Tome 2 : I comme Istrati (Panaït)
(vie professionnelle, sidérurgie, Roumanie et autres pays de l'Est)
C'est dans un village du Club Méditerranée (Pakostane peut-être?), à une époque où le Club avait encore des bibliothèques, où on allait au Club pour trouver la nature d'abord, une ambiance relax ensuite, l'amour aussi bien sûr, où l'on n'était quand même pas comme aujourd'hui soumis à un véritable stakhanovisme du sexe, GM voulant dire Gros Membre ou Gorge Moelleuse, à une époque donc, qui était encore pastorale et civilisée à la fois, que je suis tombé pour la première fois sur une histoire d'Istrati, Les Chardons de Baragan je crois. Et que je suis tombé immédiatement sous le charme de ce conteur oriental génial qui a eu le culot extraordinaire d'écrire directement en français alors que c'était une langue qu'il ne connaissait que depuis peu et qu'il gisait dans un hôpital à Lausanne, et avait un autre culot, celui de s'adresser directement à Romain Rolland qu'il admirait, culot bien payant d'ailleurs puisque celui-ci l'a guidé et soutenu ensuite, sans hésiter, et sans le connaître, sur la simple foi des épîtres qu'il en avait reçues.
Je ne me doutais pas, alors, de ce que j'allais, moi, connaître de près cette Roumanie qui me paraissait pourtant bien étrange et bien lointaine. Que j'allais passer de nombreux mois à suivre des projets fumeux d'aciéries, de laminoirs destinés à un endroit que je ne verrai jamais, un endroit mythique, placé au bord du Danube et qui ne serait pas très éloigné de celui où se passaient la plupart des histoires de Panaït, Galatz. C'était dans les années soixante, mon époque Fives-Lille, mon époque sidérurgie.
J'avais eu mon diplôme relativement tôt. J'avais vingt trois-ans et j'étais fou d'Annie. Une force étrange nous collait l'un à l'autre, comme des aimants. Rien ni personne n'aurait pu nous séparer. Ou alors cela aurait été une blessure terrible qui nous aurait laissés anéantis. Or il y avait la guerre d'Algérie. Il y a un film de Rozier, Bonjour Philippine, qui montre exactement ce que je pouvais éprouver à ce moment-là. Désespoir, révolte de devoir passer mes jeunes années dans cette aventure absurde. Je crois que j'aurais été prêt à déserter. Trahir la France et toute l'Algérie française. Mais j'étais jeune et il y avait le sursis. J'ai donc commencé à m'inscrire en Fac. Propédeutique Lettres à la Sorbonne (j'allais même passer l'examen et le rater honteusement). Puis on s'est mariés et j'ai cherché du travail. Qui pouvait engager un jeune qui n'avait pas fait son service militaire? Le CEA. Cela pouvait même être intéressant pour le service militaire que je pensais pouvoir faire au Département Militaire de ce même CEA qui à l'époque faisait la bombe. La bombe atomique bien sûr.
Et c'est ainsi que celui qui était parti pour bâtir des barrages en Afrique, allait désormais scruter, dans le laboratoire de Monsieur Rappeneau, au Département de Physico-Chimie du Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay, l'étrange comportement du graphite fabriqué par Péchiney, sous l'effet des radiations nucléaires. Il faut dire que dans les années cinquante, en plein milieu de l'Angleterre, tout l'empilement de graphite qui faisait alors le cœur d'une centrale nucléaire (car le graphite en freinant les particules émises par l'uranium dégageait de la chaleur qui était transformée en énergie) a commencé subitement à se dilater et à faire sauter le toit en coupole qui le surmontait, laissant ainsi les gaz radioactifs se dégager, les poussières tomber sur les bonnes prairies du Sussex que les vaches allaient brouter et dont le lait allait alimenter pendant plusieurs mois les nourrissons du coin. Le gouvernement britannique n'a évidemment pas informé sa population et on n'a jamais su pourquoi cette année-là le centre de l'Angleterre a fourni un peu plus de petits crétins que d'habitude. Mais la France était inquiète car ses centrales de Marcoule étaient du même type. Et même si les Anglais avaient déjà trouvé le remède - il fallait laisser la centrale monter en température de temps en temps, cela s'appelait la recuire, et le phénomène ne se reproduisait plus - on avait quand même chargé Rappeneau et son équipe de refaire tous les essais. Moi j'étais chargé d'étudier l'effet de la radioactivité sur la porosité. Alors je remplissais les pores du graphite de mercure sous pression et les petites billes brillantes couraient sur le plancher du laboratoire et les petites laborantines en perdaient leurs cheveux et leurs dents. Ou alors je faisais passer toutes sortes de gaz à travers des chemises en graphite. Pour cela je devais monter des dispositifs compliqués, et moi qui ai eu toute ma vie horreur du bricolage, je devais braser des tubes en cuivre sur des raccords en laiton. J'ai tenu un an comme cela, puis je suis parti quand même au service militaire à Saumur, puis en Algérie, puis au Sahara. J'en parlerai une autre fois. Et puis je suis revenu, vingt-huit mois plus tard. J'ai fini un beau rapport de synthèse intitulé, Porosité et perméabilité aux gaz des graphites nucléaires, avec en exergue : "Dans chaque graphite il y a des pores qui sommeillent". Mon chef de labo a, comme c'est normal, signé le rapport de son nom et l'a exposé, en supprimant l'exergue, au 69ème Congrès International du Charbon et de ses dérivés de Buffalo, et moi, j'ai cherché du boulot. C'est ainsi que la recherche nucléaire française a perdu l'un de ses plus prometteurs représentants.
C'est en répondant aux petites annonces que j'ai trouvé mon prochain job : ingénieur au Département d'engineering sidérurgique de la maison Fives-Lille-Cail. C'était une époque où fleurissaient encore en France de ces sociétés prestigieuses qui appartenaient à ce qu'on appelait la mécanique lourde. Il y avait Fives, il y avait Le Creusot, il y avait la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire. Toutes avaient des usines qui ressemblaient à des cathédrales où l'on coulait des montants de laminoirs pesant plus de cent tonnes, pour les usiner ensuite sur de grands carrousels de dix-huit mètres de diamètre, ou l'on soudait ensemble de grosses viroles qui s'enroulaient pour former de grands fours de cimenterie ou des broyeurs géants. Univers de poussière, de chaleur, de bruit de machines. Univers que les hommes qui y vivaient, ingénieurs comme ouvriers, ne pouvaient que regarder avec admiration, avec fierté aussi car ils y participaient et ils créaient. Ils créaient des choses qui étaient plus grandes qu'eux. Aujourd'hui ils créent des microchips. Comment regarder du même œil l'infiniment petit et l'infiniment grand ? Aujourd'hui la mécanique lourde a disparu en France. Creusot et Loire avaient déjà fusionné pour former Creusot-Loire. Puis l'inimaginable est arrivé : Creusot-Loire a déposé son bilan. Le vieux Monsieur Schneider a failli sortir de son tombeau. Et Fives, la fière, la mieux gérée, le fleuron de Paribas, a failli en faire autant parce que ses dirigeants vieillissants, sinon gâteux, ont cru bon de diversifier la vieille dame en s'engageant à fond derrière un margoulin de la distribution, ancien directeur commercial de Darty, de la distribution, tenez-vous bien, de matériel électronique grand public, la fameuse NASA Electronic. Quelle honte. Quelle déchéance.
Mais en 1962, nous n'en étions pas encore là. Paribas donc était actionnaire de Fives-Lille et la tenait bien. A côté des trois grands de la mécanique, existait encore une autre société, Delattre-Levivier, qui faisait des aciéries et sa filiale, SECIM, des laminoirs. Cette société appartenait à Monsieur Levivier mais Paribas considérait qu'elle faisait partie de son giron. Voilà que Monsieur Levivier décide un jour de vendre sa société à la Banque de l'Union Européenne, banque de la famille Schneider. Pour Paribas, quelle insulte, Schneider c'était l'ennemi. Fives-Lille, qui jusque-là avait une activité reine, la sucrerie, et une autre un peu moins florissante, la cimenterie, se vit soudain confier la tâche de démarrer une activité sidérurgie. Et c'est ainsi que je suis entré dans une jeune équipe d'ingénieurs de Centrale, des Mines, de l'IDN, qui partaient de zéro, mais avec une foi de néophytes et une énergie de rouleaux compresseurs. J'étais d'autant plus le bienvenu dans l'équipe que je parlais des langues et qu'ils avaient été bien obligés, pour démarrer, de prendre des licences tous azimuts. Chez Pintsch-Bamag à Cologne, charmante société familiale appartenant à une vieille demoiselle Pintsch, dirigée par un vieux Rhénan, le Docteur Weiler (je me souviendrai toujours de la tête de Monsieur Burin des Roziers, bras droit de Monsieur Henri de Wendel, haute bourgeoisie lorraine et catholique, frère de notre ambassadeur au Vatican, que nous avions malencontreusement emmené visiter Bamag un lundi de carnaval, jour des femmes, lorsque les petites secrétaires, en mini-jupes, mini corsages et petits loups, sont entrées sans frapper pour s'asseoir sur les genoux du bon papa Weiler et lui couper avec une grande paire de ciseaux sa cravate, et que le bon papa, avec un sourire béat, leur tapotait les fesses) et qui était le grand spécialiste européen du matériel d'aciérie : convertisseurs, cheminées, mélangeurs, poches, chariots de coulée, etc... Chez DEMAG, à Duisbourg, qui n'était pas encore Mannesmann, autre grand, très grand, de la mécanique lourde, fier à la fois de ses machines et d'être Allemand, qui nous avait accordé, avec beaucoup de magnanimité, une licence pour les toutes nouvelles installations de coulée continue (activité qui allait devenir ma spécialité et que j'allais développer, avec beaucoup d'ingratitude et l'aide de quelques amis allemands qui n'aimaient pas non plus la hautaine Demag, indépendamment de notre ancien licencieur et en concurrence avec lui). Arthur McKee de Cleveland (Ohio) pour les hauts fourneaux et les installations de préparation des minerais de fer où je constaterai, pour la première fois, la façon démocratique des présidents américains d'emmener manger leurs invités à la cantine au milieu de leur personnel.
Mais je vois qu'il faut que je vous explique. La sidérurgie aujourd'hui c'est déjà du chinois. Ce n'est plus bon que pour les Chinois d'ailleurs. Alors voyons, laissez moi vous raconter. L'histoire de l'acier racontée aux enfants par tonton Jean-Claude.
Au début il y avait la cornue, la Bessemer pour les Anglais, la Thomas pour les Français. Car Dieu, qui avait donné aux Français la Doulce France et ses quatre cents fromages, lui avait donné un minerai minable, que les Lorrains appelaient la minette. Drôle de minette, bourrée de phosphore et de soufre. Délicate à traiter si on ne voulait pas obtenir des aciers fragiles et vieillissant mal. A croire que par rapport à nos voisins allemands ou anglais, c'est plutôt la minette qui nous a handicapés dans la course à l'industrie et au capitalisme que la fameuse religion catholique, jugée par d'éminents historiens et économistes inférieure au protestantisme de Calvin et de Luther, du moins dans le domaine de l'esprit d'entreprise.
La cornue était de taille modeste, dix à douze tonnes. On y plaçait la fonte qui venait elle-même du haut fourneau, mystérieuse et imposante tour où l'on introduisait par le haut le minerai de fer préparé et le coke et où se tramaient des réactions bizarres et pas toujours bien contrôlées qui faisaient de cet engin l'un des plus dangereux et des plus imprévisibles de la technologie sidérurgique, et d'où sortait enfin par le creuset du bas cette fonte en fusion qui était déjà du fer presque pur mais qui contenait encore trop de carbone pour pouvoir être trituré et laminé. On remplissait donc la cornue de fonte et on y soufflait par le cul de l'air, tout simplement, pour transformer la fonte grise en acier brillant.
Vinrent alors les Autrichiens qui dans une de leurs usines sur le Danube, inventèrent l'acier à l'oxygène. La cornue devint convertisseur. Au lieu d'air on y soufflait de l'oxygène pur, par une lance depuis le haut. Exit la petite cornue de dix tonnes. Arrive le convertisseur de trois cents tonnes. Et le cycle descendit à une demie-heure. Ce qui fait qu'on commençait à cracher trois cents tonnes d'acier liquide toutes les trente minutes. Et on s'étonne qu'on ait du chômage aujourd'hui!
L'acier liquide était versé dans une poche pour être coulé dans des lingotières. Les lingotières étaient manutentionnées par des ponts roulants spéciaux à lingotières. Puis on sortait les lingots des lingotières avec un pont roulant spécialisé appelé pont stripper. Puis les lingots étaient chauffés dans un four et passaient dans un puissant laminoir qui les dégrossissait pour en faire des brames larges et épaisses ou des blooms qui étaient de section carrée, laminoirs que l'on appelait slabbings ou bloomings. Enfin les brames ou les blooms passaient dans un second laminoir qui en faisait des bandes ou des petites billettes ou des profils ou des rails.
Alors un certain Monsieur Junghans invente la coulée continue. Merveilleuse invention : une lingotière en cuivre refroidie par de l'eau, ouverte aux deux bouts, dans laquelle, après avoir bouché provisoirement l'un des bouts, on va couler une poche d'acier liquide après l'autre. En sort une brame ou un bloom sans fin, dont seule la peau est solidifiée, l'acier étant encore liquide au cœur, guidé par des rouleaux, cintré jusqu'à l'horizontale, coupé en morceaux par des chalumeaux. Opération continue, économique. Exit les lingotières, le pont à lingotières, le pont stripper, le four à lingots, le slabbing et le blooming. Et on s'étonne qu'il y ait du chômage!
J'avais la chance de venir à la sidérurgie alors même que ces deux révolutions, l'aciérie à l'oxygène et la coulée continue, étaient en train de s'installer. J'aimais me promener dans les aciéries, j'aimais l'acier en fusion, le ronflement du convertisseur, les projections d'étincelles, la chaleur desséchante.
Et puis j'allais découvrir l'Amérique. Et pour commencer, Salem, Ohio, où j'allais accompagner un technicien de notre usine de Denain déchiffrer les plans d'un constructeur de laminoirs à froid, la société Bliss. Je me souviens des premiers étonnements, l'accent impossible, les gens qui s'appellent tous par leur prénom, les curieuses maisons en bois aux péristyles romains, l'hôtel lui aussi tout en bois, tellement sec qu'il allait d'ailleurs flamber l'année d'après et où j'allais comme toujours - car il fallait que je fasse partager mes découvertes - faire venir Annie. Mais ce n'était qu'un début. J'allais ensuite véritablement explorer cette Amérique. Parcourir l'Ohio et la Pennsylvanie à la découverte des nouvelles aciéries. Participer à des conférences sidérurgiques à Cleveland (et accessoirement, découvrir cette institution américaine qu'était le burlesque, où de dignes congrégationnistes sidérurgistes allaient voir, pour quelques dollars, des strip-teaseuses salaces se contorsionner puis s'agenouiller en bord de scène en tirant sur leur slip noir et élastique pour laisser le premier rang voir jusqu'au fond de la chose). Voir les chutes du Niagara dans les neiges et les glaces, coloriées par des projecteurs en vert pistache, en rouge sang de bœuf et en bleu électrique. Traverser toute la Nouvelle Angleterre, pendant une journée entière, les yeux émerveillés par l'éclat de l'automne américain, le jaune brillant des érables, le rouge explosif des chênes, pour arriver jusqu'à l'Atlantique chez un inventeur de génie polonais, Sendzimir, qui avait réalisé un laminoir tout fou, avec plein de petits rouleaux qui permettaient de réaliser des réductions à froid jamais vues de bandes inoxydables jusqu'à l'épaisseur d'une lame de rasoir (encore un dont nous avions la licence). Descendre avec un jeune loup de Paribas, de New York en Floride, pour essayer de vendre une aciérie de poche à un Cubain réfugié qui voulait faire de l'acier à partir des ferrailles de vieilles voitures, associé à un directeur de Caisse d'Epargne locale, ancien de l'équipe Kennedy, chez qui je verrai pour la première fois le luxe des piscines intérieures, les bars cuisines, les huîtres chaudes et les bonnes qui arrivent en Limousine. Découvrir, après avoir pris des petits avions et roulé pendant des heures dans un désert blanc, un autre inventeur, nain déformé par la polio, Monsieur Hazlett, dont le bureau d'études donnait directement sur le lac Champlain par lequel arrivaient en bateau tous les dessinateurs, et qui avait mis au point une autre forme de coulée continue à chaînes, que nous allions vendre ensuite à Ugine pour l'une de leurs usines secrètes des Alpes ou des Pyrénées produisant toutes les sortes possibles d'aciers inoxydables ou réfractaires. Conduire la première fois la Cadillac de notre agent de New York, Monsieur Ordjanian, Russe arménien, qui parlait encore russe à ses enfants, sa femme leur parlant arménien, et avec qui on était allé voir une autre invention bizarre, la coulée discontinue celle-là, brame après brame dans d'immenses caisses en graphite ; puis visiter les bars de Baltimore où des filles presque nues marchaient sur le comptoir et où des entraîneuses venaient sans gêne, vous mordre l'oreille et vous saisir les particules. Puis remonter vers New York en traversant le New Jersey que les Américains appellent, probablement par dérision, le Garden State alors que sur plus de cent kilomètres, on ne voit, à droite, à gauche, que des raffineries de pétrole sans fin qui fument et qui puent, puis après être passé sur un pont très haut dans les airs, rentrer à Manhattan, et toujours au volant de la belle Cadillac, remonter triomphalement toute la cinquième avenue.
Quand je cherche à retrouver aujourd'hui les émotions que j'éprouvais en ce temps-là, je me souviens surtout des moments où j'étais seul, à rouler, en Chevrolet ou Ford Station Wagon, sur des routes qui se déroulaient jusqu'à l'horizon, à dévorer un continent qui n'était pas le mien, à écouter à la radio de bord le son lancinant et nouveau de quatre garçons de Liverpool, qui étaient venus eux aussi débarquer en Amérique et qui mélopaient Michelle, ô Michelle, Michelle, Michelle, du matin jusqu'au soir, et moi qui vibrait de bonheur, de ma jeune puissance, et d'attente aussi, une attente vague mais excitante de ce qui allait m'arriver après.
Fives-Lille savait bien choisir ses représentants. Un Russe arménien en Amérique, un Comte hongrois en Italie. C'est avec le Comte de Mariassy que je suis allé visiter Danieli du côté de Trévise. Danieli faisait des aciéries de poche. C'étaient d'ailleurs les Italiens qui avaient inventé le système. Les familles sidérurgistes de Brescia. On les appelait les Bresciani. Une aciérie de poche c'était un ou deux fours à arc électriques où l'on fondait de la ferraille. La ferraille à l'époque devenait abondante et bon marché. On avait commencé à introduire en Europe ces grosses machines à compresser une voiture en un petit paquet cadeau que l'on voit si souvent dans les films policiers (en général avec un cadavre oublié dans le coffre de la voiture). Et puis une petite coulée continue à deux ou quatre brins qui fabrique des petites billettes. Et puis un petit laminoir qui va produire à partir des billettes des poutrelles ou des ronds à béton. La capacité de l'aciérie de poche sera dix à vingt fois inférieure à celle d'une grande sidérurgie. Mais cela va coûter cinquante à cent fois moins. Et on s'étonne qu'il y ait du chômage! (Refrain connu). Alors avec de Mariassy, je suis allé visiter Brescia puis Danieli à Trévise et puis on est allé passer la soirée à Venise. Je m'en souviendrai toujours de cette soirée-là. C'était en novembre, il pleuvait. La place Saint Marc était sous l'eau. Les touristes avaient fui. On aurait dit que tout à coup Venise était à nouveau habitée par sa vraie population. Ou était-ce une population fantôme ? Une population qui ne revenait à la vie que lorsque l'été était terminé et qui continuait celle des temps immémoriaux, des doges, des marchands, des Slaves de Dalmatie, des Levantins de Turquie, des Juifs d'Espagne et des jolies choristes que faisait chanter Monteverdi. C'est comme si le Comte avait eu une baguette magique. Tout à coup apparaissaient des artistes, des intellectuels, des aristocrates, des excentriques. Et le Comte en faisait partie. Car il avait épousé la fille d'une grande famille qui avait un palais sur le Grand Canal. Nous avons commencé la soirée au Harris Bar, l'avons continué au palais et puis nous avons rendu visite au studio d'une artiste peintre, une amie du Comte. Le mur et le toit étaient en verre. La lune était pleine et un peu rousse. Les toits de Venise se devinaient dans la lumière nocturne. Il n'y avait que le Lido qui était éclairé au loin. Venise, elle, gardait son mystère. Nous étions tous les trois couchés sur des canapés à boire du cognac, à fumer des cigarettes égyptiennes. L'amie du Comte nous décrivait la vie des Vénitiens, des vrais, ceux qui voyageaient dans le monde, tels des zombis, lorsque les touristes envahissaient Venise, puis, en hiver, reprenaient possession de leurs lieux et revenaient à la vie. J'aurais probablement pu passer la nuit chez elle. Le Comte avait un sourire de sphinx. Mais dès l'origine ma passion pour Annie avait pris un côté mystique. Toucher une autre femme me faisait frissonner comme lorsque je recevais, enfant, la sainte hostie sur la langue et que me revenait, refoulée, la pensée que j'avais omis de confesser un péché mortel et que tout mon corps criait au sacrilège. En matière de fidélité conjugale, je suis un homme de peu de mérite. Il n'empêche que les avances de la femme de Putiphar ajoutaient à la magie du moment. Nous sommes finalement partis nous coucher tous les deux sagement, moi à l'hôtel, le Comte au palais de la belle-famille. Mais nous avons flâné encore le long des canaux. Puis nous sommes tombés en arrêt en face du théâtre de La Fenice, brillamment éclairé. Des chats y étaient rassemblés. Un énorme chat blanc semblait être le chef de la bande. Il était assis au beau milieu des escaliers en train de se passer la patte en nous regardant. D'autres encore, gris ou rayés, étaient dispersés sur la place et sur les marches. Tout à coup les portes s'ouvrent et la foule en habits de soirée sort de la lumière, descend les marches. Chacun évite soigneusement les chats, certains se baissent pour les caresser. Le chat blanc continue sa toilette. Les autres restent immobiles comme des pierres. Comme s'ils connaissaient leur statut dans Venise, leur rôle de gardiens, de protecteurs contre ceux qui viennent d'en bas, de l'eau, de l'obscurité, les rats, les malfaisants.
Le projet de l'aciérie à l'oxygène de Galatz nous a occupés pendant près de deux ans. C'est dire que j'ai bien connu Bucarest, ses hôtels style Marienbad et les déprimants bureaux du Machino-import roumain. D'autant plus qu'après l'aciérie j'ai suivi, tout seul, ou presque, le projet de tôlerie qui a complété l'aciérie. Et là j'ai vraiment frôlé la dépression, nos chances me paraissaient nulles, je tournais en rond et je faisais de la claustrophobie dans ma chambre d'hôtel. Mais l'affaire de l'aciérie, c'était différent. Nous étions nombreux, toute une équipe. Il fallait l'être, car en face de nous, surtout au début, se trouvaient vingt interlocuteurs. Qui passaient d'ailleurs systématiquement par un interprète, alors qu'ils parlaient presque tous parfaitement le français. C'était une des choses qui m'a le plus frappé au départ, cette impressionnante francophonie des cadres du pays et l'importance donnée à la latinité dans les discours officiels. Quand on sait ce que les Romains pensaient de leur colonie pénitentiaire! Mais les Roumains s'y accrochaient désespérément, à la latinité, et le font encore aujourd'hui, pour se distinguer des Slaves qui les entourent. C'était aussi pour moi, mon premier contact avec le monde communiste. Notre agent, qui faisait partie d'une filiale de Suez, nous mettait tout de suite dans le bain en nous expliquant que toutes les chambres étaient truffées de micros et qu'il y avait un énorme centre d'écoutes dans les sous-sols de l'hôtel. Avec lui on ne parlait que dans la rue ou alors en faisant beugler la radio pour brouiller l'écoute. Il avait séjourné trop longtemps. C'était visible. Il semblait toujours terrorisé, parlant à voix basse et en regardant derrière lui. Cela allait empirer encore quelques années plus tard lorsque la secrétaire de l'agent du groupe Schneider allait disparaître mystérieusement avec son frère fonctionnaire qui lui avait fourni des informations sur les prix des concurrents. On disait qu'ils partaient couper les joncs dans le delta du Danube. C'était un endroit où l'on attrapait très vite la malaria et d'où l'on ne revenait en principe plus jamais. Le système politique de Ceausescu était déjà à l'époque l'un des plus policiers d'Europe de l'Est. Mais il flattait le nationalisme de ses cadres en s'opposant à Staline qui avait voulu faire de la Roumanie le partenaire agricole du COMECON. Or Ceausescu construisait des complexes sidérurgiques et des usines d'automobiles.
J'ai eu l'occasion de les visiter tous ces pays d'Europe Centrale passés sous la botte russe. La Bulgarie tout d'abord. C'était un voyage plutôt délirant. J'étais avec un Américain. Un Américain typique, jeune, fier de son pays, de Salem, Ohio. Il travaillait pour Bliss, le roi du laminoir à froid. On l'avait invité à dîner chez nous à Bougival. Annie lui avait demandé ce qu'ils allaient faire au Vietnam, recommencer l'expérience de la France? Est-ce que cela ne leur suffisait pas? Bearer riait d'un air condescendant. "Vous n'avez aucune idée de ce que c'est la puissance militaire américaine. C'est idiot de comparer". Il était venu avec nous en Roumanie défendre le projet de laminage à froid de Galatz. C'était déjà un sacré choc culturel. Mais alors notre agent en Roumanie a eu la malencontreuse idée de nous proposer d'aller à Sofia. Pour étudier un autre projet du même type. Si je me souviens bien, on y est allé par le train. Arrivés à Sofia, bien fatigués, nous avons réussi à prendre un taxi après beaucoup de difficultés, ayant mis quelque temps à comprendre que lorsque le chauffeur secouait sa tête de gauche à droite en réponse à notre question : "Etes-vous libre?", cela voulait dire en langage du pays "oui" et non pas "non" ; puis introduits dans un bureau du Machino-import local, nous avons soudain été mis en présence de quatre Bulgares qui avaient tous de véritables têtes de Turcs et portaient tous la même moustache pendante d'Effendi de l'ancien temps. Ils nous ont regardé en silence pendant cinq minutes, puis un membre subalterne du parti a apporté un plateau avec sept verres de cognac. De cognac bulgare. Il était neuf heures du matin. Nous étions tous des employés modèles et dévoués de nos entreprises respectives. Nous avons avalé consciencieusement et d'un seul trait nos cognacs. Nos quatre têtes de Turcs continuaient à nous regarder et à se taire. Notre agent à Bucarest et Sofia réunies, se taisait lui aussi et me regardait. J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai expliqué, en allemand, qui nous étions, ce que nous voulions, et que, Bearer ici présent, était le roi du laminage à froid impérialiste. Les quatre Turcs se taisaient et me regardaient. J'ai alors dit que la France aimait beaucoup la Bulgarie, qu'elle faisait des financements fantastiques, que nous pourrions fabriquer dans nos belles usines françaises mais que la technique viendrait d'Amérique et que Bearer etc... Alors tout à coup, l'un des Bulgares à tête de Turc s'est décidé à ouvrir la bouche et il m'a demandé : "Est-ce que vous pouvez me dire comment vous régulez l'épaisseur de votre bande sur toute la largeur de vos cylindres de laminage?" J'ai traduit en anglais. Alors là tout à coup, mon Bearer, il a explosé. "Jamais Jones & Laughlin, le plus grand fabricant de fer blanc du monde, celui qui fournit Coca Cola, n'a demandé à Bliss comment ils faisaient pour qu'ils aient une tôle parfaite. Alors croyez-vous que moi je vais m'abaisser à expliquer à ces sauvages comment on fait? D'ailleurs moi je ne sais même pas. J'ai des spécialistes pour cela." Pour une fois je me suis permis de ne pas faire une traduction mot à mot. Mais je peux vous dire que nous avons été libres largement avant midi et que nous avons eu tout notre temps pour visiter les jardins de roses de Sofia.
Budapest, c'était un peu différent. J'étais surpris. On avait du mal à croire qu'on était en régime communiste. Les restaurants étaient somptueux. Il y avait un tas d'intermédiaires qui avaient l'air de faire des affaires. Les Hongrois ont toujours été pour moi des gens un peu mystérieux. Malgré le Tokay et le violon, ils gardent toujours une certaine distance, comme une carapace autour d'eux, en fait ils sont froids, impénétrables. C'est peut-être leur langue, qui est comme le finnois et le basque, une espèce de butte témoin au milieu de l'océan des langues indo-européennes. Je me demande si ce pays-là a jamais été vraiment communiste.
Prague, c'était différent. Depuis ma première exposition universelle, ébloui par le stand tchèque, depuis les premiers dessins animés tchèques, depuis surtout le cinéma intimiste d'Au feu les pompiers, je voyais la Tchécoslovaquie comme un pays de haute culture, peuplé d'artistes, de miniaturistes, doué comme la France pour la psychologie. Prague pour moi, c'était le plus européen de tous les pays soumis à la botte russe. Le plus injustement abandonné par tous ses frères occidentaux. Or j'arrive à Prague en plein printemps politique, le temps du socialisme à visage humain. Je n'en revenais pas. Alors que je sortais de la dictature roumaine, voilà que tous les chauffeurs de taxi, les ingénieurs, les fonctionnaires même, les hauts fonctionnaires du Machino-import tchèque me parlent des exploiteurs russes, des prix d'achat honteux du pétrole russe, des prix de vente ridiculement bas des aciers tchèques, du papier hygiénique à double couche (une copie à envoyer à Moscou), de la tyrannie communiste. On parle, on s'échauffe, on s'enthousiasme. Je suis éberlué, un peu suffoqué. Un mois plus tard, je suis en vacances avec Annie au Club Méditerranée à Agadir. La nouvelle tombe un soir. Les chars russes sont rentrés dans Prague. Le beau rêve est brisé. J'ai les larmes aux yeux. Comme j'avais eu les larmes aux yeux quelques années plus tôt lorsque, nous promenant dans Paris, les bandes lumineuses place de l'Opéra annoncent: Kennedy est mort. Il a été assassiné. Un autre rêve brisé. Car Kennedy pour notre génération représentait quelque chose. Un politicien qui parlait de l'an 2000, de l'humanité, de son destin. Il donnait un élan, un sens. Il était le Chevalier blanc. Il a été détruit par les forces obscurs, les forces du Mal. Aujourd'hui on cherche à le salir. A le ramener à ras de terre. Un forcené du sexe. Un allié de la Mafia. Alors que la Mafia l'a peut-être tué. Et qu'on ne lui a pas laissé sa chance. Ni à son frère. Mais la médiarchie s'attaque à tous. On apprend que Walt Disney travaillait pour la CIA et que Hoover était homosexuel, prisonnier de la Mafia. Je n'ai de sympathie ni pour l'un ni pour l'autre. Je m'interroge simplement si c'est vrai. Ne cherche-t-on pas la sensation à tout prix? Et surtout à rabaisser. Ma grand-mère, ma tante, ma mère admiraient les rois et regardaient le couronnement de la Reine d'Angleterre avec beaucoup d'émotion. Aujourd'hui pour réussir il faut que les médias couvrent de boue ceux qui sortent du commun. Qui a changé? Les médiocrates? Ou nous?
L'Allemagne de l'Est et la Pologne, je les ai connues plus tard. Quand je vendais les treuils de notre entreprise luxembourgeoise. Les foires de Leipzig et de Poznan. De Leipzig j'ai surtout retenu les soirées dans les fermes, dans les arrière-salles où les bouches enfin s'ouvraient, où l'on vous disait la vie commune, où l'on racontait des histoires sur Staline, sur Ulrich, qui ressemblaient comme deux gouttes d'eau à celles qu'on racontait sur Hitler et sur Goering pendant la guerre. Pour ces gens-là la guerre n'avait jamais fini. Le pire c'est que les émissions de télévision de l'Ouest n'étaient même plus brouillées. On savait comment l'Ouest vivait. Et à l'Est il fallait dix ans ou toute une vie pour s'acheter une Trabant. Et on ne voyait pas comment les choses pourraient changer pour ces gens-là. Pour tous ces pays. L'Allemagne de l'Est, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne. Ils pouvaient faire toutes les révolutions qu'ils voulaient, l'armée russe était là. Imbattable à tout jamais. Et à Moscou il n'y avait rien de nouveau. Il n'y aurait jamais rien de nouveau. Car l'oligarchie au pouvoir se reproduisait indéfiniment. Il n'y avait aucun espoir jusqu'à la fin des temps. C'est pour cela que Gorbatchev est arrivé comme un archange. C'est pour cela que la chute du Mur a été ce miracle qui nous a tous émerveillés. Un miracle que nous avons déjà oublié.
De Poznan, j'ai surtout retenu la grosse acheteuse polonaise qui m'a embrassé sur la bouche après avoir vidé un grand verre de vodka et les troupeaux d'oies qui rentrent le soir à la ferme, depuis les grands bois de bouleaux à l'horizon, menés par de grands jars qui lèvent leur cou vers le ciel crépusculaire en lançant des cris de crécelle. Les Polonais s'en foutaient des Russes. Ils les insultaient ouvertement. Ils les bravaient tout le temps. Mais les Russes ne leur ont jamais envoyé leurs chars. On ne dompte pas des fous. Car les Polonais sont une quintessence de Slaves. Légers comme l'air, débarrassés de la langueur des Russes écrasés par les étendues infinies, un peu primaires pourtant, pas raffinés comme les Tchèques (ils les traitent de lâches. Mais le raffiné qui se met à la place de l'autre, qui imagine sa propre douleur, n'est-il pas forcément lâche?). Ils sont pourtant imaginatifs les Polonais, follement imaginatifs, jusqu'à cultiver l'absurde. Si le cinéma intimiste caractérise les Tchèques, c'est le surréalisme qui correspond le mieux aux Polonais. Au moment où l'Europe de l'Est passe progressivement à la mode de l'Ouest, ce n'est pas la Tchécoslovaquie, ce n'est pas la Hongrie, pourtant vieux pays de culture européenne qui partent le mieux. Non c'est la Pologne brouillonne qui se démerde et qui gagne.
Je ne peux pas vraiment dire que j'ai retrouvé la Roumanie décrite par Istrati. Peut-être que le système communiste mettait comme un voile sur tout. Bucarest n'était pas encore complètement défigurée par les visées grandioses de Ceausescu. On avait largement le temps de flâner entre deux séances chez Machino-import. Devant l'Athénée-Palace se trouvait un grand parc où vivaient quelques pélicans du Delta. Un peu plus loin il y avait une colline où était nichée, au milieu de pins centenaires, une petite église orthodoxe fréquentée par quelques vieilles femmes et un pope en robe râpée. En dessous se tenait un marché assez coloré où des paysans du Danube avaient le droit de vendre quelques œufs et quelques légumes provenant de leurs petits lopins particuliers. Mais la ville, si belle avant guerre, était grise, les maisons n'étaient plus entretenues depuis longtemps, et dès qu'on poussait la porte, on était pris par une odeur suffocante et caractéristique de désinfectant. Quant aux habitants, ils déambulaient, tristes et gris eux aussi. Tout ce qui restait de la force vitale de la Roumanie d'Istrati c'était le sexe. Les femmes s'offraient (paraît-il) pour une paire de bas nylon. Je ne suis sorti de Bucarest qu'à deux reprises.
Une fois vers le nord, les Carpathes sous la neige. On est monté par des sentiers forestiers avec une GAS, la Jeep russe, jusqu'à un ancien château royal (le jeune guide bien endoctriné - car on ne pouvait sortir de la ville qu'avec guide et chauffeur - nous expliquait que le dernier roi s'adressait souvent au peuple en faisant semblant de pleurer sur leur misère mais qu'en réalité il pleurait parce qu'il souffrait d'hémorroïdes).
Une fois, vers le sud, la Mer Noire, à travers les grandes plaines fertiles du Danube où les paysans vivaient encore, décemment nous semblait-il, dans de petits villages plutôt coquets (c'était avant que Ceausescu les force à habiter en HLM). Je me souviens surtout de Constanza, le forum romain et son immense mosaïque, et le petit musée, un vrai bijou, où un jeune conservateur, heureux, nous a montré ses trésors et cette merveilleuse petite statuette en or : un serpent lové pourvu d'une gracieuse tête de jeune fille aux longs cheveux défaits. Une petite statuette mystérieuse, d'origine inconnue, faisant une la femme et le serpent, ce serpent qui n'a jamais existé, qu'Eve avait inventé pour mieux tromper Adam, car il n'y a jamais eu de tentateur, mais seulement une tentatrice, Eve la divine, et qui valait mieux que tous les Paradis.
Peut-être restait-il quelque chose de l'atmosphère de cet ancien empire ottoman omniprésent dans les nouvelles d'Istrati, cet empire qui s'étendait de Sarajevo, en passant par Athènes, Sofia, Bucarest, Istambul, Damas et Beyrouth, jusqu'à Alexandrie, liant ensemble des pays qui avaient déjà eu une histoire commune ou des échanges qui remontaient à l'Antiquité, mais qui allaient vivre ensemble longtemps sous la férule turque, conduisant à des flux de populations et à des cultures voisines. A Bucarest, les Levantins étaient partis, à part quelques Grecs (Georges qui gérait encore un restaurant, le Pescarul). Mais beaucoup, parmi le peuple, avaient des traits physiques un peu turcs. La cuisine, elle, était plus de type communiste que de type méditerranéen. La façon de négocier, elle, était bien orientale. Cela nous l'avons appris un peu tard. En fait les Roumains avaient choisi, dès le départ, celui qui ferait Galatz. Celui qui avait le plus de références et la meilleure image. On ne gardait les autres sept concurrents que pour amener l'heureux élu à accepter le prix le plus bas, les plus favorables conditions de financement, de garanties, de pénalités et la meilleure technique. Nous, dès le début, nous n'avions jamais eu la moindre chance...
(1993)
Note (2012) : On peut télécharger cette note de mon site Carnets d'un dilettante (www.bibliotrutt.com ) sous le titre : Le graphite et l'acier.