Tome 2 : Notes 7 (suite 3) : Les Mille et une Nuits de Hanna Dyâb

N° 4768 : Hanna Dyâb : D’Alep à Paris – Les pérégrinations d’un jeune Syrien au temps de Louis XIV, récit traduit et annoté par Paule Fahmé-Thiéry, Bernard Heyberger et Jérôme Lentin, introduction Bernard Heyberger, éditions Sindbad-Actes Sud, 2015.

C’est par une communication de l’historien Bernard Heyberger que j’ai appris l’existence d’un récit de voyage du fameux Hanna l’Aleppin qui avait rencontré Antoine Galland à Paris et lui avait fait connaître toute une série de contes dont une dizaine ont été incorporés par celui-ci dans les derniers volumes des Mille et une Nuits et dont deux sont devenus les plus célèbres d’entre tous : Aladdin et la lampe merveilleuse et Ali Baba et les quarante voleurs.

Bernard Heyberger est, entre autres, un historien spécialisé dans l’histoire des Chrétiens d’Orient, il est également arabisant, a été Professeur à diverses Universités et Directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. C’est Jérôme Lentin, linguiste et professeur aux Langues’O, qui semble avoir découvert le manuscrit en question lors de certaines recherches menées au Vatican (Bibliothèque apostolique vaticane). Et pour la traduction Heyberger et Lentin se sont encore adjoints Paule Fahmé-Thierry, chercheuse et traductrice, particulièrement familiarisée avec la langue aleppine. Car, comme l’explique Heyberger, le texte de Hanna est, comme c’est souvent le cas, rédigé dans ce qu’il appelle un « moyen arabe », intermédiaire, écrit Heyberger, entre « la langue standard ou littéraire essentiellement écrite et apprise à l’école, et la langue orale, dialectale », ici aleppine.

J’ai tout de suite pensé que c’était là une découverte importante car j’avais été fasciné par ce mystère des Contes « orphelins » (comme le rappelle Heyberger qui en connaît l’histoire), des Contes dont on n’a jamais trouvé d’autres sources (à part des faux fabriqués d’ailleurs par d’autres Syriens) et qui représentent une part importante des Mille et une Nuits de Galland : 30% en volume, disait Musin Mehdi (et j’ai pu le vérifier sur mon édition des Classiques Garnier : 20% du nombre des Conte et 30% en volume texte). Fasciné aussi par le premier de ces Contes : Aladdin. Parce que c’est un chef d’œuvre. Parce que cette histoire est remarquable de psychologie et nous fait penser à des histoires contemporaines (de nos cités par exemple), l’histoire de ce jeune chenapan qui ne respecte ni père ni mère, qui trouve soudain un adulte qui le manipule et l’envoie là où il aurait pu se perdre, mais qui, finalement surmonte ses difficultés et, à partir de là, développe des ressources qu’il ne soupçonnait pas d’avoir et se métamorphose en un homme. Un homme véritable qui sait se maîtriser. C’était aussi l’avis d’André Miquel qui le comparait à un roman de formation. 


Le récit. L’homme Hanna.

Et pourtant, à première vue, la lecture du récit de Hanna ne m’a rien apporté de vraiment nouveau en ce qui concerne les contes. L’Aleppin indique simplement avoir rencontré Galland (il l’appelle « le vieil homme »), l’avoir aidé à comprendre certains termes arabes et lui avoir raconté des contes. Il a écrit son récit en 1764, 54 ans après être rentré à Alep, alors qu’il est âgé de 75 ans et, visiblement, ne se rend absolument pas compte que les Contes des Mille et une Nuits de Galland, parmi lesquels 10 Contes l’ont pour source unique, lui, Hanna, sont devenus un best-seller européen, sinon mondial !

Il n’empêche que j’ai trouvé ce récit extrêmement intéressant. C’est d’abord Hanna lui-même. Une personnalité bien attachante. Il devait pourtant être bien jeune quand il arrive à Paris. 19 ou 20 ans ? Etonnant. Il a un caractère indépendant. Son père est mort et ses deux frères aînés cherchent à le dominer. Alors il se fait novice dans un monastère du Mont Liban. Mais il n’y reste pas. Cherche à voyager. Trouve un voyageur français, Paul Lucas, qui, couvert par le Roi de France, cherche des monnaies et, aussi, des pierres précieuses pour lui-même, et qui a besoin d’un interprète. C’est avec lui que Hanna va partir malgré l’interdiction de son frère aîné, mais, prudent, pas sans avoir cherché des renseignements sur le Français. Et lorsque, plus tard, à Paris, il veut rentrer chez lui, il part tout seul, bien que Lucas lui demande de l’attendre, espérant pouvoir partir en voyage à nouveau.

Et puis Hanna est quelqu’un d’intelligent. Il faut l’être pour pouvoir expliquer, dans son récit de voyage, le mode de fonctionnement d’une horloge astronomique de Lyon ou celle de la machine de Marly qui alimente les eaux des jardins de Versailles. Et ce qu’il raconte des gens de la Cour, leurs sentiments de supériorité, mais aussi leur superficialité, des conséquences de l’abolition de l’Edit de Nantes, de la façon cruelle de tuer les criminels, fait encore honneur à son intelligence. Il est également un très bon observateur. Ce qu’il découvre en regardant par la fenêtre la procession de la Fête-Dieu à Paris est tellement incroyable que certains ont cru qu’il l’avait inventé : le tissu qui protégeait le Saint Sacrement, visiblement d’origine orientale, obtenu on ne sait comment, est orné de la profession de foi musulmane : il n’y a de Dieu qu’Allah !  Il y a là un côté comique qui semble échapper à tous ceux à qui il l’apprend. L’Evêque, je comprends encore, mais Galland ! « L’Apres disné le Maronite Hanna, me dit que trois jours auparavant, c’est a dire le 30 du mois de Mai, jour du s. sacrement en voiant passer de  la chambre ou il estoit vis a vis le pont de s. Michel, la procession de Nostre dame, il avoit observé que le dessus du Dais estait couvert d’un satin rouge, qui devoit avoir este tiré d’une enseigne prise sur les Turcs, ou sur quelque vaisseau de Barbarie, en tems de guerre, qui apparemment avoit esté porté a Nostre Dame, ou la profession de foi entiere des Mahometans en grands caracteres blancs, c’est-à-dire : La ela ella llah Mohammed rasoul Illah ou Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu, Mahomet est son prophète ».

Il a le don des langues, parle et écrit couramment le français et l’arabe, connaît le turc, plus ou moins l’italien (langue dominante, à l’époque, en Méditerranée orientale, m’apprend Bernard Heyberger) et même le provençal (est-ce à cause de la présence de nombreux commerçants marseillais à Alep ?). Il n’y a que le grec qu’il ignore et quand pour la première fois il rencontre un Grec qui ne parle aucune autre langue il se rend compte d’une communication impossible. Et il le ressent comme un échec !

Ensuite Hanna est un excellent conteur. Il adore conter. Les incidents de son voyage qui sont nombreux et souvent dramatiques. Ce n’était pas sans risques que l’on voyageait à l’époque. Rien que la navigation qui est encore bien dangereuse. Pas seulement à cause des vents capricieux, mais aussi parce qu’il y a des bateaux corsaires français et anglais. Hanna commence son voyage en compagnie de Lucas à Tripoli, se rend de là à Saida où ils embarquent pour Larnaca sur l’île de Chypre, puis visitent Nicosie, quittent à nouveau Chypre dans un navire français de commerce qui les amène à Alexandrie, après avoir fait escale à Paphos (pour charger de la résine) et à Limassol (pour le vin). Mais je ne vais pas vous raconter tout son voyage (il y a encore Le Caire, puis l’autre Tripoli, celui de Lybie, qu’il appelle Tripoli d’Occident ou Tripoli de Barbarie ! Et puis toutes les villes côtières de Tunisie, Gênes et Livourne en Italie, enfin Marseille et la remontée vers Paris), simplement ce qui m’a frappé : d’abord l’importance du commerce dans toute cette Méditerranée orientale, le réseau sans pareille des ordres catholiques et des Maronites (il en trouve partout), le nombre incroyable de commerçants français installés à demeure dans toute la région (quand Hanna et Lucas sont à Alexandrie ils montent le Nil dans le delta jusqu’à Rosette où ils sont reçus à dîner et à coucher dans un magnifique domaine d’un Français qui vit là). Et puis, surtout, on se rend compte de la puissance du Roi de France à l’époque puisqu’on trouve des consuls de France dans pratiquement toutes les villes qu’ils traversent et que Hanna raconte que lorsque le consul de France de Gênes n’est pas content de l’accueil que lui a fait la ville, les canonnières de la marine française bombardent simplement la ville aussitôt. 

Le Hanna conteur possède aussi toute une collection de légendes de l’hagiographie chrétienne, de miracles aussi et de guérisons miraculeuses. Il est certainement très religieux, sans être mystique ni dévot. Ce n’est pas un érudit. Sa famille est une famille de commerçants qui semblent avoir travaillé pour un commerçant de Marseille. Mais il est raisonnablement instruit et a du bon sens. Et une sacrée mémoire. J’ai échangé avec Bernard Heyberger à ce sujet parce que j’ai moi-même pas mal réfléchi là-dessus et cité beaucoup d’exemples, à la fin de ma note sur les Contes de fées, de conteurs, en fait de générations de conteurs, en Turquie et en Tunisie (voir mon Voyage autour de ma Bibliothèque, Tome 2, Les Contes merveilleux et populaires d’Europe). Et j’en ai conclu que dans une culture de l’oralité, ce ne sont pas seulement les Conteurs, mais aussi tous ceux qui participent à cette culture, qui ont une capacité mémorielle que nous, dans notre culture de l’écrit, avons perdu. Bernard Heyberger est d’accord. Il ajoute simplement : culture orale « et narrative ». Et dans son introduction au récit de Hanna il décrit les « soirées de musique, de chants et de contes » qui se tenaient dans des jardins de la ville d’Alep, les nombreux cafés aussi, où des conteurs récitent leurs contes avec toute une gestuelle (comme en Tunisie, les conteurs de la Geste hilalienne), puis s’interrompent brusquement, remettant la suite au lendemain, pour tenir en haleine leur public. Et pourtant les confréries chrétiennes, nous dit Heyberger, condamnent l’assistance aux soirées et la fréquentation des cafés. Comme les islamistes aujourd’hui et comme Mahomet qui aurait condamné, nous dit-on, la lecture de contes frivoles. Mais qui s’en soucie ?

Je serai plus bref en ce qui concerne le voyage de retour de notre Aleppin. Il était arrivé à Paris en mars 1709. Galland l’introduit auprès d’un Prince, l’abbé de Ligny, qui lui propose d’entreprendre un voyage en Orient pour lui et d’obtenir un firman du Roi pour sa protection. Paul Lucas est furieux. Alors Hanna décide de partir, un peu rapidement. En juillet 1709. Le Prince lui promet de lui envoyer le firman à Marseille mais il n’arrivera jamais. Un voyageur venu de Paris à Marseille lui raconte que Lucas a tout bloqué. Il ajoute même, écrit Hanna, que c’est Galland qui aurait proposé au Prince de l’envoyer en voyage parce qu’il craignait sa concurrence pour un poste de bibliothécaire (ce que j’ai du mal à croire. Hanna est intelligent et connaît des langues mais Galland est âgé et un érudit largement reconnu par ses pairs comme par la Cour). A Marseille Hanna a, heureusement, de nombreuses connaissances grâce aux relations commerciales entre cette ville et Alep. Le Consul de France lui obtient un retour gratuit sur un bateau faisant voile pour Smyrne. Un bateau qui échappe heureusement à l’attaque d’un corsaire. Arrivé au port de Smyrne « je vis les musulmans en fonction aux douanes et mon cœur frémit », écrit-il. « Je fus pris d’une grande anxiété, comme si j’étais tombé en captivité. Je regrettai alors ce que j’avais fait : comment avais-je pu quitter les pays chrétiens pour revenir à la captivité des musulmans ? ». Mais ses regrets ne durent pas. Avec un compagnon de voyage français il se rend chez le Consul de France, puis au couvent des Jésuites, enfin à celui des Capucins et partout son compagnon leur emprunte de l’argent, sous prétexte d’être un envoyé de l’Ambassadeur de France à Istanbul. C’est aussi ce compagnon qui convainc Hanna de venir avec lui à Istanbul. Ce qu’ils font en bateau. A Istanbul ils sont reçus par l’Ambassadeur, Hanna y retrouve des Aleppins, puis a encore beaucoup d’autres aventures (à un moment donné il se fait passer pour un Franc et doit jouer au médecin) qu’il raconte toujours avec beaucoup d’art. Finalement il arrive à rentrer à Alep par la voie de terre et y est reçu avec joie par ses frères et toute sa famille. Tout de suite on lui « ouvre une boutique de drap » et le met « sous la responsabilité de son oncle maternel… durant un moment, le temps que j’apprenne comment vendre du drap ». Et puis on le fiance. Il se marie et a des fils. Et des descendants puisqu’au bas d’un des folios du manuscrit on peut lire : « Ce récit de voyage de mon grand-père est entré en possession de Jibrâ’îl fils de Didkûz Dyâb, de la communauté maronite, le 19 avril de l’année 1840 de l’ère chrétienne ». Il y aurait même encore aujourd’hui des descendants de la famille Dyâb à Alep, m’assure Bernard Heyberger. Même après tout ce qui s’y est passé ?

Le manuscrit lui-même se termine ainsi : « Achevé le troisième jour du mois de mars de l’année 1764 de l’ère chrétienne ». Qu’est-ce qui a incité Hanna à écrire ce récit et pourquoi s’y est-il mis aussi tard, presqu’à la fin de sa vie ? Cela on ne le saura jamais. Les cinq premiers folios du manuscrit (il y en a 174) manquent. Et sont certainement perdus pour toujours. Voici donc encore un autre mystère. Après celui du Conte d’Aladdin et la lampe merveilleuse !


Les Contes transmis par Hanna

1) Contes repris par Galland

Moi, ce qui m’intéressait le plus dans l’histoire de Hanna c’est justement de mieux comprendre son rôle dans la transmission d’un certain nombre de contes à Antoine Galland pour sa publication des Mille et une Nuits. Alors quand j’apprends, par une note de bas de page, que Galland avait inclus dans son Journal de l’époque (1708 – 1709) les résumés des contes que lui avait racontés Hanna, je me suis mis à rechercher cet ouvrage qui ne se trouvait pas dans ma Bibliothèque. Et je l’ai trouvé. Le voici : 

N° 4770 : Le Journal d’Antoine Galland (1646 – 1715) – La période parisienne – Volume 1 (1708 – 1709), édité par Frédéric Baudin et Richard Wallier,, avec la collaboration de Michèle Asolati, Aboubakr Chraïbi et Etienne Famerie, éditions Peeters, Leuven/Paris/Walpole (Mass), 2011.

Mais c’est tout de suite la désillusion : le résumé d’Aladin (Galland l’écrit Aladdin) ne s’y trouve pas. Hanna l’avait mis par écrit (en arabe) et le lui avait remis. Mais je vais vous en parler quand même. Une fois de plus. Pourquoi ? Parce que c’est une histoire qui paraît éternelle (du moins son début) et que c’est si bien écrit !

Histoire d’Aladdin, ou la Lampe merveilleuse.

Aladdin est le fils unique d’un pauvre tailleur et un bon-à-rien. « Sitôt qu’il fut un peu grand, ses parents ne le purent retenir à la maison ; il sortait dès le matin et il passait ses journées à jouer dans les rues et les places publiques, avec de petits vagabonds… ». Quand il a l’âge, son père essaye de le prendre dans sa boutique « mais ni par douceur, ni par crainte d’aucun châtiment, il ne fut possible au père de fixer l’esprit volage de son fils : il ne put le contraindre à se contenir et à demeurer assidu et attaché au travail… ». Le père en est bien chagriné, tombe malade et meurt. Alors « Aladdin, qui n’était plus retenu par la crainte d’un père et qui se souciait si peu de sa mère qu’il avait même la hardiesse de la menacer, à la moindre remontrance qu’elle lui faisait, s’abandonna alors à un plein libertinage ». Et il continue ainsi « sans aucune réflexion à ce qu’il pourrait devenir un jour ». C’est alors que paraît le magicien, le faux oncle, le séducteur, le manipulateur. Introduit dans la maison d’Aladdin, où il réussit à charmer également la mère et, informé par celle-ci du mauvais comportement de son fils, le magicien qui voit bien que le garçon n’a guère envie de travailler de ses mains, lui propose de devenir commerçant (un métier de fainéant ? Je pose la question) : « si vous avez de la répugnance pour apprendre un métier…, je vous lèverai une boutique garnie de riches étoffes et de toiles fines… ». Cela fait tilt chez le gamin : « Cette offre flatta fort Aladdin, à qui le travail manuel déplaisait d’autant plus qu’il avait assez de connaissance pour s’être aperçu que les boutiques de ces sortes de marchandises étaient propres et fréquentées et que les marchands étaient bien habillés et fort considérés… ».

Bernard Heyberger, dans sa longue préface très bien documentée au récit de Hanna, écrit qu’on pourrait presque se demander si « Hanna n’est pas Aladdin » (et que, donc, ce conte aurait été inventé par Hanna) : les deux ont perdu leurs pères quand ils étaient jeunes ; si Hanna n’avait rien d’un bon-à-rien, il était épris de liberté (surtout se libérer de l’emprise de ses aînés. Il écrit quelque part : je veux suivre ma voie !) ; c’est au moment d’une crise, comme Aladdin, qu’il rencontre « une sorte de tuteur étranger », Lucas ; « à la sortie d’Alep, le voyageur français fit descendre quelqu’un dans un caveau recouvert d’un rocher d’où il sortit… une lampe ! », comme Aladdin (quant à Lucas il a « le goût des pierres précieuses ») ; et, une fois de retour à Alep, sa famille l’établit dans une boutique de draps sous la conduite d’un « oncle » qui lui apprend le métier (comme ce que propose à Aladdin son faux oncle !).

Ce que je trouve aussi remarquable dans ce conte c’est le véritable retournement qui s’opère chez Aladdin, une fois le succès obtenu. Remarquez, déjà, dans le souterrain, sa réaction est plutôt remarquable. L’apparition du premier Génie, lorsqu’il frotte, par hasard, l’anneau que lui avait donné le magicien, ne l’effraie pas, il a la présence d’esprit de lui demander de le faire sortir à l’air libre. Puis, lorsque sa mère, dans sa manie de vouloir tout faire briquer, fait paraître l’autre Génie, encore bien plus effrayant, celui de la lampe, il n’en a pas plus peur, et il comprend très vite tout ce qu’il peut obtenir en l’utilisant à bon escient (et avec beaucoup de culot quand même !). Mais c’est surtout son attitude ultérieure que je trouve admirable (à croire qu’il ne faut jamais désespérer des mauvais sujets !). « Une fois dans la position de prince-consort il sait se maîtriser et n’utiliser les génies qu’avec modération », ai-je écrit dans mon analyse du conte dans ma note sur les Mille et une Nuits au tome 2 de mon Voyage autour de ma Bibliothèque. « Et quand sa femme à la cervelle d’oiseau risque de lui faire tout perdre en donnant la vielle lampe au rétameur et en accueillant le frère du magicien », ai-je écrit encore, « il montre qu’il a acquis toute sa maturité et agit en conséquence ».

Les autres contes de Hanna Dyâb

Une fois le Journal parisien de Galland reçu je me suis reporté aux pages qui se rapportaient aux contacts avec Hanna et qui étaient indiquées dans le récit de son Voyage d’Alep à Paris dans la note de bas de page mentionnée ci-dessus (page 334). Et j’ai commencé à déchiffrer les résumés de Galland qu’il avait écrits à la va-vite sous la dictée de Hanna, on suppose. Et puis voilà que je découvre que le biographe d’Antoine Galland, Abdel Halim avait déjà fait ce travail dans ce livre qui se trouvait dans ma bibliothèque : Mohamed Abdel-Halim :  Antoine Galland, sa vie et son oeuvre, thèse de doctorat, édit. A. G. Nizet, Paris, 1964. Au fond je n’aurais pas eu besoin d’acheter le Journal de Galland…

Abdel Halim a placé ces résumés en appendice. On y trouve 13 résumés (un quatorzième a une autre origine) dont l’un, numéroté II et intitulé Aventures du Khalife Haroun Al-Rachid, comprend deux contes dont les titres, chez Galland, sont : Histoire de l’aveugle Baba-Abdallah et Histoire de Sidi Nouman. Ces deux contes ont été regroupés par Galland sous le titre général de : Les aventures du calife Haroun-Al-Raschid avec un troisième conte, Histoire de Cogia Hassan Alhabbal dont le résumé est intitulé Le Cordier de pauvre devenu riche et porte le N° X chez Abdel Halim. On trouve un autre résumé qui comprend deux contes, l’un appelé Histoire-cadre du recueil des dix Vizirs, non repris par Galland, et l’autre Les finesses de Morgiane ou les quarante voleurs exterminés par l’adresse d’une esclave et qui est le fameux conte connu chez Galland sous le nom de Histoire d’Ali Baba et de quarante voleurs exterminés par une esclave.

Cela fait donc 16 contes avec celui d’Aladdin que Hanna a fournis à Galland. Qui en a conservés 10. Dix sur cinquante, c’est pas mal, non ? Vingt pourcents des contes des Mille et une Nuits sont dus à Hanna Dyâb ! Et en volume cette participation est encore plus importante : 360 pages dans mon édition des Classiques Garnier sur un total de 1240 pages, soit 30 %.

Que penser de ces histoires ? L’Histoire de l’aveugle Baba-Abdallah rappelle les fameux contes des trois calenders devenus borgnes par leur propre faute, parce qu’ils étaient incapables de se maîtriser. C’est le cas de l’aveugle en question. Les Contes ont très souvent une morale. Evidente ou cachée. Et j’ai l’impression que garder la mesure en toutes choses, que ce soit en matière de sexe ou d’argent est une des grandes sagesses que nous propose l’Orient (sans y atteindre plus que nous d’ailleurs). 

Dans l’Histoire de Sidi Nouman on retrouve des éléments qu’on a rencontrés ailleurs, une femme vicieuse et magicienne, un homme changé en chien, qui est délivré par une autre femme, magicienne vertueuse celle-là, et l’homme qui fouette la mauvaise femme changée en chienne à son tour. 

L’Histoire de Cogia Hassan Alhabbal est extrêmement plaisante. On y parle d’économie, de capitalisme, de riches et de pauvres. On nous présente d’abord deux amis, Saadi et Saad, l’un très riche et qui croit que l’argent fait le bonheur, l’autre moins riche qui croit en la vertu et qui estime qu’il suffit d’avoir assez d’argent pour bien vivre pour être heureux. Saadi pense que les pauvres restent pauvres « parce qu’ils étaient nés dans la pauvreté, ou que, nés avec des richesses, ils les avaient perdues, ou par débauche, ou par quelqu’une des fatalités imprévues… ». Et donc s’ils obtenaient suffisamment d’argent soit en économisant par eux-mêmes, soit que quelqu’un leur donne une certaine somme, ils deviendraient riches à leur tour. Saad n’y croit pas. Et il croit que c’est souvent grâce à un hasard qu’on devient riche. C’est en se promenant que les deux amis rencontrent Hassan Alhabbal, un cordier, un homme qui travaille de ses mains, et ils l’interrogent. Pourquoi n’arrive-t-il pas à faire des économies, demande Saadi. Et pourquoi, avec ces économies, « n’avez-vous pas acheté une bonne provision de chanvre pour faire plus de travail, tant par vous-même que par des gens à gage que vous auriez pris, pour vous aider et pour vous mettre insensiblement plus au large ? ». C’est le capitalisme expliqué à un ouvrier. Gagner de l’argent en exploitant l’autre. Car, dans ces Contes, les artisans, qui travaillent de leurs mains, comme par hasard, sont pauvres et les commerçants riches ! Hassan qui lui explique qu’avec ce qu’il gagne il arrive tout juste à se nourrir, lui, sa femme et ses cinq enfants. Alors Saadi lui donne une bourse de pièces d’or que Hassan met dans son turban qu’un milan lui vole. Un peu plus tard Saadi à qui il a raconté son histoire, et qui n’y croit pas vraiment, lui donne à nouveau une bourse que, cette fois-ci le pauvre cordier cache au fond d’un grand récipient plein de son. Cette fois-ci c’est sa femme, la malheureuse (les femmes, dans les Contes ont souvent des initiatives bien malvenues), qui échange le récipient de son contre un récipient de terre. A la troisième rencontre Saadi n’y croit plus aux explications de Hassan Alhabbal. Un pauvre menteur et malhonnête qui mérite de le rester, pauvre. C’est alors Saad qui, lui, croit aux explications du cordier, et qui, en plus, croit au hasard, donne à Hassan un morceau de plomb qu’il a ramassé sur la route. Et c’est ce plomb qui va faire le bonheur du cordier. Un pêcheur qui veut aller à la pêche très tôt le lendemain matin s’aperçoit qu’il n’a plus de plomb pour ses filets, envoie sa femme chez ses voisins demander s’ils en ont ; Hassan lui donne son morceau ; la femme lui promet que la première pêche du lendemain sera pour lui ; le premier filet levé ne donne qu’un seul poisson, mais énorme ; la femme de Hassan le prépare, trouve un diamant dans son ventre qu’elle prend pour du verre ; un voisin juif, assourdi par les enfants de Hassan qui se disputent le diamant, frappe à la porte, voit ce que c’est c’est et fait une offre ; mais Hassan qui sait comment sont les juifs, fixe un prix très haut que le juif accepte finalement. Et à partir de là Hassan n’a plus qu’à entreprendre ce que Saadi lui avait conseillé, fait bientôt travailler tous les cordiers de la ville pour lui et devient de loin le plus riche de toute leur confrérie. Quelle est la moralité de cette histoire, me demanderez-vous ? Je crois qu’il ne suffit pas de rencontrer le hasard. Il faut encore avoir une certaine intelligence. Celle d’être capable de négocier avec un qui est plus malin que vous (un juif dans l’esprit du temps !) et celle de savoir saisir une chance qui passe. Et aussi, hélas, être ainsi fait qu’on soit capable de devenir un méchant capitaliste…

Suit alors chez Antoine Galland l’Histoire d’Ali Baba et de quarante voleurs exterminés par une esclave. Bizarrement j’ai trouvé que cette histoire était moins bien écrite que les autres. Comme si Galland l’avait un peu bâclée. Alors je l’ai comparée au résumé. Rien à dire : Galland suit assez directement le fil de l’histoire telle que Hanna la lui a racontée. C’est d’ailleurs le cas de toutes les autres. Simplement, ici, il n’embellit rien. Et, à mon avis, fait même quelques erreurs. Alors que le frère d’Ali Baba, jaloux de ce qui arrive à celui-ci et particulièrement avide, se fait prendre par les voleurs dans la fameuse grotte aux trésors, est tué et son corps coupé en quatre, sa famille le fait recoudre et doit cacher ce qui lui est arrivé. Or Galland parle de cercueil dans lequel on l’enferme, ce qui ne correspond certainement pas aux usages musulmans. Et puis c’est uniquement de l’huile bouillante que la servante Morgiane verse dans les tonneaux dans lesquels sont cachés les voleurs alors que dans le résumé on parle de poix bien plus mortelle encore ! Mais, bon, broutilles tout cela…

L’Histoire d’Ali Cogia, marchand de Bagdad qui suit dans les Mille et une Nuits de Galland fait en réalité partie du cycle de Haroun Al-Rachid. Un marchand partant pour un voyage lointain pour La Mecque, l’Egypte et l’Inde, confie un vase d’olives scellé dans lequel il a caché ses économies à un voisin auquel il fait toute confiance. Il y reste sept ans. Au retour il retrouve son vase mais ses pièces d’or se sont envolées. Le voisin avait voulu goûter aux olives, évidemment foutues, et trouvé le trésor. Devant le cadi il nie tout. Je ne savais même pas qu’il y avait des olives, alors des pièces d’or, vous pensez ! Le cadi lui donne raison. L’affaire fait grand bruit à Bagdad. Au point que lors de ses virées nocturnes le calife voit des enfants jouer au cadi et aux marchands et entend l’enfant-cadi demander à voir le vase et les olives et trouve qu’elles sont nouvelles et condamne en conséquence le voisin de mensonge et de vol. Le lendemain le calife convoque tout le monde chez lui, des experts en olives aussi et leur demande de dire si elles sont vieilles de sept ans. Bien sûr que non : le voisin les avait remplacées avec des olives de l’année. Il est pendu après avoir rendu l’argent et le calife fait honte au cadi alors que même un enfant avait plus de jugeotte que lui. Charmant !

Vient alors l’Histoire du Cheval enchanté. C’est encore une histoire intéressante, surtout parce qu’elle permet de mesurer tout le travail réalisé par Antoine Galland sur la base d’un résumé sec et nu. Le conte, dans mon édition des Classiques Garnier, compte 36 pages. Le résumé du conte repris du Journal de Galland par Abdel-Halim dans ses annexes à la biographie de Galland, au format, il est vrai, un peu plus grand, tient sur deux pages ! Et pourtant, ce qui est absolument remarquable : tout y est, dans ce résumé. Sauf, bien évidemment, les dialogues. Qui sont longs et bien développés par Galland. Et les descriptions absolument somptueuses des palais, des jardins, des repas, des vêtements, des princesses, etc. Un véritable enchantement, cette histoire de cheval enchanté. Cela se passe à la Cour du roi de Perse, lors de la fête de la nouvelle année, la Now Rouz. Un Indien vient montrer au Roi un Cheval magique qui vole. Il fait une démonstration, demande comme prix pour le Cheval la fille du Roi. Son fils est outré par le culot de l’Indien. Le Roi, pour le calmer, lui dit de faire un essai. Enervé, le Prince monte sur le Cheval, manipule une cheville sans rien demander, le cheval s’élève dans les airs et le Prince ne sait comment revenir en arrière. A un moment il trouve et manipule une autre cheville, le cheval descend, atterrit sur une terrasse : c’est le Palais d’été de la Princesse de Bengale. Qu’il rencontre, les deux tombent amoureux, le Prince l’enlève, monte sur le cheval et cette fois-ci ils arrivent de nouveau en Perse. En attendant de voir son père il laisse la Princesse dans un Palais en-dehors de la ville, revoit son père ; celui-ci libère l’Indien qu’il avait enfermé ; l’Indien se précipite au Palais où se trouve la Princesse, lui dit qu’il vient la chercher et l’enlève sur son cheval magique. Descend dans une forêt au Cachemire, veut violer la Princesse, des chasseurs surviennent, parmi eux le Roi du Cachemire qui fait tuer l’Indien et veut épouser lui aussi la belle Princesse. Celle-ci fait la folle, le Roi cherche des médecins pour la guérir, aucun n’y arrive jusqu’à ce qu’arrive dans la ville le Prince de la Perse habillé en derviche qui la cherchait partout. Il se déguise en médecin, se fait connaître par la Princesse, dit au Roi qu’il va arriver à la guérir, demande où est le cheval magique, fait sortir la Princesse sur la grande place, la monte sur le cheval, fait un tas de hokus pokus, puis monte derrière la Princesse et s’envole avec elle. Et, en passant au-dessus du Roi du Cachemire, a cette parole sublime qui nous ramène à nouveau à notre époque : « Sultan de Cachemire, quand tu voudras épouser des princesses qui implorent ta protection, apprends auparavant à avoir leur consentement ». Oui, vous avez bien lu : c’est bien ce qu’Antoine Galland a écrit : leur consentement !

Les deux derniers contes de Hanna repris par Galland m’ont paru moins intéressants. D’abord l’Histoire du Prince Ahmed et de la Fée Pari-Banou. Déjà le titre : il n’y a pas de fées en Orient. Mais des Génies femelles, oui, pourquoi pas ? Le conte mélange deux histoires, celle d’un Roi qui envoie ses trois fils voyager au loin parce qu’ils sont tous amoureux fous de leur cousine et qui promet la belle à celui qui rapportera l’objet le plus extraordinaire. Ensuite celle d’une fille de Génie, donc Génie elle-même, tombée amoureuse du plus jeune des trois, le Prince Ahmed. Qui oublie la cousine et préfère la Génie. Mais cela se termine mal : chaque fois qu’il revient voir son père, habillé de plus en plus richement et apportant des cadeaux de plus en plus superbes il éveille des jalousies à la Cour, les vizirs vont le calomnier et le Roi les croire. Alors la Génie leur envoie son frère qui abat tout le monde, même le Roi. Ce n’est pas bien…

L’Histoire des deux sœurs jalouses de leur cadette fait d’abord penser à Cendrillon, une histoire que l’on retrouve partout, même au Japon (voir : Simone Mauclaire : Un «Cendrillon» japonais du Xème siècle, l’Ochikubo-Monogatari, édit. Maisonneuve et Larose, Paris, 1984). Mais ce n’est pas ça. Cela commence par un bavardage amusant entre les trois sœurs, l’une disant qu’elle aimerait bien épouser le Boulanger du Roi pour manger les pâtisseries qu’il prépare au Palais, la deuxième préférerait le cuisinier du Roi, alors que la plus jeune dit qu’après tout elle aimerait aussi bien épouser le Roi lui-même. Or le Roi de Perse, adorant lui aussi, comme le Calife de Bagdad, se promener la nuit incognito dans les rues de sa capitale, entend les filles, les convoque le lendemain, épouse la cadette qu’il trouve jolie et marie les deux autres avec son boulanger et son cuisinier. Qui, évidemment, ne sont pas contentes et détestent de plus en plus leur cadette. Se font ses sage-femmes quand elle accouche et chaque fois substituent aux nouveau-nés, d’abord un chien, puis un chat, enfin un morceau de bois et exposent les bébés dans un panier sur un canal qui passe dans le jardin du Roi. Le Jardinier en chef les adopte, les cajole, les instruit et leur laisse à sa mort une belle demeure dans les bois. Les trois enfants, deux garçons et une fille, y grandissent. Avant que le Roi les retrouve le conte introduit encore une histoire merveilleuse de quête d’objets miraculeux où les Princes échouent et la Princesse réussit (un conteur féministe ?). Finalement quand toute la Cour va chasser et tombe sur les deux Princes qui chassent aussi, tout le mystère se dénoue, les Princes et la Princesse rentrent au Palais du Roi, leur mère mise à l’écart retrouve elle aussi ses enfants et sa dignité, un Oiseau qui parle fait la leçon au Roi : vous vous étonnez d’une chose merveilleuse que vous voyez de vos yeux, alors que « vous avez cru si facilement que votre épouse avait accouché d’un chien, d’un chat et d’un morceau de bois ! ». Donc tout est bien qui finit bien. Mais non, il y a pourtant un grand défaut : les deux méchantes sœurs ne sont pas punies, tout le monde semble les avoir oubliées. Ce n’est pas bien…


2) Les Contes de Hanna non repris par Galland.

Tout ceci m’a donné envie de jeter un coup d’œil sur les résumés des contes de Hanna que Galland n’a pas trouvés dignes d’être re-contés. 

Il y a d’abord Qamar Al-Dîn et Badr Al-Bodûr, l’histoire d’un cousin et d’une cousine, élevés ensemble et qui s’aiment. Et qui se marient d’ailleurs. Mais le cousin, peut-être un peu volage, se rend seul à Ispahan ; là-bas il y a Morgiane, la favorite du Sultan qui joue aux échecs – et bat – tout nouvel arrivant, lui prend alors ses biens et le fait mettre en prison. C’est ce qui se passe aussi pour le cousin. Mais sa cousine l’apprend, se rend elle aussi à Ispahan, bat aux échecs d’abord Morgiane, puis le Sultan lui-même, fait libérer tous les prisonniers, son cousin aussi, le ramène chez elle et l’épouse. Il y a comme cela, de temps en temps, dans les Mille et une Nuits, des femmes qui sont supérieures aux hommes. Pourquoi pas, puisqu’on est dans un monde magique ? 

Dans la Ville d’Or tout change déjà. Un Roi a trois fils, ils partent, l’un après l’autre, parcourir le monde. Et arrivent l’un après l’autre, dans une ville où la fille du Roi pose à tous les nouveaux arrivants une question à laquelle ils ont à répondre sur leur vie : où se trouve la Ville d’Or ? Evidemment les deux premiers n’en savent rien et on leur coupe le cou. Vient alors le plus jeune. Et comme vous le pensez il est plus astucieux que ses aînés. Je ne sais pas pourquoi c’est toujours comme ça dans les Mille et une Nuits. Moi, cela me gêne un peu. Nous aussi nous sommes trois frères. Or, moi je suis l’aîné… En fait le plus jeune ne sait pas non plus où se trouve la Ville d’Or mais il demande un délai et il l’obtient. Part à cheval, dort dans un désert et sauve une nichée de jeunes oiseaux Rocs d’un méchant serpent. Arrive le grand oiseau Roc, qui le remercie, lui propose de rendre service, il sait où est la Ville d’Or et l’y emmène sur son dos. Il découvre une ville déserte, trouve un Palais et voilà qu’arrivent la nuit la princesse avec une magicienne, des suivantes et un grand Noir. Avec lequel elle couche. Quelle horreur ! Alors le jeune Prince tue le Noir, découpe sa tête, dépouille la Princesse de tous ses bijoux et revient grâce à l’oiseau Roc dans la Ville où règne le Roi, père de la Princesse. Et tout se termine bien : ses frères sont ramenés à la vie, la méchante Princesse est tuée et les trois frères reviennent chez leur père. 

L’histoire suivante est encore une histoire de trois fils de Roi : Le Sultan de Samarqand et ses trois fils. Une histoire bien trop confuse pour que je vous la raconte. On y trouve un Génie mécontent qui a trois filles et, une fois de plus, c’est le plus jeune des frères qui gagne la partie.

L’Histoire-cadre du Recueil des dix Vlizirs est, comme il est dit dans le titre, une histoire-cadre comme l’est d’ailleurs l’histoire de Shéhérazade et du Roi Shariar et comme le sont bien d’autres récits cadres orientaux tels que je les ai cités dans ma note sur les Mille et une Nuits (Contes du Perroquet, Contes du Vampire, Le Livre de Sindibad ou Livre des 7 Vizirs devenu en Italie le Livre des sept Sages de Rome). Dans tous ces Contes le héros raconte une histoire après l’autre pour essayer de sauver sa vie (et en général il y arrive parce qu’en Orient, à l’époque, du moins – aujourd’hui je crains que vous auriez beau raconter des histoires à l’Emir qui règne sur un Etat islamiste, il vous coupera le cou quand même – une bonne histoire valait une vie). Ici un favori du Roi est accusé par les dix vizirs d’avoir voulu séduire la Reine. Alors il raconte des histoires jusqu’à ce qu’il soit sauvé un peu miraculeusement. L’Histoire des sept vizirs est un peu semblable sauf que c’est là la Reine qui accuse le favori parce qu’il a résisté à ses avances et ce sont les vizirs qui sauvent le jeune homme en racontant des histoires. 

Les deux dernières histoires racontées par Hanna à Galland m’ont paru un peu confuses. C’est d’abord La Bourse, le Cornet de Derviche, les Figues et les Cornes et ensuite l’Histoire de Hassan, fils du Vendeur de Ptisanne. Moi je ne sais même pas ce qu’est la ptisanne. J’apprends par le conte qu’il faut de la réglisse pour en fabriquer. Les héros des deux histoires sont des fils de commerçants qui sont morts, les deux trouvent des articles magiques dans les réserves de leurs pères et les deux se rendent au Caire. Je me suis d’ailleurs demandé si la deuxième histoire n’était pas extraite du Roman des Baïbars. En tout cas je comprends que Galland ne s’en soit pas servi. Du moins de ces deux dernières histoires.


Les Universitaires et les Contes de Hanna.

Bernard Heyberger m’a encore fait connaître deux universitaires qui avaient déjà traité le sujet des contes de Hanna : Ruth Bottigheimer, spécialiste en Contes de fées (plutôt européens) et Rudolph Marzolph, professeur aux Universités de Cologne et Göttingen, qui est plus spécialisé en Contes orientaux (surtout persanes). J’ai téléchargé plusieurs de leurs études. Il faut croire que c’est la publication du récit de voyage de Hanna Dyâb en 2015 qui a incité un certain nombre d’Universitaires de revenir, comme moi, aux Contes de l’Aleppin.

1) Les études de Rudolph Marzolph.

Il s’agit de deux articles de Marzolph : The Man who made the Nights immortal – The Tales of the Syrian Maronite Storyteller Hanna Diyâb, Wayne State University Press, Detroit, 2018 et Hanna Diyâb’s unpublished tales – The Storyteller as an artist in his own right, Enzyklopädie des Märchens, Göttingen, 2018.

Dans le premier article Marzolph reprend le résumé des 16 contes racontés par Hanna. Et là, une première surprise : il cite pour chaque conte (sauf un) les numéros d’identification internationaux des types de contes. Je connaissais bien cette classification commencée par le folkloriste finlandais Antti Aarne et complétée par l’Américain Stith Thompson mais je la croyais réservée aux contes merveilleux européens. Mais il est vrai qu’il n’y a pas de raisons de ne pas l’étendre aux contes du monde entier. L’humanité est une et bien souvent on constate que les mêmes légendes et les mêmes histoires apparaissent à deux bouts du monde sans qu’il n’y ait de transition d’un bout à l’autre connue. J’ai dans ma bibliothèque le livre qui est le véritable dictionnaire de ces types de contes : The Types of the Folktale – A classification and bibliography – Antti Aarne’s Verzeichniss der Märchentypen, translated and enlarged by Stith Thompson, Indiana University, second revision, Suomalainen Tiedeakatemia/Academia scientiarium fennica, Helsinki, 1961. Marzolph se réfère à une version récente de ce dictionnaire qui est Hans-Jörg Uther : The Types of international Folktales : a classification and bibliography based on the system of Antti Aarne and Stith Thompson, 3 vol., Suomalainen Tiedeakatemia, 2004. Mais cela ne devrait pas changer grand-chose. Effectivement on trouve, dans mon livre, au N° 561 : Aladdin, au N° 575 (le Cheval enchanté) : The Prince’s Wings, et pour Ali Baba, deux numéros : N° 676 : Open Sesame et N° 954 : The forty thieves. Mon livre des types de contes comporte 2340 numéros avec de nombreuses variantes (en sous-numéros). C’est un travail fantastique qu’ont fait ces deux folkloristes. Thompson avait d’ailleurs publié un autre ouvrage sur les Contes (qui se trouve également dans ma bibliothèque) : Stith Thompson :  The Folktale, édit. The Dryden Press, New-York, 1951.

Que dit encore Marzolph ? Qu’aucun des contes de Hanna n’apparaît dans des manuscrits arabes connus qui précèdent la publication des Mille et une Nuits de Galland. Qu’un seul est inclus dans de tels manuscrits, mais postérieurs à cette publication : le Cheval d’ébène (ou Cheval enchanté). Et qu’un seul conte rapporté par Hanna ne correspond à aucun index : Le fils du vendeur de ptisanne. Peut-être parce que Galland ne l’a pas repris ? Car, comme le dit Marzolph, si tous les autres contes se trouvent indexés par Aarne et Thompson, c’est que, probablement, grâce aux Mille et une Nuits de Galland, ils ont influencé (du moins une bonne partie d’entre eux) plein de contes et légendes européens par la suite. 

Dans son deuxième article Marzolph analyse plus particulièrement les Contes de Hanna non repris par Galland (comme moi j’ai essayé de le faire). Et il analyse longuement ce conte que j’ai négligé et que lui admire : La Bourse, le Cornet de Derviche, les Figues et les Cornes. Je résume rapidement : un riche marchand de Damas a un fils à un âge avancé. Quand il meurt son fils encore jeune dépense rapidement la fortune de son père. Puis demande de l’aide à sa mère qui lui donne la clé d’un entrepôt où il trouve une bourse. Trouve un travail auprès d’un ancien esclave libéré de son père et découvre que chaque fois qu’il met de l’argent dans sa bourse elle transforme les pièces d’argent en pièces d’or. Il devient riche, va au Caire, tombe amoureux de la fille du Sultan et dépense tout son argent pour la voir. Le sultan s’en aperçoit, veut son secret et lui vole sa bourse. De retour à Damas il découvre dans l’entrepôt une « corne derviche ». Quand il y souffle à un bout une armée puissante paraît avec laquelle il revient au Caire, menace le Sultan qui fait semblant de se soumettre, alors il souffle dans l’autre bout de la corne et l’Armée disparaît et le Sultan l’arrête et veut, une fois de plus, lui couper le cou. Et derechef c’est le grand Vizir qui lui sauve la vie. Il revient à Damas, cette fois-ci sa mère lui donne une clef qui ouvre un jardin où pousse un figuier qui porte des figues noires et des figues blanches. A celui qui mange les figues noires des cornes lui poussent sur le front, qui disparaissent à nouveau si on mange les figues blanches. Alors il retourne au Caire, vend ses figues noires au Palais, et tout le monde, Princesse, Sultan et Vizirs, ont subitement des cornes au front. Alors il se déguise en médecin, accommode ses figues blanches en médicament, retourne au Palais, guérit tout le monde, on le remercie en l’amenant au trésor où il découvre bourse et cornet, les prend et retourne à Damas où il se marie…

Le conte correspond, dit Marzolph, à un type indexé par Aarne et Thompson sous le N° 566 : the three magic objects and the wonderful fruits. Or, dit encore Marzolph, si on compare la version Hanna à toutes les autres connues (il cite entre autres une version arménienne) elle est bien supérieure à toutes. Dans tous les domaines : simplification, pas de répétition, un seul héros au lieu de trois dans les autres versions, en un mot : efficacité ! Il est un vrai conteur et un vrai créateur (on peut le supposer, même si on ne sait rien de sa source). Si on considère Hanna comme le premier transmetteur oral de contes enchantés dont le nom est connu, conclut Marzolph, il nous apparaît aujourd’hui comme quelqu’un qui n’est pas simplement un fournisseur de matière première pour un génie nommé Galland, mais un vrai conteur par lui-même et un conteur particulièrement doué !

2) Les études de Ruth Bottigheimer.

Ruth Bottigheimer s’est tout particulièrement intéressée à l’histoire du cheval enchanté. Voir : Ruth Bottigheimer with Claudia Ott : The Case of the Ebony Horse, Part 1, Gramarye vol. 5, 2014 et Ruth Bottigheimer : The Case of the Ebony Horse : Hannâ Diyâb’s Creation of a Third Tradition, Part 2, Gramarye, vol. 6, 2014

Dans le premier article Bottigheimer nous parle d’une version perdue du Cheval dit d’ébène qui aurait vu le jour dans l’Espagne musulmane et inspiré des versions françaises au XIIIème siècle (Cleomadès du fameux troubadour Adenet le Roi et Mellacin de Girart d’Amiens) qu’elle analyse. Et dont l’arabisante allemande Claudia Ott qui a étudié aux Universités de Jérusalem, Tübingen, Berlin et a été Professeure à celle de Göttingen, a découvert l’histoire tronquée dans un manuscrit arabe datant du XIIIème siècle justement et qui correspond à une collection de contes andalouse intitulée Cent et une Nuits. Claudia Ott a traduit le manuscrit trouvé en allemand, voir : Claudia Ott : Hundert eine Nacht, Manesse, Zurich, 2012. Bottigheimer a traduit l’histoire du Cheval d’ébène qui y est incluse de l’allemand en anglais et donne également le résumé des deux versions françaises du XIIIème siècle. Le manuscrit arabe découvert par Claudia Ott s’arrête brusquement à l’envol du fils du Roi sur le cheval enchanté et sa disparition qui semble définitive. Dans les résumés que Bottigheimer fait des versions françaises elle s’arrête également à ce moment dramatique. On ne sait donc pas si elles ont des suites comme dans la version de Hanna et dans celle que l’on a découvert dans d’autres manuscrits postérieurs (égyptiens) des Mille et une Nuits et dans celle trouvée dans des manuscrits maghrébins des Cent et une Nuits dont on parlera encore.

Dans son deuxième article Bottigheimer cherche à comprendre comment ce conte né en Andalousie est passé en Afrique du Nord (les manuscrits tardifs des Cent et une Nuits), en Egypte (les manuscrits des Mille et une Nuits de Boulaq) et peut-être à Alep (le conteur Hanna). Ou, plutôt, parce qu’une telle recherche est une tâche impossible, elle voudrait savoir si Hanna a été influencé par une version venue d’Afrique du Nord ou une version venue d’Europe (elle mentionne ce qu’elle appelle un chapbook, un livre de colportage, je suppose, Clamades, où on retrouve un Cheval volant en bois, et elle croit que, peut-être, les commerçants français d’Alep en auraient disposé. Tout ceci me paraît bien absurde). Le manuscrit des Cent et une nuits qu’elle dit être tunisien et datant de 1776, a été traduit en 1911, dit-elle, par l’érudit français Gaudefrroy-Demombynes qui était Prof aux Langues’O. C’est (encore une fois) un livre qui se trouve dans ma bibliothèque, voir : Maurice Gaudefroy-Demombynes : Les Cent et une Nuits, traduit de l’arabe, Librairie Orientale et Américaine/E. Guilmoto éditeur, Paris, 1911. Dans l’Appendice à son livre Gaudefroy-Demombynes donne les informations suivantes : « La Bibliothèque Nationale de Paris possède trois manuscrits des Cent et Une Nuits, les numéros 3660, 3661 et 3662 ; c’est le premier qui vient d’être traduit, en tenant compte des variantes. Ce sont des manuscrits maghrébins tout modernes. M. René Basset a bien voulu m’en communiquer un quatrième, que j’ai appelé manuscrit B…». Nulle part il ne parle pas de manuscrit tunisien. A la fin de l’ouvrage on trouve la récession (review) du livre en anglais par un certain W. F. Kirby qui parle d’une « collation of four Maugrebin (Moroccan) manuscripts ». L’Appendice contient également un tableau comparatif des contes (à part les sept vizirs) dans les quatre textes. C’est le manuscrit 3660 qui est le plus complet (20 contes en plus des sept vizirs). Le manuscrit B est très incomplet. Et seul le manuscrit 3661 se termine avec la fameuse réconciliation du Roi avec la gente féminine : 

Enfin Dinazade dit au roi : « Seigneur, votre épouse Chehrazade est enceinte. Puisse Allah vous accorder par elle un fils qui charmera vos yeux ! »

Aussitôt, le roi fit don de la vie à Chehrazade, qui goûta désormais, au milieu de ses femmes et de ses esclaves, une vie délicieuse.

Louange à Allah, maître des mondes !

Voilà l’entier et complet récit de ce qui est parvenu à notre connaissance.

Louange à Allah ! Par elle on débute, et par elle on finit.


En tout cas je connais bien les Cent et une Nuits. Alors revenons une nouvelle fois au Conte du Cheval enchanté ou d’ébène

Une première constatation : le Conte des Cent une Nuits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Paris et celui du manuscrit du XIIIème siècle découvert par Claudia Ott à Berlin sont pratiquement identiques, du moins en ce qui concerne la première partie puisque la deuxième partie manque sur le manuscrit ancien andalou. Dans les deux le Roi n’est pas nommé, il y a deux fêtes annuelles, les visiteurs qui apportent des objets magiques sont au nombre de trois (un Byzantin, un Indien et un Persan dans l’andalou, un Hindou, un Grec et un Persan dans les Cent et une Nuits), les objets magiques sont les mêmes, dans les deux histoires le Roi a trois filles qu’il marie aux trois visiteurs en échange pour leurs objets magiques, le Persan est vieux et moche, le fils du Roi console sa sœur qui doit épouser le Persan, saute de lui-même sur le cheval, demande au Persan comment le faire bouger et celui-ci lui indique la manœuvre pour démarrer mais pas celle pour revenir, et le ventre du cheval se gonfle d’air (comme s’il s’agissait d’une montgolfière !). Je trouve même extraordinaire qu’une histoire reste aussi stable sur un laps de temps aussi long, puisque le manuscrit andalou est du XIIIème siècle et les manuscrits parisiens sont « modernes » selon Gaudefroy-Demombynes et de la fin du XVIIIème d’après Bottigheimer. 

Deuxième constatation : si on compare le conte tel qu’il est transmis par Hanna à Galland avec le conte des Cent et une Nuits, on ne peut que constater l’incroyable travail de simplification réalisée par Hanna. A moins que ce ne soit sa source, bien entendu, mais moi je miserais volontiers sur l’intervention personnelle de Hanna. Parce que cette simplification a quelque chose de rationnel. Oui, pourquoi une histoire magique ne pourrait être rendue de manière logique ? Toute notre littérature de science-fiction et de fantastique moderne nous le montre. Pour commencer il y a l’élimination de deux des trois visiteurs créateurs d’objets magiques. Qui rappelle que, déjà, dans l’autre conte analysé par Marzolph, La Bourse, le Cornet de Derviche, les Figues et les Cornes, alors que d’habitude, nous dit-il, trois objets magiques appartiennent à trois porteurs distincts, ici, le personnage qui les utilise à tour de rôle est unique. Alors, ne serait-ce pas Hanna qui serait à l’origine de l’élimination de personnages qui, finalement, n’apportent strictement rien à l’histoire ? 

Et puis, si on lit soigneusement l’histoire du Cheval d’ébène telle qu’elle est rapportée dans les Cent et une Nuits, on est effaré par le nombre d’absurdités ou, au moins, d’actions illogiques, dont le texte est truffé et qui ont toutes disparu dans le Conte tel que le rapporte Hanna. Récapitulons : Quand le fils du Roi s’introduit dans la chambre de la Princesse celle-ci croit d’abord que c’est son fiancé que son père a refusé pour insuffisance de dette. Quand le Roi le trouve dans la chambre de sa fille, le Prince prétend être tellement fort qu’il est capable de battre toute son armée, alors le Roi le croit, bavarde aimablement avec lui jusqu’au matin, prépare son armée et le Prince s’envole sur son cheval. Sans la fille du Roi. Puis revient pour l’enlever (donc un aller-retour pour rien). Quand il vient récupérer la fille enlevée par le Persan perfide chez le Roi de Grèce qui veut l’épouser, il prétend devoir rester un mois entier auprès de la princesse pour la guérir tout-à-fait et demande simplement qu’on lui fournisse une poule matin et soir ! C’est peut-être pour calmer les craintes des lecteurs pieux qu’à la fin, le mariage célébré, le conteur dit : « Le fils du roi consomma alors le mariage avec la princesse, qu’il trouva vierge et pure… » Ouf ! 

Si on relit alors le canevas du conte noté par Galland dans son Journal sous la dictée de Hanna, on s’aperçoit que toutes ses incongruités ont disparu, tout se déroule de manière claire et logique. Le récit est aussi plus policé : c’est ainsi que dans les Cent et une Nuits, le Roi de Grèce, tombé amoureux de la Princesse, « voulut abuser d’elle ; mais elle lui résista et se débattit comme si elle avait le diable au corps. Le roi la laissa pendant quelques jours, puis revint à la charge… ». Alors que chez Hanna : « Il devient amoureux d’elle, célèbre les noces et quand il veut venir coucher avec la princesse elle fait semblant d’estre folle ». 

On a reproché à Hanna de se tenir strictement à l’action sans descriptions ni dialogues. Ce reproche me paraît absurde. Hanna n’a pas devant lui un large public qu’il doit charmer avec son discours. Mais un seul interlocuteur, un collectionneur d’histoires, auquel il transmet toute une série de contes avec un seul souci : rendre le plus fidèlement possible la trame de ces histoires.

Ce qui n’entame en rien le mérite de Galland. Et j’en viens à ma troisième constatation. Pratiquement pour tous les contes de Hanna qu’il a repris dans ses Mille et une Nuits, Galland s’est strictement tenu aux canevas fournis. Il s’est contenté de les faire vivre, comme l’aurait fait un conteur oriental (et Hanna si on le lui avait demandé), les illustrer, de manière absolument magnifique, géniale même, par ses descriptions et ses dialogues. Et pour ce qui est du Cheval enchanté, de donner des noms aux Rois et aux pays. Le roi à qui on présente le cheval devient le Roi de Perse, cela se passe à Chiraz, lors de la fête de la nouvelle année, la Now-rouz que Galland écrit Nevroux (Hanna avait déjà réduit les deux fêtes annuelles des Cent et une Nuits à une seule). Le propriétaire du cheval, ne pouvant plus être Persan, devient Indien. Le fils du roi a un nom persan : Firouz Schah. La princesse qu’il rencontre après avoir atterri sur le toit de son palais est la Princesse de Bengale. Et quand l’Indien enlève la Princesse il arrive au Royaume du Cashemire dont le souverain est un Sultan. Et c’est aussi Galland bien sûr qui invente cette parole magnifique enjoignant à ce fameux Sultan du Cashemire, la prochaine fois qu’il voudra coucher avec une princesse, de d’abord lui demander son consentement !