à Bali et on aura bien des discussions fructueuses à ce sujet ».
Mais son intérêt pour ces lakons va bien plus loin. On s’en rend compte quand on lit les nombreux articles qu’il a publiés dans la Revue Djawa de l’Institut Java et où l’on parle de lakons de wayang, de manuscrits collectionnés, de livres qui parlent de ces sujets, mais aussi de l’histoire des mouvements religieux anciens, des origines, de l’influence des légendes javanaises sur les cycles importés, wayang Ramayana et wayang poerwa (Mahabharata), du cycle local, celui du Roman de Pandji, etc. Et on se rend également compte qu’Overbeck est traité avec respect par tous les érudits éminents qui collaborent à cette Revue, et en premier lieu par le grand javanologue Thédore Pigeaud qui ne cesse de l’assister de ses conseils et de l’inciter à aller encore plus loin dans ses recherches.
Insectes. Lors de son emprisonnement en Australie il a commencé à s’intéresser aux insectes. Et comme tout ce qu’il entreprend il les étudie avec sérieux et constance, continuant ses travaux aux Indes néerlandaises et échangeant une correspondance fournie avec le Directeur du Musée zoologique de Dresde. Et on est très étonné à Brème – car Overbeck y était tombé dans l’oubli – de recevoir une lettre en 1993 d’un éminent Professeur de Sciences zoologiques australien qui demandait des nouvelles du spécialiste en insectes Hans Overbeck. La correspondance échangée entre Overbeck et le Directeur du Musée de Dresde est intéressante car elle est devenue au cours des années un peu plus personnelle. L’une des découvertes d’Overbeck, un scarabée de boue, va être baptisé de son nom. Dans une lettre pleine d’humour datée de 1933, il remercie et ajoute : pour le célibataire que je suis je trouve que c’est une très bonne solution : ces petites bêtes qui ne savent même pas qu’elles portent mon nom vont se multiplier et cela ne me coûte strictement rien de ce que m’aurait coûté l’entretien même d’un seul rejeton !
Photographie. Chambert-Loir, en mentionnant dans sa liste des traductions des grands textes de la littérature malaise (voir opus cité) la traduction de la Chronique des Malais par Overbeck dans Insulinde I, ajoute : « le volume est curieusement illustré de huit photos de Java et Bali ». Il a raison. Ces photos peuvent sembler un peu incongrues pour illustrer un texte du XVIème siècle ! Mais il faut dire que l’objet de l’éditeur était avant tout de faire connaître au public allemand non seulement une littérature complètement inconnue dans ce pays mais encore éveiller l’intérêt pour un peuple attachant et tout aussi mal connu. Et ce que Chambert-Loir ignore certainement c’est que ces photos sont de Hans Overbeck lui-même, que la photographie a été un autre de ses nombreux hobbies. Il était d’ailleurs un très bon photographe, acquérant toujours les plus récents appareils photographiques disponibles. Et c’est avant tout pour photographier les manifestations des coutumes et de la culture d’un peuple qu’il aimait profondément qu’il a utilisé son art. Il avait souhaité organiser une exposition de ses photographies en Allemagne mais cela ne s’est pas fait et le gros de ses photographies a disparu.
Hans Overbeck, dit le Dr. Kratz, était un homme modeste et qui a toujours été conscient du fait qu’à la base il était un amateur. Mais c’est son amour pour les peuples malais et javanais qui a été le moteur de tous ses travaux. Et, jusqu’au bout, il s’est battu pour que l’on sauve les anciens manuscrits, que l’on en fasse un inventaire, que l’on établisse cette bibliothèque centralisée dont il rêvait et surtout que l’on développe la recherche en créant ce fameux « Institut central pour les littératures indonésiennes ».
Cet homme était un passionné. Et il est heureux qu’on le redécouvre enfin et qu’on lui rende hommage.
Note : Il m’a semblé utile de reprendre en annexe l’ensemble de la bibliographie connue à ce jour de Hans Overbeck. Il a publié la plupart de ses articles et traductions dans trois revues scientifiques, le Journal of the Royal Asiatic Society, d’abord Straits Branch puis Malayan Branch, de Singapour auquel il a collaboré en anglais sur des sujets surtout relatifs à la littérature et le culture malaises, le Journal des Allemands de l’Indonésie, Deutsche Wacht, collaboration arrêtée lors de l’arrivée au pouvoir de Hitler, et Djawa, Tijdschrift van het Jawa-Instituut, revue à laquelle il a réservé ses écrits en néerlandais et consacrés plus généralement à la littérature et la culture javanaises. Cette bibliographie est basée sur celle comprise dans la postface du Professeur Ulrich Kratz de la réédition de deux traductions d’Overbeck par l’éditeur Eugen Diederichs en 1976. Il m’a semblé utile de la traduire et de faire suivre chaque citation, dans la mesure du possible d’un commentaire ou de quelques indications sur son contenu. Cela permet de se faire une meilleure idée des nombreux sujets auxquels il s’est intéressé et aussi, je l’espère, de mieux cerner la personnalité de cet homme fascinant.
Malheureusement seule la revue Djawa a été digitalisée systématiquement (sur le site du Royal Tropical Institute d’Amsterdam). Il ne m’a donc pas été possible d’accéder à tous les articles de JRAS (encore que beaucoup d’entre eux sont accessibles, au moins à l’écran, sur un site dénommé sabrizain) et à aucun de ceux de la Deutsche Wacht. Et ceux de Djawa sont en néerlandais, une langue que je ne fais que survoler ! Mais, heureusement, j’ai trouvé un très bon dictionnaire !
Annexe : Bibliographie commentée de Hans Overbeck
(Cette bibliographie s’appuie essentiellement sur celle établie par le Professeur Ulrich Kratz dans la postface à la réédition de la Chronique des Malais et de l’Histoire de Hang Tuah faite par Eugen Diederichs en 1976. Les traductions et commentaires en français sont de moi)
Traductions, études et articles en langue allemande
Livres
Hikayat Hang Tuah, die Geschichte von Hang Tuah, von dem Malayischen übersetzt von H. Overbeck, édit. Georg Müller, Munich, 1922 (deux tomes, 650 pages)
Première traduction complète en langue occidentale de l’Histoire du preux Hang Tuah, grand guerrier et Laksama (amiral) du Royaume de Malacca. Nombreuses notes explicatives. En annexe une correspondance entre le Hikayat Hang Tuah et la Sejarah Melayu pour ce qui est des faits relatés dans le premier des deux ouvrages.
La traduction est basée sur le texte publié en écriture latine dans les Malay Literature Series de l’éditeur Methodist Publishing House à Singapour par W. G. Shellabear.
Insulinde I, Malaiische Weisheit und Geschichte. Einführung in die Malaiische Literatur. Die Krone aller Fürsten. Die Chronik der Malaien. Aus dem Malaiischen übertragen von Hans Overbeck. Edit. Eugen Diederichs, Iéna, 1927.
Comprend une Introduction à la Littérature malaise la classant en différentes catégories et citant un grand nombre de textes en en indiquant le contenu, ainsi que : la Couronne de tous les Princes (Makota Segala Raja) et la Chronique des Malais (Sejarah Malayu) en traductions abrégées avec introductions et notes.
La traduction du Makota Segala Raja est basée sur la publication du texte malais faite par P. P. Roorda van Eysinga à Batavia en 1827. Celle du Sejarah Malayu est basée sur la publication des textes en écriture malaise (1896, 3ème édition 1913) et en écriture latine (1899, 2ème édition 1909) par W. G. Shellabear chez la Methodist Publishing House à Singapour.
Insulinde II. Malaiische Erzählungen : Romantische Prosa – Lustige Geschichten – Geschichten vom Zwerghirsch, aus dem Malaiischen übertragen von Hans Overbeck, Eugen Diederichs, Iéna, 1925.
Débute sous le titre Prose romantique, après une introduction, par cinq histoires du Penglipur Lara, le conteur itinérant dit « Consolateur des Peines », dont la première, l’Histoire de Raja Muda, est traduite en entier, les quatre autres, Malim Dewa, Malim-Deman, Awang Sulong Merah Muda et Anggun Tsche Tunggal, étant simplement résumées. Les Histoires comiques (Tscherita Jenaka), après une nouvelle introduction, sont composées de traductions abrégées de Pa Pandok, Pa Kadok, Lebai Malang, Pa Bilalang et Si Luntschai. Puis viennent des Histoires du cerf-nain, dont l’une est traduite entièrement : l’Histoire de Sang Cerf-nain, et les deux autres sont résumées : l’Histoire du rusé Cerf-nain (Hikayat Pelanduk Jenaka) et l’Histoire du Cerf-nain et des jeunes loutres. En postface : quelques commentaires et une bibliographie du cycle Cerf-nain.
La traduction des cinq histoires du Penglipur Lara est basée sur le texte publié par R. O. Winstedt dans les Malay Literature Series à Singapour. C’est également le cas des Histoires comiques – Cherita Jenaka. La traduction des Histoires de cerf-nain est basée sur une publication de O. T. Dussek en 1915 dans les Malay Literature Series de Singapour.
Malaiische Chronik / Hang Tuah, aus dem Malaiischen übersetzt von Hans Overbeck, Eugen Diederichs Verlag, Dusseldorf-Cologne, 1976.
Préface du Professeur de l’Université de Francfort Otto Karow ; reprise du texte de la traduction de Sejarah Malayu de l’édition de 1927 ; extraits seulement de la traduction intégrale du Hikayat Hang Tuah de 1922 (200 pages au lieu de 600 et sans l’annexe) ; postface du Professeur Dr. Ulrich Katz, avec une biographie et une bibliographie complète des travaux de Hans Overbeck.
Articles
Malayische Pantuns, Deutsche Wacht, Batavia, 1923, N° 9.8, P. 26-35
Pantouns malais. Cet article est postérieur à l’article de fond qu’Overbeck avait publié en anglais en 1922 dans le Journal of the Royal Asiatic Society, Straits Branch, de Singapour. Voir plus loin.
Auslandshilfe. Laiengedanken über eine Zentralstelle für die deutsche Wissenschaft, Deutsche Wacht, Batavia, 1926, N° 12.1, P. 8-11
Overbeck suggère la création d’une organisation centralisée pour la science allemande qui pourrait recueillir les éléments culturels et ethnologiques que voudraient bien collecter des non-spécialistes (amateurs curieux) lors de leurs séjours à l’étranger !
Buchbesprechung: C. C. Berg, Pranajitra, Deutsche Wacht, Batavia, 1931, N° 17.1, P. 19-20
Recension du livre de C. C. Berg, paru en 1930 : Pranajitra, een Javaansch liefde uit het Javaansch vertaald (Pranajitra, une histoire d’amour javanaise traduite du javanais).
Buchbesprechung: C. A. Mees, Beknopte Maleise Grammatica, Deutsche Wacht, Batavia, 1932, N° 18.7, P. 16a
Recension de la Grammaire malaise abrégée de C. A. Mees.
Articles et traductions en allemand parues sous le pseudonyme Si Anoe
(toujours d’après le Professeur Ulrich Kratz. Si Anoe signifie N. N., c. à d. Anonyme)
Javanisches Theater, Deutsche Wacht, Batavia, 1922, N° 8.4, P. 31-33
Théâtre javanais.
Komedi Stamboel, Deutsche Wacht, Batavia, 1922, N° 8.6, P. 29-32
Théâtre de rue mélangeant de manière comique textes et musique européens avec couleur locale et très prisé à l’époque tant en Malaisie qu’à Java.
Spiele der Völker, Deutsche Wacht, Batavia, 1923, N° 9.11, P. 31-33
Les jeux des peuples.
Karapan Madoera, Deutsche Wacht, Batavia, 1924, N° 10.1, P. 33-36
Course de taureaux (Karapan) à Madura. Une description très vivante de cet événement a été reprise par Overbeck en 1926 dans la revue Djawa. Voir ci-dessous.
Aus der Schulzeit Abdullah Hadji Muhammad Musa, Lehrgedicht aus dem Sundanesischen, Deutsche Wacht, Batavia, 1925, N° 11.1, P. 53-54
Du temps où Abdullah Hadji Muhammad Musa était à l’école, poème didactique traduit du soundanais
Ali Muhtar von Raden Hadji Muhammad Musa, Lehrgedicht aus dem Sundanesischen, Deutsche Wacht, Batavia, 1926, N° 12.12, P. 25-34 et 1927, N° 13.2, P. 27
Ali Muhtar de Raden Hadji Muhammad Musa, poème didactique traduit du soundanais.
Die Geschichte von Abdurahman und Abdurahim von Raden Hadji Muhammad Musa, Deutsche Wacht, Batavia, 1927, N° 13.4, P. 33-38; N° 13.5, P. 37-42; N° 13.6, P. 33-38 et N° 13.7, P. 33-37
L’Histoire de Abdurahman et Abdurahim de Raden Hadji Muhammad Musa.
Articles (traductions et études) en langue anglaise
Shaer Burong Punggok, Journal of the Royal Asiatic Society, Straits Branch, Singapour, 1914, N° 67, P. 193-218
C’est le fameux Syair du Hibou amoureux de la lune dont Georges Voisset a traduit le début dans ses Sonorités pour adoucir le souci (voir la note ci-dessus sous Insulinde I et opus cité). Overbeck s’est basé sur un vieux livre trouvé dans une vente aux enchères à Batavia, mal imprimé (à Padang), en caractères malais, et qui date de 1881. Il en a fait une transcription en caractères latins en s’aidant d’une version moderne éditée à Singapour, mais fautive et citant les quatrains dans le désordre. Le poème complet comporte 208 quatrains. Overbeck ne semble pas avoir noté la similitude entre le couple hibou-lune et le couple indien cakora-lune.
The “Rejang” in Malay Pantuns, Journal of the Royal Asiatic Society, Straits Branch, Singapour, 1914, N° 67, P. 219-220
Le « Rejang » dans les pantouns malais. Les Rejangs, dit Overbeck, sont les parties dans lesquelles est divisé le mois lunaire (dans le cas qui nous intéresse ici ce sont donc les jours du mois). W. W. Skeat en a parlé dans sa Malay Magic qui date de 1900. Il citait des Syairs qui servaient à les mémoriser et donnait une liste des symboles qui les caractérisaient. Overbeck a découvert que les Rejangs apparaissent également dans les pantouns. Il possède, parmi ses collections de pantouns, trois séries de pantouns dédiés aux Rejangs : Rejang Siak (incomplet), Rejang Sindiran (30 pantouns) et Rejang Sombang (30 symboles, mais il a trouvé la même série dans la collection Pantun Dondang Sayang de l’éditeur chinois Koh and Co de Singapour avec 31 symboles). Dans les deux premières séries chaque pantoun est consacré à un jour, c. à d. à un symbole et ce symbole apparaît comme premier mot du premier vers, par exemple « kuda » (cheval) qui correspond au premier jour :
Kuda hanoman dari Acheh
La troisième série, Rejang Sombang, est plus complexe : le mot qui signifie le symbole est placé à la fin du premier vers et chaque pantoun dédié à un symbole est suivi de trois autres (et même à partir du 21ème de quatre autres) pantouns. A la fin de son article Overbeck fait une liste des 30 symboles qui apparaissent dans ses trois séries de pantouns et la compare à la liste donnée par Skeat dans sa Malay Magic. Quand Overbeck établira plus tard une classification des 2000 pantouns qu’il a collectionnés en une quarantaine de catégories, il en placera près de 200 dans la catégorie Rejang. Ni François-René Daillie ni Georges Voisset ne mentionnent ce type de pantouns. Georges Voisset, interrogé, dit qu’ils manquent de densité poétique. Comme Overbeck n’en a traduit aucun, il m’est difficile d’en juger.
Ceci étant le Rejang est un phénomène bien plus complexe que l’on ne peut réduire à la correspondance d’un jour du mois à un symbole ou une image. Sinon Skeat ne l’aurait pas cité dans son livre sur la magie. Il y a des jours fastes et même des heures fastes et d’autres qui ne le sont pas ou sont même néfastes. On trouve plusieurs exemples de ce type de jours fastes ou d’heures ou d’intervalles entre deux jours de la semaine dans Hikayat Hang Tuah, dans Hikayat Raja Pasai, dans Hikayat Raja Muda, etc (pour un voyage, un combat, un mariage p.ex.). Et l’anthropologue Fritz Graebner que Overbeck a rencontré dans son camp de prisonniers en Australie et avec lequel il a discuté du Rejang comme il a discuté du cerf-nain le compare à différents systèmes de calendriers de l’ancien monde et du nouveau (Chine et Mexique entre autres) et de leurs liens avec la divination et la magie (voir la Zeitschrift für Ethnologie de Berlin de 1921, opus déjà cité). On apprend d’ailleurs que les symboles du Rejang malais peuvent également s’appliquer à des semaines, etc. Impossible d’évoquer tout cela ici. Ce que j’ai surtout trouvé intéressant c’est que Graebner donne la signification d’un grand nombre des symboles Rejang et que l’on constate que les premiers 19 représentent des animaux (comme dans l’astrologie chinoise). Ainsi on a l’ordre suivant : 1) kuda-cheval, 2) kidjang-cerf, 3) harimau-tigre, 4) kutjing-chat, 5) simpai-singe, 6) kerbau-buffle, 7) tikus-souris, 8) lerabu-bœuf, 9) andjing-chien, 10) naga-dragon, 11) kembing-chèvre, 12) nmiang-fleur de palmier ( ?), 13) gadjah-éléphant, 14) singa-lion, 15) ikan-poisson, 16) babi-cochon, 17) lang-faucon, 18) halipan-mille-pattes (dans Rejang Sombang le 18 est kala, le scorpion), 19) baning-tortue. Le 20 c’est hantu, esprit ou fantôme, le 21 arang, le charbon (?). Le 22 c’est Orang, l’homme (sauf dans le Rejang Sombang où c’est Shaïtan, c. à d. Satan !). Le 26 dans le Rejang Sindiran est pelanduk, le cerf-nain ! Le 29 dans Rejang Sombang est pontianak, le loup-garou, et dans Rejang Sindiran c’est ular, le serpent. Enfin le 30 c’est sani, le petit serpent.
New Notes on the Game of « Chongkak », Journal of the Royal Asiatic Society, Straits Branch, Singapour, 1915, N° 68, P. 7-10
Nouvelles notes sur le jeu de « Chongkak » (le jeu avait déjà été décrit par Hellier dans la même Revue, N° 49, décembre 1907). Jeu observé par Overbeck à Surabaya et qu’il avait déjà vu jouer à Singapour. Se joue sur une planchette : chaque joueur a devant lui 9 trous (ou plutôt creux) et un autre sur sa gauche appelé rumah. On remplit au début du jeu chaque trou de 9 grains (semences), puis chaque joueur prend tous les grains d’un trou et les met un par un dans les trous placés à la gauche du trou de départ. Celui qui a réussi à vider tous ses trous a gagné. Le nom javanais du Chongkak est Dakon. Les joueurs de Surabaya qui étaient des coolies de Madura lui disent que c’est plutôt un jeu de femmes. Un voyageur de Ceylan rencontré sur le bateau de retour lui apprend que le jeu est également connu à Ceylan et qu’à l’origine c’est un des plus anciens jeux connus de l’Inde et qu’on en trouve la reproduction sur certains temples.
The Malay Pantun, Journal of the Royal Asiatic Society, Straits Branch, Singapour, 1922, N° 85, P. 4-28
Article fondamental sur l’origine du pantoun et les correspondances entre pantoun et formes poétiques d’autres cultures. Voir l’analyse de l’article dans la note ci-dessus sous Pantouns.
Shaer Raksi, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1923, N°1,2, P. 282-307
Un poème que Overbeck avait classé dans les poèmes didactiques (Lehrgedichte) mais qui est en fait un poème de magie et de divination. Overbeck s’est basé sur une impression litho de Singapour datée de 1915 et dont le scribe (ou l’auteur) est Raja Ahmad Hadji de Riaou. Le poème comportait 6 parties, Overbeck a transcrit et traduit les parties 1, 2 et 6. Voir ce qui en est dit dans la note ci-dessus sous Insulinde I. Chambert-Loir dit que le poème comportait 145 strophes (quatrains ?).
Some ants from Singapore and neighbouring places, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1924, N° 2.1, P. 25-40
De certaines fourmis de Singapour et environs. Overbeck était aussi un entomologiste amateur !
Malay customs and beliefs as recorded in Malay literature and folklore, I, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1924, N° 2.3, P. 280-288.
Coutumes et croyances malaises telles qu’elles ressortent de la littérature et du folklore malais, 1ère partie. Overbeck entreprend ici une étude ethnologique basée sur la lecture des grands Hikayat historiques ainsi que sur les Histoires du Penglipur Lara. L’étude a paru en trois parties en 1924 et 25. La première partie concerne tout ce qui est relatif à la naissance (du comportement des femmes enceintes jusqu’au traitement du nouveau-né), la deuxième l’enfance et l’éducation (vous pouvez faire ce que vous voulez à mon enfant, disent les parents au maître, sauf lui blesser les yeux et lui casser bras et jambes), la troisième le mariage (depuis la quête de l’épouse jusqu’au bain du couple après la nuit de noces).
Malay customs and beliefs, II/III, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1925, N° 3.1, P. 53-57 / N° 3.3, P. 22-30.
Idem, 2éme partie (enfance et éducation) et 3ème partie (mariage).
Malay manuscripts in Public Libraries in Germany, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1926, N° 4.2, P. 233-259.
Manuscrits malais dans les Bibliothèques publiques en Allemagne (tentative pour en dresser un inventaire).
Silsilah Melayu dan Bugis dan sakalian Raja-rajanya, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1926, N° 4.3, P. 339-381.
Généalogie des Malais et des Bugis et de leurs princes (en fait c’est l’histoire de la pénétration d’une famille princière bugis des Célèbes du Sud à Bornéo et en Malaisie). Voir ce qui en est dit dans la note ci-dessus sous Insulinde I. D’après Chambert-Loir l’auteur serait Raja Ali Haji bin Raja Ahmad et Overbeck se serait appuyé sur une édition parue à Singapour en 1900.
Note on the word “selaseh”, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1926, N° 4.3, P. 420-421.
Note sur le mot « selaseh » (basilic). Le basilic est symbole d’amour dans la poésie malaise. Le mot rime avec « laseh », l’aimée. Overbeck pense qu’il y a peut-être une origine indienne : en effet en Inde il y a une relation entre basilic et mariage.
Hikayat Ganja Mara, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1928, N° 6.2, P. 45-79.
Une histoire liée à la pénétration musulmane. Voir ce qui en est dit dans la note ci-dessus sous Insulinde I. Le Hikayat a paru en impression litho à Perang en 1885. Il aurait été imprimé à partir d’un manuscrit appartenant à un commerçant européen. Chambert-Loir ne le mentionne pas.
Shaer Ta’bir Mimpi, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1929, N° 7.2, P. 338-375.
Un poème classé par Overbeck dans les poèmes didactiques mais qui est en fait un poème sur l’interprétation des rêves. Voir ce qui en est dit dans la note ci-dessus sous Insulinde I. Overbeck s’est basé sur une lithographie publiée à Singapour en 1908. D’après Chambert-Loir le poème comportait 184 strophes (quatrains).
Hikayat Sultan Bustamam, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1931, N° 9.1, P. 35-122
Une légende sur la conversion des peuples infidèles à l’Islam Voir la note ci-dessus sous Insulinde I. Basé sur une impression litho ayant paru à Singapour en 1914. Chambert-Loir cite cette traduction d’Overbeck en disant : « c’est encore une fois une paraphrase abrégée mais si longue qu’elle mérite d’être mentionnée ».
Shaer Dandan Setia, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1932, N° 10.1, P. 141-158
Le Syair Dandan Setia. Un très long poème de près de 5400 quatrains (!) qui décrit les combats livrés par le Prince Dandan Setia contre des esprits, des fées et des dieux pour récupérer sa fiancée volée. Overbeck se base sur une litho-impression récente parue à Singapour. On en a fait un drame qui est représenté au théâtre quatre soirs de suite, dit Overbeck !
Hikayat Maharaja Ravana, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1933, N° 11.2, P. 111-132
Le Hikayat du Maharaja Ravana. Non mentionné par Chambert-Loir. En fait il s’agit d’une variante du Seri Rama découverte par Overbeck dans les collections de la Preussische Staatsbibliothek de Berlin. Intitulé Hikayat cheritera Maharaja Ravana, il s’agit d’un texte tardif qui n’est mentionné nulle part dans les nombreuses études sur le Seri Rama connues à l’époque et qui, bien que très fautif (lacunes, mauvais travail des scribes copieurs), comporte certaines particularités remarquables. Overbeck en entreprend un long résumé d’une vingtaine de pages (une longue paraphrase résumée aurait pu dire Chambert-Loir s’il avait eu connaissance de cet article).
The Answer of Pasai, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1933, N° 11.2, P. 254-260
La réponse de Pasai. Overbeck cherche à percer le mystère d’un passage du chapitre XX du Sejarah Malayu (La Chronique des Malais). C’est d’ailleurs un passage qu’il avait traduit dans son Insulinde I. Mansour Shah, le Sultan de Malacca, envoie un émissaire à Pasaï qui semble être devenu à l’époque le grand centre de l’Islam de la région, pour poser deux questions aux plus hauts dignitaires religieux du Royaume : les heureux élus qui ont gagné le paradis y resteront-ils pour l’éternité ? Et les malheureux condamnés à l’enfer y resteront-ils pour l’éternité ? Le maître religieux de Pasaï, Makhdum Muda répond d’abord oui aux deux questions, puis le Roi de Pasaï vient le voir le soir en lui disant : si on t’a envoyé exprès un émissaire ce n’est peut-être pas pour obtenir une réponse aussi simple. Alors Makhdum Muda reçoit à nouveau l’émissaire de Malacca, cette fois-ci en tête-à-tête, et lui dit qu’en public il ne pouvait répondre autrement, mais qu’en privé la réponse était un peu plus nuancée. Au retour le Roi de Malacca est très content de la réponse et fait battre les tambours. Oui, mais quelle était réellement la réponse ? Le texte ne le dit pas. Alors Overbeck consulte le Coran et les exégètes musulmans et en tire la conclusion suivante : comme les textes sacrés disent « y demeureront pour toujours » dans les deux cas mais n’ajoutent « éternellement » que dans le cas du paradis, certains exégètes en ont déduit que certains damnés, après avoir, grâce à leurs souffrances, pris conscience de toute la splendeur divine, ont pu être délivrés de l’enfer. Il s’agit là d’une doctrine qui a pu exister à l’époque à Pasaï et Malacca, mais qui, étant hérétique, ne pouvait être exprimée explicitement !
Malay Animal and Flower Shaers, Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, Singapour, 1934, N° 12.2, P. 108-148.
Des syairs malais de fleurs et d’animaux. Overbeck en cite 26, dont 20 qu’il connaît bien et dispose des manuscrits et 6 autres dont il ne connaît que le contenu. Overbeck, reprenant la théorie de H. C. Klinkert exposée dans un texte de 1866, est persuadé que ces animaux ou fleurs étaient en réalité les symboles de personnages réels et que leurs amours étaient souvent basées sur des faits réels et sur des personnages connus qu’on n’osait pas citer nommément. C’est ainsi qu’il intitule le premier de ces syairs, le Burong Pongkok dont on a déjà parlé, une « Affaire d’Etat », puisqu’il s’agissait, paraît-il, de l’histoire d’un Prince de Malacca qui s’était vu refuser la Princesse de Siak. Il classe quatre autres syairs dans la catégorie : « Amours dans les hautes sphères » et cinq syairs dans une catégorie intitulée : « Amours de Marchands Voyageurs ». Cette théorie qui est de toute façon un peu dépassée aujourd’hui, semble-t-il, ne s’applique évidemment pas à la catégorie qu’il appelle « didactique » (deux syairs) mais qui me semble plutôt religieuse. Il y a encore un cinquième groupe de syairs qu’il renonce à classer et qui sont des syairs malais de Java. Leur langue, dit-il, est intermédiaire entre le malais littéraire et le malais de bazar. Overbeck fournit de longs résumés d’une grande partie des syairs cités (on se rend d’ailleurs compte que la plupart sont très longs, qu’ils racontent des histoires très circonstanciés avec de nombreux détails) et traduit certains extraits des poèmes (pour certains échanges amoureux on passe au pantoun !). Overbeck répète ce qu’il avait déjà dit ailleurs (voir ci-dessus :
Autres points d’intérêt, Littérature malaise) : les Occidentaux ont tort de mépriser cette forme poétique (les Syairs). Il ne voit pas d’influence extérieure pour ce qui est des syairs d’animaux et de fleurs, même si on connaît le fameux poème persan du Rossignol amoureux de la Rose (ce qui conforterait ce que Georges Voisset a dit à propos de l’influence persane). Il pense que l’origine est avant tout locale : c’est l’amour du Malais pour la métaphore…
Articles (traductions et études) en néerlandais
Petroek als Vorst, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 2, N° 4, décembre 1922, P. 169-172.
Compte-rendu d’une représentation théâtrale (en javanais) à Semarang où l’on a joué des fragments de la pièce : Petroek devenu Prince (le plus jeune des deux fils de Semar, grâce à un talisman qu’il a trouvé, devient Souverain d’un Royaume. Seul son frère Nala-Gareng, arrive à l’en déloger). Overbeck s’interroge alors sur l’origine mystérieuse, probablement locale, pré-indienne, du trio Semar, Petroek et Garang, les panakawans, les serviteurs-bouffons du théâtre wayang.
Dans la postface à une réédition récente du Voyage de Paris à Java de Balzac (Les Editions du Pacifique, 1995) Jacques Dumarçay nous apprend qu'une pièce de théâtre intitulée Petruk devient roi a été écrite par le sultan Amengkububwana V en 1830, juste après la révolte du prince Diponegro qui a provoqué ce que l'on a appelé la guerre de Java (1825-1830) et après la révolution belge contre Guillaume d'Orange. Dans cette pièce, "cruelle pour les Hollandais", dit Dumarçay, Petruk se dit "Pourfendeur de Belges"! "L'allusion à Guillaume d'Orange était transparente pour tous à Java à cette époque", ajoute Dumarçais.
De Javaansche legende van Kin Tamboehan in de maleische literatuur, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 4, N°1, janvier 1922, P. 38-43.
La légende javanaise de Kin Tamboehan (Ken Tambuhan) dans la littérature malaise. C’est une analyse comparative de deux versions de cette très belle légende. Le premier texte a été publié à Breda par J. J. de Hollander et compte 312 quatrains. Le deuxième est une litho-impression parue chez Hadji Mohammed Amin à Singapour en 1915 et est longue de 1523 quatrains. C’est de toute façon une très belle légende : voir la magnifique traduction de plusieurs extraits du Syair qui la raconte dans Sonorités pour adoucir le souci de Georges Voisset (opus cité).
Een onderzoek naar de geestesgesteldheid bij den Javaan met behulp van platen, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 4, N°2, avril 1924, P. 132-139.
Une étude de l’état mental des Javanais à l’aide d’images. Comment transposer des méthodes utilisées dans des cliniques européennes pour soigner névroses et psychoses à l’aide d’images dans un environnement social, intellectuel et culturel différent (javanais) !
Java in de Maleische Literatuur, Djawa, Weltevreden, Vol. 5, N°2, avril 1925, P. 63-72.
Java dans la littérature malaise, 1ère partie. Il s’agit là d’une étude importante entreprise par Overbeck pour suivre à la trace toute l’histoire des Javanais (et leur influence culturelle) telle qu’elle apparaît dans l’ancienne littérature malaise. Elle a été publiée en 5 parties dans Djawa entre 1925 et 32. L’étude est trop importante pour être résumée en quelques phrases. Disons simplement qu’Overbeck commence à réétudier les deux Histoires qu’il avait traduites (entièrement ou partiellement), Sejara Melayu (La Chronique des Malais) et Hikayat Hang Tuah (Histoire de Hang Tuah) en recherchant tout ce qui a trait à Java, puis il s’attaque au Hikayat Radja-Radja Pasai, l’histoire du Royaume de Pasai au nord de Sumatra. Dans la 4ème partie il étudie la littérature orale, et en particulier un texte paru dans les Malay Literature Series du Journal of the Royal Asiatic Society, Malayan Branch, et faisant partie du stock des histoires de Penglipur Lara : l’histoire de Terong Pipit. Enfin, dans la cinquième partie de son étude, il analyse un manuscrit malais qu’il a pu acquérir à Palembang, le Hikayat Galoeh di-gantoeng, analyse qu’il fait encore suivre (sur l’incitation du Dr. Théodore Pigeaud, dit-il) par les textes originaux et les traductions de trois histoires qui en font partie et qui semblent être des histoires de wayang : Wajang Koelit à la Cour de Gagelang, Topeng (spectacle avec danse masquée) et Poelir. Il revient au même Hikayat dans une sixième partie de l’étude où il reprend un extrait de texte et sa traduction relatifs à un épisode plutôt curieux, l’un des personnages, Inoe, étant transformé en femme, ainsi que ses deux serviteurs, par le Batara Goeroe, puis envoyé à Daha où il doit apparaître comme un dalang femme et vaincre le Kelana Djeladri dans une lutte de danses et de tir. Autre curiosité : il doit retrouver sa forme originale en résolvant les énigmes qui lui sont posées (en javanais !). Overbeck a été aidé par Théodore Pigeaud pour la traduction et pour les énigmes. En fait ce sont deux manuscrits qu’il avait ramenés de Palembang, le Hikajat Galoeh di-gantoeng et le Hikayat Temenggoeng Aria Wangsa. Les deux, dit Overbeck, sont des dits relatifs à l’ancien Roman de Pandji et commencent tous les deux par une généalogie de Pandji. Le manuscrit du deuxième Hikayat se trouve aujourd’hui, nous dit le Professeur Kratz, au Musée Central de Jakarta (voir ci-dessous).
Javaansche cultuur in Javaansche scholen, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 5, N°2, juillet 1925, P. 237-238.
La culture javanaise dans les écoles javanaises. Contribution à l’occasion du Congrès de l’Institut Java tenu du 24 au 27 décembre 1924 à Jogjakarta. La question à laquelle Overbeck s’efforce de répondre est la suivante : comment faire pour que dans l’éducation des élèves on fasse davantage justice à l’ancienne culture malaise.
Java in de Maleische literatuur, II / III, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 6, N°1, janvier 1926, P. 3-10 /Vol. 6, N°3, septembre 1926, P. 139-144.
Java dans la littérature malaise, 2ème partie (Hikayat Hang Tuah) et 3ème partie (Hikayat Radja-Radja Pasai).
Ketimpoeng, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 6, N°2, avril 1926, P. 89-90.
Ketimpoeng (ou Ketjimpoeng ou Ketimboeng) est un jeu sonore sans instruments pratiqué par des nageurs ou nageuses dans l’eau. Gigotant, barbotant, tapant des pieds ou des mains. On le retrouve dans deux histoires du Penglipur Lara (voir note ci-dessus sous Insulinde II) : dans Malim Deman les sept princesses vont se baigner et s’amuser en faisant ketimpoeng :
« Barbotant vers l’aval,
Barbotant vers l’amont,
Barbotant avec les pieds,
Barbotant avec les mains… »
Elles font des sons comme « clarinette et trompette », comme « tambour et gong », comme « violon et luth », et chantent divers airs, et les singes restent fascinés sur leurs branches, les oiseaux arrêtent leur vol, et l’eau qui coule vers l’aval revient vers l’amont ! Même jeu dans Malim Dewa exécuté par la princesse Andam Dewi et ses compagnes dans le jardin d’agrément de son père. Overbeck pense avoir entendu un tel jeu il y a longtemps, lors de son arrivée à Batavia, jeu pratiqué par des femmes se baignant dans une rivière et battant l’eau avec le creux de leurs mains suivant certains rythmes.
Karapan, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 6, N°4, décembre 1926, P. 271-275.
Karapan (course de taureaux traditionnelle). Overbeck nous livre ici un véritable reportage journalistique, illustré de nombreuses photos sur cette course traditionnellement organisée à Madura et à laquelle il a pu assister en s’y rendant en bateau à partir de Surabaya. On accouple deux taureaux auxquels on attelle une espèce de traîneau sur lequel se tient le conducteur. Plusieurs courses selon les catégories (les vieux « professionnels », les taureaux de deux à quatre ans et les jeunes d’un an). Les gens accourent de partout, c’est la grande fête populaire et joyeuse, mais il n’y a pas de paris.
karapan à Madura
De Ouderdom van de Wajang-Wong, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 7, N°3, septembre 1927, P. 245-252.
De l’ancienneté du wayang-wong. On sait qu’il s’agit là d’une représentation théâtrale dansée (avec un dalang, dit Overbeck, qui dit les textes qui lient et accompagnent les danses). La thèse qui prévaut à son époque (origine récente, premier souverain de Djokja, ou 1ère Cour de la dynastie da Mangkoengara, inventeur Pangeran Adipati Aria Mangkoenegara IV sur la base de relations de Poerwa, Pandji ou Damar Woelan) est mise en doute (certains y voient une influence de l’opéra chinois). Overbeck pose beaucoup de questions, consulte de nombreux auteurs (dont Rassers), invoque bas-reliefs, littérature javanaise (Histoire de Pandji), assiste à des représentations, dont une à Surabaya, de style Solo (plus majestueux, dit-il, alors que le style Djokjo, rapide, acrobatique même, a pu donner l’impression d’une influence chinoise). Il conclut à une tradition bien plus ancienne indo-javanaise mais reste très prudent et joue à l’amateur en mettant en exergue une phrase en allemand : Ein Narr fragt mehr, als zehn Weise beantworten können (Un fou pose tellement de questions que même dix sages ne sont guère capables d’y répondre !).
Java in de Maleische Literatuur, IV, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 9, N°4, novembre 1929, P. 219-233.
Java dans la littérature malaise, 4ème partie (Terong Pipit).
Hikayat Tjindawan Poetih, Feestbundel Koninklijk Bataviaasch Genootsschap van Kunsten en Wetenschappen, Deel II, Weltvreden, 1929, P. 246-263.
Hikayat Tjindawan Poetih, article paru dans le Recueil commémoratif de la Société Royale Batave des Arts et des Sciences (Vol. II), Weltvreden (commémorant les 150 ans de sa création). Overbeck collaborait parfois à la Revue de l’Association qui paraissait de manière irrégulière et qui s’appelait : Tijdschrift voor Indische Taal-, Land- en Volkenkunde, Batavia.
Een centraal institut voor de Indonesische literaturen, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 10, N°1, janvier 1930, P. 107-114.
Un plaidoyer pour la création d’un institut central pour les littératures indonésiennes (texte important). Voir ce qu’on en dit dans la note ci-dessus sous :
Autres points d’intérêt : L’Institut central pour les littératures indonésiennes.
Pantoens in het Javaansch, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 10, N°4, octobre 1930, P. 208-230.
161 pantouns en langue javanaise avec leur traduction en néerlandais, et une introduction explicative. Voir note ci-dessus sous Pantouns.
Een te weinig bekende verkorte vertaling van het Mahabharata en het Ramayana, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 11, N°2, avril 1931, P. 119.
Deux récits condensés et trop peu connus du Mahabharata et du Ramayana. Les récits dont il s’agit sont des récits en vers, en langue anglaise, et sont dus à l’Indien Romesh Chandra Dutt. Ils ont été publiés par Everyman’s Library dans leur série Temple Classics. Overbeck les recommande chaudement à ses lecteurs.
Eenige opmerkingen naar aanleiding van « Over den oorsprong van het Javaansche toneel », door Dr. W. H. Rassers, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 12, N°1, janvier 1932, P. 11-20.
Quelques observations induites par l’ouvrage : Sur l’origine du théâtre javanais du Dr. W. H. Rassers (la fameuse étude de l’ethnologue Wilhelm Huibert Rassers sur l’origine locale pré-indienne du théâtre d’ombres javanais qui avait paru en 1931 et qui faisait suite à ses publications précédentes sur le Roman de Pandji et Sur le sens du drame javanais). A noter que certains textes de Rassers ont été publiés en anglais par le Koninklijk Instituut voor Taal-, Land- en Volkenkunde de La Haye en 1959 sous le titre général de Panji, the culture Hero, a structural study of religion in Java. On y trouve entre autres : On the Meaning of Javanese Drama et On the Origin of the Javanese Theatre. Overbeck ne semble pas tout à fait convaincu par ce que dit Rassers à propos du rôle de l’écran et de la séparation entre initiés et non-initiés mais cherche à comprendre à la suite de Rassers la « symbolique » du théâtre d’ombres. C’est ainsi qu’il analyse un poème javanais dont il a eu copie, intitulé Dadoeng Awoek (et dont le contenu coïnciderait avec un autre poème javanais, Gatolodjo), et qui relate une controverse (ou la réponse à une énigme) pour savoir lequel des quatre éléments essentiels du théâtre d’ombres est le premier (« le plus ancien, le plus vénérable »), l’écran, la lampe, les ombres ou le dalang. La réponse, semble-t-il, est la suivante : c’est celui qui organise la performance, le vieil homme solitaire, ici appelé Kjai Sepi, le Dieu suprême, Allah dans la tradition musulmane, mais plus probablement Batara Goeroe, l’ancien Dieu suprême javanais qui est celui qui inspire le dalang qui anime l’écran et c’est la lampe, lumière divine qui fait vivre les ombres. Conclusion de ce texte, d’après Overbeck : la représentation du wayang est le symbole de l’existence humaine qui réveillée, sort des ténèbres, joue son rôle dans le monde, avant de retomber à nouveau dans les ténèbres. Le Kjai Sepi connaît le plan, mais ne s’occupe guère des détails, donne l’idée au dalang (comment cette vie va se dérouler) et le dalang, lui, la raconte, et ne peut faire autrement. Quel lien avec les théories de Rassers ? Celui-ci : ceux qui sont assis derrière l’écran, côté dalang, les initiés, comprennent le véritable sens de la pièce, les autres, ceux assis de l’autre côté, les non-initiés, ne voient que l’histoire apparente qu’on leur raconte. Moi, cette histoire me rappelle le fameux quatrain d’Omar Khayam :
«Au sens propre et non point par métaphore,
Nous sommes des marionnettes dont le ciel s'amuse à tirer les ficelles.
Nous jouons quelque temps sur l’échiquier de l’existence
Et puis, nous retombons une à une dans la caisse du néant!»
Overbeck dit aussi qu’il est un peu déçu que Rassers ne parle guère du théâtre d’hommes, à part le théâtre masqué (topeng). Il aurait voulu qu’il revienne sur cette coutume singulière qu’il avait mentionnée dans son livre sur le Roman de Pandji, les gamboeh : des groupes composés de princes et de princesses, avec leurs suivants, exécutent en tournées autour de Java, des danses de Madura, déguisés en gamboeh, c. à d. équipés d’arcs et de boucliers, habillés d’un sarong et d’une grande écharpe appelée sonder. Une coutume qu’Overbeck rattache à des rites polynésiens (les Arois) et qui pourrait faire penser à une communauté de cultes et de croyances malayo-polynésiens. De toute façon, conclut, Overbeck, le théâtre d’hommes est bien plus ancien que le théâtre d’ombres…
(Je note qu’il existe aussi un répertoire gamboeh dans le théâtre d’ombres : c’est Emmanuelle Halkin, dans son étude sur le wayang kulit à Bali qui indique que le wayang gambuh était autrefois populaire à Bali et qu’il l’est toujours à Java).
Tijdschriftenschouw, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 12, N°2, avril 1932, P. 132-135, Vol. 12, N°3, juillet 1932, P. 229-244 et Vol. 12, N°4, octobre 1932, P. 327-338.
Revues de presse. Il s’agit de recensions de diverses revues scientifiques néerlandaises, européennes, américaines, indiennes, etc.
Java in de Maleische Literatuur, (Hikajat Galoeh di-gantoeng), Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 12, N° 3, juillet 1932, P. 209-228.
Il s’agit en fait de la 5ème partie de son étude : Java dans la littérature malaise, (Hikayat Galoeh di-gantoeng).
Java in de Maleische Literatuur (V), Inoe als vrouwelijke Dalang aan het Hof van Daha (Uit de Hikajat Galoeh di-gantoeng), Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 13, N°2, avril 1933, P. 98-114.
C’est la 6ème partie de son étude Java dans la littérature malaise : Inoe en tant que Dalang féminin à la Cour de Daha (extrait du Hikayat Galoeh di-gantoeng). C’est la suite de l’article de 1932.
Tijdschriftenschouw, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 13, N°2, avril 1933, P. 176-181, Vol. 13, N° 3, juillet 1933, P. 239-257 et Vol. 13, N°4, octobre 1933, P. 397-413.
Revues de presse (Revues scientifiques de toutes origines, voir ci-dessus).
Bambang To’ Séna, een Palembangsch wajang-verhaal, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 14, N°2, avril 1934, P. 104-116.
Bambang To’ Séna, un récit du théâtre wayang (lakon) de Palembang d’après un manuscrit acquis par Overbeck et daté de 1918
Gobag Sodor, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 14, N°4, octobre 1934, P. 215-222 et 250.
Gobag sodor est un jeu traditionnel auquel s’adonnaient les enfants, garçons et filles, à Java et qui semble assez original.
On trace un grand rectangle au sol qu’on divise selon le nombre de joueurs en quatre ou six carrés, deux groupes d’enfants (de 4 à 12 en général) s’affrontent, un groupe cherche à passer, l’autre à les en empêcher, mais ne peut les attraper qu’au moment du franchissement des lignes. Overbeck cite toutes les règles, les définitions, les mots utilisés par les enfants, et toutes les variantes. Il s’inspire de ses propres observations ainsi que de la bibliographie existante. Une variante dans laquelle les lignes tracées sur la terre sont remplacées par des bambous conduit à d’autres traditions pour adultes, danses ou sauts entre bambous entrechoqués comme aux Célèbes et qu’il me semble avoir observés ailleurs dans l’Océan Indien (aux Seychelles).
Wajang Sétanan, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 14, N°4, octobre 1934, P. 231-234.
Overbeck a entendu parler par ses collaborateurs d’une représentation à l’intérieur du Kraton de Jogjakarta, appelée Wajang Képang et qui lui rappelle la description faite par Serrurier dans son livre De Wajang Poerwa, d’un Wajang Sétanan où deux poupées en bambou, mâle et femelle, seraient mus par la seule force mystérieuse du dalang. Il réussit à assister à une telle représentation mais le résultat n’est guère convaincant, d’ailleurs sans rapport avec le vrai wayang.
Uit de Javaansche cultuurbeweging. Geschiedenis en ontwikkeling van den Javaanschen dans, door B. P. H. Soerjadiningrat, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 15, N°1, janvier 1935, P. 99-101.
A propos du mouvement culturel javanais. Histoire et évolution de la danse javanaise par B. P. H. Soerjadiningrat (traduction).
Bambang Gandawerdaja, een Palembangsch wajang-verhaal, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 15, N°2, avril 1935, P. 150-161.
Bambang Gandawerdaja, un récit du théâtre wayang (lakon) de Palembang (même manuscrit que celui de Bambang To’Sena).
Die « Drie wenschen » in het Javaansch, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 16, N°3, juillet 1936, P. 201-203 (à noter que ce volume n’a pas été digitalisé).
Les “Trois souhaits” en javanais (vieux thème connu, déjà présent dans Les Sept Vizirs de l’ancienne Perse, mais aussi dans les Mille et une Nuits, et qui a connu également une belle carrière européenne depuis les Sept Sages de Rome jusqu’aux Souhaits de St. Martin, les Souhaits ridicules de Perrault et la Patte de Singe de l’Anglais W. W. Jacobs).
Bekaankondiging : Javaanse volksvertonigen (Th. Pigeaud), Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 18, N°4, décembre 1938, P. 338-346.
Annonce et analyse détaillée du livre de Théodore Pigeaud : Représentations populaires javanaises, paru à Batavia en 1938 (545 pages, 125 illustrations). Cet ouvrage est particulièrement intéressant pour la description des représentations et danses masquées. Théodore Pigeaud que Overbeck semble avoir bien connu et qui l’a souvent soutenu dans ses travaux, était plus jeune que lui (né en 1899), né à Leipzig, mais éduqué en Hollande et attaches familiales aux Indes néerlandaises, grand érudit (Serat Centini, Dictionnaire javanais, Littérature de Java, Manuscrits javanais aux Pays-Bas, Java au XIVème siècle, etc.) ; il est mort en 1988.
C. Hooykaas : Over Maleische literatur, Tijdschrift voor Indische Taal-, Land- en Volkenkunde, Batavia, 1938, N° 78, P. 292-333.
Recension de l’étude de C. Hooykaas : Sur la littérature malaise. Ce texte important (41 pages) dépasse de loin la simple critique littéraire et pose des questions fondamentales concernant la classification, la nature, les sources de cette littérature et même sur la « malayité ». Voir ce qu’on en dit dans la note ci-dessus sous
Autres points d’intérêt : Littérature malaise.
Javaansche Meisjespelen en Kinderliedjes. Beschrijving der Spielen, Javaansche liederteksten, vertaling, Djogjakarta, 1938 (il semble que l’étude ait également été publiée comme supplément à la Revue Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, et distribuée à ses lecteurs avec les différentes livraisons du Volume 19 de 1939).
Il s’agit d’une grande étude, poursuivie par Overbeck encore en 1939, des jeux de fillettes et de chansons enfantines, avec la description des jeux, les textes des récits et des chansons javanaises avec traduction en néerlandais. Illustration par les propres dessins et photos d’Overbeck. Voir note ci-dessus sous
Autres points d’intérêt : Jeux d’enfants. L’étude complète a paru en tiré à part à Jogjakarta et peut être trouvée grâce au net.
Bima als Goeroe, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 19, N°1, janvier 1939, P. 12-21
Bima (le deuxième des Pandawas) en tant que Goeroe. C’est dans le cadre d’études sur l’ancien culte javanais de Bima qu’Overbeck analyse un certain nombre d’histoires parallèles, le lakon Sena rodra et trois variantes du lakon Bima soetji dont l’une est intitulée Banjoe soetji Prewatasari (rappelons que Bima a certains caractères spéciaux dans les représentations du théâtre d’ombres qui font penser qu’il est apparenté à des éléments locaux pré-indiens. Robert van Gulik, né aux Indes néerlandaises et futur sinologue et diplomate hollandais, a parlé longuement de cette particularité de Bima, un peu plus tôt, en 1931, dans un article peu connu de Elsevier’s Maanschrift, intitulé Oostersche Schimmen).
Sri Tandjoeng en Pramoesinta, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 19, N° 3, septembre 1939, P. 146-152
Sri Tandjoeng et Pramoesinta. C’est toujours dans le cadre des études sur les anciens cultes javanais qu’Overbeck résume – en les comparant – le contenu de plusieurs dits, celui intitulé Soedemala, l’ancien dit javanais Sri Tandjoeng et le lakon Pramoesinta.
Ni Towok bij Darwin, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 19, N°4, décembre 1939, P. 257
Ni Towok chez Darwin. Overbeck cite un passage du Journal de Darwin (Voyage du Beagle) où il raconte qu’aux Îles Coco, il a assisté à une représentation nocturne, spiritiste, exécutée par des femmes malaises (apparemment il y avait des gens originaires de Bornéo, Célèbes, Java et Sumatra parlant malais), avec une grande cuillère en bois habillée de vêtements, déposée d’abord sur la tombe d’un homme décédé récemment, puis saisie par deux femmes en transe, dansant au milieu d’un cercle de femmes et enfants, au rythme de leurs chants, sous l’éclairage de la pleine lune. Pour Overbeck il s’agit d’une variante d’un jeu appelé Ni Towok (autre variante : Nini Towong). Rassers en parle. Nini Towong, dit-il, serait l’ancêtre féminine des Javanais (mythologie malayo-polynésienne), d’où un rite avec grande poupée, tête grande cuillère, habillée, déposée en un endroit sacré, puis danse, etc., un rite devenu jeu de filles avec poupée du même nom (C’est dans le Sens du Drame javanais, en anglais On the Meaning of Javanese Drama – voir la référence plus haut – que Rassers parle, au chapitre II, de ce jeu de filles qu’il appelle Nini Towong).
Verzoek om inlichtingen betreffende: Javaansche Meisjesspelen en Kinderliedjes, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 19, N°4, décembre 1939, P. 292
Requête d’Overbeck à ses lecteurs leur demandant de bien vouloir envoyer à l’Institut Java toutes informations complémentaires, corrections ou observations relatives à son étude Jeux de fillettes et chansons enfantines javanais (« ainsi elles ne seront pas perdues » !).
Parallelen?, Djawa, tijdschrift van het Java-instituut, Vol. 1, N01, janvier 1940, P. 168
Parallèles? Dernière contribution de Hans Overbeck avant de disparaître au fond de l’Océan Indien. Mais heureusement pleine d’humour. Il compare deux récits d’une même histoire comique (un paysan va à la ville, s’achète un pantalon, trop long, les femmes de sa maison s’en moquent, fille, femme et belle-mère, puis, prises de remords le raccourcissent à tour de rôle pendant la nuit et, au petit matin, le paysan se retrouve avec une culotte), l’un intitulé Langendrija Soengkawa, publié en 1932, l’autre De Nige Paleto, d’un certain Fritz Reuter, datant de 1853. Et il conclut avec une phrase en français : « la recherche en paternité est interdite (Code Napoléon) … ».
De strijd der Pandawa’s tegen de Goden, Supplement op het Triwindoe-Gedenkboek Mangkoe Nagoro VII, Soerakarta, 1940, P. 106-112
Le combat des Pandawa contre les dieux. Paru comme supplément à un livre commémoratif en l’honneur de Mangkoe Nagoro VII. Adipati Ario Mangkoe Nagoro VII commandait la Légion de Mangkoenegaran, une milice indigène, et avait le titre d’aide de camp de la Reine des Pays-Bas.
Travaux non publiés et existant sous forme de manuscrits
(d’après le Dr. Ulrich Kratz)
Manuscrit Wayang Pura (sous forme d’un dictionnaire wayang en néerlandais) à la Bibliothèque de la faculté des Lettres de l’Université Indonesia à Jakarta
Manuscrit (comportant un résumé en allemand du) Hikayat Tumenggung Aria Wangsi au Musée Central de Jakarta
Manuscrits (traductions partielles en allemand de) Seri Rama (la version indonésienne du Ramayana : il s’agit probablement de la traduction qui devait paraître dans Insulinde III chez Eugen Diederichs), Abdullah Bin Abdul-Kadir Munshi et Kin Tambuhan (également prévu pour paraître en traduction allemande dans Insulinde III), en dépôt chez l’éditeur Eugen Diederichs à Cologne.
(juillet 2012)