Voyage autour
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Tome 2 : Notes 8 (suite 3): Peuples d'Afrique du Sud

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(Zoulous: le père Bryant, les guerres zouloues; Bushmen et Laurens van der Post; Boers et Guerre des Boers)

80) n° 1813 A. T. Bryant: The Zulu People, as they were before the White Man came, édit. Shuter and Shooter, Pietermaritzburg, 1949.
81) n° 2312 H. Baumann et D. Westermann: Les Peuples et les Civilisations de l’Afrique, suivi de Les Langues et l’Education, préface de Théodore Monod, édit. Payot, Paris, 1948.
82) n° 1883 Donald D. Morris: The Washing of the Spears, a History of the Rise of the Zulu Nation under Shaka and its Fall in the Zulu War of 1879, édit. Simon and Schuster, New-York, 1965.

Une beauté Ndebele


Bryant est arrivé en Afrique du Sud comme missionnaire en 1883. Il a vécu pendant près de soixante ans en contact direct avec les Zoulous. Il est l’auteur du premier dictionnaire zoulou-anglais publié en 1903. The Zulu People terminé en 1935 est l’oeuvre de sa vie, un ouvrage d’ethnologie très complet et dont émane une grande sympathie pour ce peuple attachant. Baumann est considéré comme un des grands ethnologues spécialistes de l’Afrique. Il étudie l’ethnographie sur le plan régional et a mis en lumière l’existence de ce qu’il appelle des cercles culturels. Westermann est un grand linguiste et a réalisé la première grande classification des langues africaines. Il était Directeur de l’Institut International des Langues et Civilisations Africaines.
Bryant commence son étude par l’histoire des origines et des migrations. Lors de mes derniers séjours en Afrique du Sud il y avait une telle hostilité entre Zoulous et Xhosas que je croyais d’abord qu’il s’agissait de cet antagonisme classique entre éleveurs nomades et paysans sédentaires que l’on trouve si souvent en Afrique. En réalité il n’en est rien. Zoulous et Xhosas non seulement sont des Bantous mais font même partie de la même branche linguistique, les Ngunis. En fait la grande majorité des tribus noires d’Afrique du Sud sont des Bantous. Baumann distingue trois groupes: les Ngunis dont font également partie les Ndebelele connus pour leur amour des couleurs et les décorations géométriques de leurs habitations, les Tongas et les Sothos-Tchouanas (voir Lesotho et Betchouanaland).
Un ouvrage relativement récent concernant la situation actuelle des langues mondiales est celui de Michel Malherbe: n° 1777 Michel Malherbe: Les Langages de l’Humanité, une encyclopédie des 3000 langues parlées dans le monde, édit. Seghers, 1983. C’est un livre de vulgarisation mais basé sur les dernières données scientifiques connues (pour les langues africaines une synthèse faite par les linguistes du CNRS en 1981). On y apprend que sur 1200 langues africaines près de la moitié font partie du groupe de langues bantoues et que le bantou est parlé par plus de 100 millions d’hommes. Bryant fait remarquer qu’il y a une très grande stabilité dans la famille de langues bantoues, beaucoup de racines communes, une parenté plus grande même qu’entre langues indo-européennes. Ce qui étonne d’autant plus que dans les autres zones linguistiques (langues guinéennes et soudanaises) l’émiettement des langues est total. Bryant explique ce phénomène par les habitudes de vie: les Bantous étaient tous des éleveurs vivant en grands groupes sur les mêmes territoires. Les autres étaient souvent des chasseurs qui s’éparpillaient en petits groupes qui n’avaient plus de liens entre eux.
La langue bantoue la plus connue est bien sûr le swahili parlé par 15 millions de locuteurs en Afrique de l’Est dont les Bantous d’Afrique du Sud sont d’ailleurs originaires. Massaïs, Galas, Tutsis sont leurs cousins lointains. Le swahili a adopté beaucoup de mots arabes (les marchands d’esclaves). Les langues bantoues d’Afrique du Sud ( zoulou: 5 millions, xhosa: 4 millions, sotho: 2,5 millions, tswana: 2,5 millions), du moins celles des Zoulous et des Xhosas, ont pris aux Hottentots et aux Bushmen, qui sont l’autre grand groupe linguistique, les fameux clics, ces battements de langue ou des lèvres qui accompagnent certaines consonnes et que nous connaissons bien en France grâce à l’ancien Président Giscard. Ce clic est un tic qu’il a dû prendre en Afrique, car c’était un grand chasseur de fauves. Il avait probablement des porteurs hottentots. C‘est bien sûr une explication toute personnelle...
Bryant décrit dans tous les détails la vie quotidienne d’un kraal, où vivent tous les membres d’un groupe familial: le chef de famille, ses femmes (en général pas plus que deux), ses fils mariés et tous ses enfants et petits-enfants. Tout y passe, les coutumes, la politesse, la nourriture, l’occupation de chacun, les mythes, la magie, les fêtes, le mariage et même la sexualité. Ainsi on apprend que les jeunes ont une sexualité plutôt libre, à condition seulement que les relations soient toujours exogames et que la jeune fille ne soit pas «imprégnée». Bryant utilise le terme: external sexual intercourse. Je ne sais ce qu’il veut dire par là. Est-ce du flirt poussé ou s’agit-il du coïtus interruptus, ce que ma chère tante appelait «laisser son fardeau devant la porte de la grange»? On sent en tout cas toute l’admiration du Révérend pour cette vie pastorale, où les gens sont beaux et presque nus, vivent simplement, se nourrissent de lait, de céréales et de légumes, ne mangent de la viande qu’une demie-douzaine de fois par an, dansent et chantent, ont des lois, des règles, une coutume, une civilisation en quelque sorte, et une discipline imposée par le haut, le chef de famille ayant droit de vie et de mort sur tous ses descendants. La vie qu’il décrit est la vie «avant que l’homme blanc arrive» comme il le dit dans le titre de son ouvrage. Ou, pour être plus précis, avant 1900, ce qui correspond à la fin de la guerre des Boers, l’invasion du pays zoulou par les Blancs et l’utilisation de plus en plus intensive des Noirs dans les mines d’or et de diamants. On comprend mieux ainsi ce qui va manquer aux jeunes Zoulous âgés de 20 à 30 ans qui vont quitter leurs kraals et cette vie bien réglée, pour les centres industriels de Durban et de Johannesbourg où ils vont bien vite se retrouver sans repères. Et ce qui est valable pour les Zoulous l’est aussi, bien sûr, pour les Xhosas et les autres tribus d’Afrique du Sud. C’est le sujet du grand roman d’Alan Paton, Pleure ô Pays bien-aimé, dont on parlera encore.
Il est curieux de constater que le grand Shaka, le Napoléon africain, a dû affronter les mêmes difficultés lorsqu’il était jeune que le Ghengis Khan des Mongols. Du moins si l’on en croit l’écrivain japonais Inoue (voir n° 1859 Yasushi Inoue: le Loup Bleu, le Roman de Ghengis Khan, édit. Philippe Picquier, Arles, 1990). La mère du futur Ghengis Khan a été enlevée par un guerrier d’une autre tribu et aussitôt violée. Son mari la délivre mais des doutes vont subsister concernant la paternité de l'enfant qu'elle va mettre au monde. Et lorsque le père du futur Ghengis Khan meurt les membres de sa tribu l’abandonnent, en partie parce que c’est la coutume lorsqu’un chef meurt, en partie parce qu’ils ne croient pas en sa légitimité. Le jeune Temüjin, qui régnera plus tard sur tous les Mongols sous le nom de Ghengis Khan, devra, à l’âge de treize ans, subvenir aux besoins de sa mère, de ses frères et demi-frères. Il pourra compter sur un chef de tribu, ami de son père, chez qui il avait vécu, enfant. Plus tard il va affronter les autres tribus, les soumettre les unes après les autres, créer comme Shaka une armée puissante et révolutionner l’art du combat et des armes.
La naissance de Shaka n’est pas non plus très régulière. Car son père, Senzangakona, et sa mère, Nandi, étaient du même clan, ce qui ne se fait pas chez les Ngunis (mariage endogame). En fait Senzangakona avait déjà deux femmes lorsqu’il rencontre une fille du clan de sa mère, l’orpheline d’un chef, une fille sauvage et volontaire qui tombe amoureuse de lui. Les deux jouent au jeu décrit par le Révérend Bryant. Manque de chance, Nandi tombe enceinte et son clan demande à Senzangakona de venir la chercher. Elle devient ainsi sa troisième femme mais cela ne plaît évidemment guère aux Anciens, ni à ceux du clan des Zoulous, ni à ceux du clan de Nandi. Mais Senzangakona était le chef et estimait que les règles du commun ne s’appliquaient pas aux chefs (vieille histoire). Il était le petit-fils d’un nommé Zoulou. Son clan avait pris le nom de l’ancêtre. A cette époque les Zoulous ne dépassaient pas les 1500 individus.
Shaka qui est né autour de 1787 est élevé loin de sa tribu, dans le clan de sa mère. Il y est maltraité. Plus tard son père le place dans un autre clan, les Mtetwa, où il devient un guerrier valeureux et où il commence ses innovations: remplacement de l’arme de jet par une longue lance que l’on garde à la main et qui est encore aujourd’hui la marque des Zoulous, adoption d’un bouclier de grande taille qui n’est pas seulement une protection mais une arme: il accroche le bouclier de l’adversaire, enfin organisation de l’armée en trois corps, deux flancs (les deux cornes) et un front, et introduction d’un service militaire. C’est également avec les Mtetwa qu’il obtient ses premières victoires. Et c’est le roi des Mtetwa qui le met sur le trône des Zoulous, en 1816. Shaka peut alors déployer tout son génie. Une tribu après l’autre est vaincue et intégrée dans le peuple zoulou. Dès 1817 il dispose de 2000 guerriers. En 1819 son armée en compte 20000!
Les jeunes membres de la tribu sont incorporés dans des groupes de même âge, doivent vivre ensemble dans des kraals, suivre une formation militaire et n’ont pas le droit de se marier au moins jusqu’à trente ans et plus tard même jusqu’à près de quarante ans. Les filles sont également regroupées par tranches d’âge et ne peuvent pas se marier non plus. Il faut attendre la décision du roi. Mais Shaka devient de plus en plus cruel. A la mort de sa mère il fait tuer tous ceux qu’il voit ne pas la pleurer. Finalement il est assassiné par son demi-frère Dingane qui devient roi des Zoulous en 1828.
En 1835 a lieu le grand Trek des Boers dont on a déjà parlé. Les contacts et les frictions entre Boers et Zoulous deviennent inévitables. Le 4 février 1838, les Boers s’en souviennent encore, le Boer Retief et 69 de ses compagnons sont saisis par traîtrise par Dingane et subissent ce supplice qui d’après certains pédérastes, commence si bien mais finit si mal, le pal. Puis il leur fracasse la tête et envahit leur camp: 41 hommes, 56 femmes, 185 enfants et 250 Hottentots sont tous massacrés. C’est la première guerre des Zoulous. Mais les Boers ont quand même le dernier mot. Et obtiennent une grande victoire grâce à un certain Pretorius, qui à partir d’une place forte, attaqué par 12000 Zoulous, en tue 3000. Il faut dire que les Zoulous n’avaient pas d’armes à feu et qu’en plus, on le verra dans la guerre contre les Anglais, les Boers sont d’excellents tireurs.
Le jeune frère de Shaka et de Dingane, Mpande, choisit alors de s’allier aux Boers. Dingane est tué et Mpande devient roi des Zoulous en 1840. Mpande est intelligent (son choix le montre) mais faible. Il a deux fils qui se haïssent, Cetshwayo et Mbulazi, nés de deux femmes différentes, et il ne veut rien faire pour les départager. Chacun d’eux se crée son armée. Finalement a lieu une bataille mémorable en 1856 (un deux décembre comme Austerlitz) et Mbulazi - bien que Mpande envoie à la dernière minute son régiment d’élite pour l’assister - est tué avec ses frères et tous ses guerriers sont exterminés.
Mpande ne meurt qu’en 1872 et ce n’est qu’à sa mort que Cetshwayo devient officiellement roi. Une nouvelle guerre se prépare en 1879. Cetshwayo a 50000 soldats en armes mais il ne cherche pas l’affrontement. Ce sont les Anglais qui le cherchent. Ils viennent d’annexer le Transvaal. Ils veulent une confédération blanche et casser le danger zoulou. Ils adressent à Cetshwayo un ultimatum totalement inacceptable et c’est la deuxième guerre zouloue. Mais comme d’habitude les Anglais, toujours aussi imbus de leur force, sous-estiment leur ennemi. Et la guerre va commencer avec une défaite mémorable. Pire qu’une défaite, un massacre. A Isandhlwana, 20000 guerriers zoulous, cachés dans un vallon, surgissent soudain d’un plateau surmontant la plaine où campent les troupes anglaises, les assaillent de tous côtés, insensibles aux tirs des Anglais. Sur 950 Européens à peine 50 en réchappent. Sur 870 soldats indigènes 300 arrivent à se sauver. Il faut dire que ceux-là rompent les rangs plus tôt, épouvantés par ces guerriers qui courent en martelant le sol de leurs pieds nus (Shaka avait supprimé les sandales), frappant leurs larges boucliers de leurs lances et poussant leur cri de guerre: uSuthu. 2000 Zoulous perdent leur vie dans la bataille, mais Cetshwayo a montré aux Anglais que ses guerriers n’avaient rien perdu du fighting spirit que leur avait instillé le grand Shaka. Un fait héroïque met un peu de baume sur la blessure que subit l’amour-propre anglais: celui du Rorke’s Drift, une petite mission qui sert d’hôpital, et qui résiste pendant deux jours aux assauts incessants des Zoulous. Ce fait d’armes fera l’objet bien plus tard d’un film hollywoodien.
Mais les Anglais se reprennent, font une nouvelle incursion dans le Zululand, subissent encore quelques défaites, puis finissent par écraser l’armée zouloue. Auparavant une nouvelle humiliation frappe les Anglais: notre prince impérial Napoléon Eugène Louis Jean Joseph Buonaparte est tué par une petite troupe de Zoulous qui le transpercent de leurs lances, alors qu’il est sous la protection de l’armée anglaise et en particulier d’un officier anglais qui lui est spécialement adjoint et qui s’enfuit et l’abandonne à son sort. Douleur de sa mère, Eugénie Montijo, fille d’un hidalgo sans le sou (comme le dit Morris) et qui n’a jamais pris que de mauvaises décisions dans sa vie (c’est elle qui a tellement insisté pour que son mari obtienne du roi de Prusse un humiliant désaveu dans l’affaire de la succession d’Espagne dont Bismarck a tiré profit pour monter l’histoire de la dépêche d’Ems et déclencher cette funeste guerre de 70 - c’est un Français qui le raconte: voir n° 3009-10 Henri Welschinger, de l’Institut: La Guerre de 1870, Causes et Responsabilités, édit. Plon-Nourrit et Cie, Paris, 1910 - et c’est encore elle qui a insisté pour que l’on autorise le Prince à se battre avec les Anglais contre ces sauvages de Zoulous). Gêne de la Reine et du Gouvernement anglais. Fureur de l’opinion publique en France qui accuse la perfide Albion d’avoir organisé l’assassinat du petit-neveu de Napoléon le Grand. Et grande satisfaction pour moi qui constate que grâce à ces sacrés Zoulous nous avons échappé à un Napoléon IV ou V...
Après la victoire Cetshwayo est jugé, condamné et envoyé en Angleterre. On divise le royaume zoulou entre 13 petits roitelets. On enlève un morceau du royaume pour le rattacher au Transvaal. Plus tard on autorise Cetshwayo à rentrer mais il meurt empoisonné (en 1884). Son fils Dinuzula lui succède mais va lui aussi en prison après une nouvelle insurrection. La royauté continue, du moins nominalement, jusqu’à nos jours mais les Zoulous perdent de plus en plus de terres au profit de colons blancs. Beaucoup deviennent les quasi-esclaves de propriétaires boers. D’autres vont travailler dans les mines (charbon au Natal). Le peuple zoulou est disloqué, appauvri, converti. Il garde néanmoins sa fierté, celle d’être un vieux peuple de guerriers. Et c’est pourquoi les Blancs lui gardent une certaine estime. Les colons européens disent souvent des «sauvages» qu’ils «civilisent»: il n’y a que la force qui leur en impose. On pourrait leur retourner le compliment: eux-mêmes n’ont d’admiration que pour les forts qui leur résistent et que du mépris pour les faibles.


83) n° 1161 H. Rider Haggard: Marie, édit. Cassell and Company, Londres, 1912 (1ère édition).
84) n° 1162 H. Rider Haggard: Child of the Storm, édit. Longmans, Green and Company, New-York, 1913 (1ère édition US).
85) n° 1163 H. Rider Haggard: Finished, édit. McDonald &Co, Londres, 1962.

Piet Retief

Cetshwayo


Rider Haggard, lui, admirait beaucoup les Zoulous. D’ailleurs beaucoup de ses romans mettent en scène des Zoulous. Mais les trois romans cités ci-dessus, présentés comme des aventures vécues par son héros préféré Allan Quatermain, constituent une véritable trilogie qui retrace l’histoire du peuple zoulou. Marie raconte l’histoire du massacre de Retief et de ses amis, mais omet le détail du pal. Cela aurait probablement été mal reçu dans la société victorienne. Je suis certain que la reine Victoria ne savait même pas qu’une telle horreur pouvait exister, elle qui n’a jamais voulu croire à l’homosexualité féminine, ce qui fait que les lois anglaises dont a souffert le malheureux Oscar Wilde, ne se sont jamais appliquées aux femmes. Child of Storm est entièrement centré sur la grande bataille entre Cetshwayo (que Haggard écrit Cetywayo) et Mbulazi (Umbulazi chez Haggard). Haggard, pour corser encore le récit y introduit une «Hélène» zouloue, belle, ambitieuse et maléfique. «La plus belle créature que j’aie jamais vue», dit Allan quand il l’aperçoit pour la première fois. «A supposer bien sûr», ajoute-t-il pour les lecteurs qui pourraient avoir quelques réticences raciales, «qu’une personne qui soit noire ou couleur cuivre, puisse être considérée comme belle». Finished raconte la guerre contre les Anglais et la fin de Cetshwayo. Et là encore on voit apparaître un personnage qui permet de dramatiser l’histoire, un sorcier, Zikali, «la chose qui n’aurait jamais dû naître» et qui, grâce à ses dons de magie, exerce une vieille vengeance sur tous les descendants de Shaka. A part cela Haggard rapporte les faits historiques avec beaucoup de fidélité et la bataille entre les deux frères («Quand deux taureaux veulent à tout prix se battre» avait dit leur père, «il faut les laisser faire») qui se passe sur les bords de la rivière Tugela, est un véritable morceau de bravoure.


86) n° 2816 Das wahre Gesicht des Buschmannes, in seinen Mythen und Märchen, aus den Sammlungen von Dr. W. H. I. Bleek und Lucy C. Lloyd, übersetzt von K. Woldmann, édit. Kommissionsverlag Zbinden & Hügin, Bâle, 1938.
87) n° 3116 Laurens van der Post: Le Monde perdu du Kalahari, édit. Albin Michel, Paris, 1962.
88) n° 3180 Laurens van der Post: A Mantis Carol, édit. The Hogarth Press, Londres, 1975.
89) n° 3130 Laurens van der Post: Flamingo Feather, édit. The Hogarth Press, Londres, 1955.

Les Bushmen, eux, sont les faibles, ceux que l’on poursuit et que l’on extermine. Ils étaient là les premiers. Ils remontent à l’âge de pierre. Ils savent encore aujourd’hui tailler des outils de pierre et réaliser des peintures rupestres. Quand les éleveurs arrivent il n’y a pas de place pour les chasseurs. D’abord sont arrivés les Hottentots. Mais ceux-là n’étaient pas les plus terribles. D’ailleurs Hottentots et Bushmen se sont mélangés. Les deux langues font partie de la même famille linguistique (les deux utilisent le fameux clic!), la famille koi-san. Puis sont arrivés les Bantous par le nord et par l’est. Et puis les Européens par le sud. Pas de chance pour les Bushmen. Aujourd’hui ils n’arrivent plus qu’à survivre, en faisant preuve d’une incroyable adaptabilité, dans le désert du Kalahari.
Le Dr. Bleek est un ethnologue et linguiste célèbre. Il a recueilli entre 1870 et 1884 de nombreux mythes et coutumes dans une tribu de Bushmen, les Ikham, qui vivaient alors au sud de la rivière Orange. Les contes et les mythes ont été publiés par sa belle-soeur Mlle Lloyd sous le titre Specimens of Bushmen Folklore. La fille du Dr. Bleek qui préface la traduction allemande de cet ouvrage, dit: «Quand on ne vit que de chasse et de cueillette chaque famille a besoin de beaucoup plus d’espace. Ainsi on n’aura peut-être que 10 à 20 hommes armés sur une certaine zone alors que sur le même espace des éleveurs et agriculteurs pourront nourrir une centaine de familles et disposer de 100 guerriers. Le peuple chasseur ne peut survivre dans ces conditions. Dans le meilleur des cas il pourra être absorbé par ses vainqueurs. Cela est dommage mais inévitable. La tribu Ikham étudiée par le Dr. Bleek n’existe plus aujourd’hui (1938)».
Le Colonel van der Post, lui, a énormément de tendresse pour ce petit peuple. Et c’est d’autant plus étonnant que c’est un militaire. Il a fait la guerre en Extrême-Orient, a été prisonnier des Japonais et je crois bien qu’il a été attaché militaire de son pays en Russie. Je trouve cela d’autant plus admirable que je crois que ni les Blancs ni les Noirs au pouvoir aujourd’hui aient beaucoup de considération pour les Bushmen (ou Boshimans). Je me rappelle, lors de mon dernier voyage en Afrique du Sud avoir vu à la télé, un journaliste montrer toute une famille de Bushmen qu’il avait été chercher au fin fond du Kalahari et qu’il avait amenée sur une plage du Cap pour leur montrer la mer. Et se gausser de leur étonnement. Mais ce qui m’a le plus choqué c’est qu’ils étaient complètement nus, qu’il s’agissait d’une heure de grande écoute, et connaissant la pudibonderie des Boers, je me suis dit qu’ils devaient regarder l’émission avec beaucoup d’hypocrisie et en considérant qu’il n’y avait là rien de choquant puisqu’il s’agissait de sous-hommes.
Pour Laurens van der Post les Bushmen sont d’abord au coeur de ses rêves d’enfance. Une enfance passée, à l’époque de la première guerre mondiale, dans une ferme au fin fond de l’Afrique, au bord de la rivière Orange. Deux vieux petits Bushmen, des rescapés d’anciens massacres, vivaient encore dans son village. Ils lui ont enseigné, à lui et aux autres enfants, à trouver les racines comestibles du Veld, à extraire un liquide d’une plante pour en couvrir des pièges à oiseaux, à vivre, l’été, tout nus dans la vallée profonde du grand fleuve, à guetter le soir les méchantes abeilles africaines rentrer dans leurs ruches, puis grimper dans les rochers, les enfumer à la «boshimane» et rejoindre des feux de camp allumés dans la nuit, avec des seaux pleins d’un miel noir et odorant. A ses souvenirs se mêlait aussi un certain sentiment de culpabilité, celle de son grand-père qui, croyait-il, avait participé à cette oeuvre d’élimination du petit peuple de chasseurs. Mais c’est beaucoup plus tard, après la deuxième guerre mondiale, qu’il se décide à demander à deux amis dont l’un parle leur langue, à l’accompagner pour les rechercher là où ils vivent encore aujourd’hui, dans le désert du Kalahari. Et il les trouve. Et les décrit d’une façon magnifique, leur courage, leur amour des enfants, leur gaîté mais aussi leur mélancolie, la mélancolie de savoir que leur fin approche. Il décrit aussi leurs danses et leurs chants. Le chant de la femme:
«Sous le soleil
La terre est sèche
Près du feu,
Seule je pleure
Tout le jour.
La terre pleure
En appelant la pluie.
Toute la nuit, mon coeur pleure
En appelant mon chasseur.»
Et le chant de l’homme, invisible dans la nuit:
«Ecoute le vent
Oh, toi femme.
L’heure vient,
La pluie est proche.
Ecoute ton coeur.
Ton chasseur est là.»

Dans A Mantis Carol, publié beaucoup plus tard, Laurens van der Post revient encore une fois aux Bushmen avec une histoire pleine de magie et de rêve où apparaît la Mante Religieuse, un des mythes des Bushmen, un esprit de la chasse, un protecteur. Elle met en scène un Bushman complètement perdu quelque part en Amérique du Nord et qui enchante pourtant tout son entourage.
Flamingo Feather est un roman d’aventure africain à la Haggard qui met en scène deux chasseurs blancs qui suspectent qu’un grand malheur se prépare et qui suivent la seule trace dont ils disposent. S’ouvrent alors les grands paysages africains, le Veld, la jungle, la forêt, le lac, la plaine et la montagne, et tous les êtres vivants qui les peuplent. Au départ une plume de flamant rose qui annonce un rêve dans la tribu des ‘Takwena. Et ce rêve demande de l’action, une action violente, un soulèvement. Mais auparavant il faut vérifier que le rêve est authentique. Car dans l’histoire des ‘Takwena il y a eu un drame... Et c’est là que je découvre une vieille histoire identique à celle racontée par Elias Canetti dans ce livre que j’ai déjà cité plusieurs fois: Masse und Macht. Un matin du mois de mai 1856 (c’est Canetti qui raconte) une jeune fille Xhosa va à la rivière chercher de l’eau et y rencontre des étrangers qui demandent à voir son oncle. Celui-ci s’exécute et les étrangers, parmi lesquels il reconnaît son frère décédé, lui apprennent qu’ils sont les ennemis des Blancs et qu’ils sont venus de champs de bataille lointains pour aider les Xhosas à bouter les Blancs dehors. Mais auparavant il faut tuer tout le bétail et le manger. Quand tout aura été sacrifié le bétail revivra plus nombreux et plus beau que jamais, les champs vont se couvrir de riches céréales prêtes à être cueillies, les anciens sages vont revivre et les hordes de guerriers morts viendront aider les guerriers vivants pour battre les ennemis blancs. Evidemment tous les employés du gouvernement et les missionnaires essayent d’empêcher le massacre. Mais la folie monte. Tous abattent leurs bêtes. Et puis bien sûr rien ne se passe. C’est la famine qui s’étend. Le gouvernement apporte de la nourriture à la frontière de la région touchée. Mais rien n’y fait. Sur une population de 105 000 Xhosas dans la région contrôlée par les Anglais seuls 37 000 survivent à la catastrophe.
Chez van der Post l’histoire est un peu différente. Elle se passe chez une tribu qu’il appelle ‘Takwena (peut-être les baKwena qui est le nom d’un des groupes de Bantous Nguni, c. à d. Xhosa-Zoulous). Cela se passe début juin 1848. Et c’est un rêve, le rêve d’une jeune fille, un rêve qui se répète trois nuits de suite. Dans ce rêve lui apparaît un vieux chef mythique de la tribu qui lui demande de dire au roi qu’il doit faire tuer tout le bétail de la tribu, qu’ils doivent manger toute la viande. Et lorsque tout le bétail sera mangé, il renaîtra comme avant et de plus tous les guerriers morts dans les batailles du passé ressusciteront, leurs blessures guéries, et le grand chef, Xilixowe, reviendra lui aussi et tous ensemble ils rejetteront les envahisseurs blancs dans la mer qui les a amenés. La tribu est d’abord sceptique. Puis lorsque le grand sorcier annonce qu’il a lui-même vérifié que le rêve était correct, l’excitation monte et les ‘Takwena commencent à massacrer leurs bêtes. La fin est identique à celle racontée par Canetti. La tribu est décimée. Les deux tiers des ‘Takwena meurent de faim.
D’après Canetti il s’agit d’une histoire vraie. Il cite comme sources: G. McCall Theal: History of South Africa, 1795-1872, Londres, 1927 ainsi que les écrits d’un missionnaire allemand Kropf, qui aurait été témoin des événements, enfin un livre d’histoire moderne mais inconnu en Europe (toujours d’après Canetti): A. W. Burton: Sparks from the Border Anvil, King Williams’Town, 1950. Je n’ai jamais réussi à me procurer les sources en question. Mais dans un livre à la gloire de l’Apartheid que m’a offert le jeune directeur afrikaaner que j’avais engagé à un moment donné pour sauver notre filiale sud-africaine (voir n° 1897 R. E. Gordon - C. J. Talbot: From Dias to Vorster, source material on South African history, Nasionale Opvoedkundige Uitgewery Beperk, Goodwood, 1983), j’ai trouvé la mention d’un abattement massif de bétail qui aurait eu lieu en 1856-57 et qui aurait été organisé par le chef des Gcalekas, un certain Kreli (également mentionné par Canetti) et qui aurait envoyé à Sir George Grey le message suivant: «Il y a une chose qui parle dans mon pays et qui me commande à moi et à mon peuple de tuer notre bétail, manger notre maïs et de jeter tout notre bois de sorcellerie, et de ne plus planter et de reporter tout cela aux chefs de notre pays».
Pourquoi Canetti raconte-t-il cette histoire? Canetti cherche à déceler ce qui caractérise les masses et les chefs. Toute masse veut devenir plus importante, se multiplier. Ce désir de se multiplier est transféré au bétail et au maïs, puis aux morts. La foule des morts augmente la masse des vivants. La croyance à la véracité des morts est renforcée par ceux des morts que l’on connaît. Personne ne peut résister à l’ordre des morts car il s’opposerait à la masse, détruirait son unité. A la fin ce sont les morts qui gagnent car ils restent les plus nombreux. Et parmi eux il y avait tous les anciens chefs décédés. Qui participent à l’ordre donné de tuer. Tuer les bêtes à la place des ennemis. Un ordre qui ne peut se passer d’intermédiaire: c’est le chef Kreli. Et qui se termine par la mort des vivants. Car le désir d’échapper à la mort, de la contourner fait partie de la plus vieille et de la plus forte des tendances de tout homme de pouvoir. Un désir que l’on peut satisfaire au moins pour un moment en tuant ses sujets (voir Staline, Hitler, Pol Pot, Saddam Hussein, etc., ce n’est pas Canetti c’est moi qui le dit). Et comme par hasard le chef Kreli a survécu aux événements...

90) n° 2683 A. Conan Doyle: The Great Boer War, édit. Smith, Elder & Co, Londres, 1900.
91) n° 2549 Christian Rudolf de Wet: Three Years War (October 1899 - June 1902), édit. Archibald Constable and Co, Westminster, 1902.

La deuxième guerre des Boers, la vraie, était une guerre annoncée. Les Boers étaient trop attachés à leur liberté, leur langue, leur religion, pour accepter la domination, et même la cohabitation avec les Anglais. De plus ils étaient trop retranchés du monde pour comprendre la puissance qu’était l’Angleterre et qu’il était vain de vouloir s’y opposer par les armes. Quant aux Anglais ils avaient, plus que jamais, l’ambition de leur Empire. Et lorsque les deux volontés de puissance, celle de l’Empire et celle du capitalisme allaient se rejoindre, le sort des Boers était jeté.
La première alerte était le fameux raid Jameson en 1895. Un raid dans le Transvaal réalisé avec la petite armée privée de la Chartered Company, la compagnie de Rhodes, l’ancêtre de la de Beers. Le raid était provoqué, soi-disant, par une révolte des étrangers établis à Johannesburg, de plus en plus nombreux à cause de l’exploitation de l’or, que les Boers opprimaient et auxquels ils refusaient tout droit civique. Le raid allait mal tourner. Le petit groupe était fait prisonnier. La révolte à Johannesburg étouffée. Et Cecil Rhodes allait perdre sa place de Premier Ministre au Cap. Mais la haine était semée. Le sort des étrangers de Johannesburg allait servir de prétexte pour engager les hostilités. Le grand capital était à l’affût. Car il faut bien comprendre que le Transvaal n’avait rien à voir avec le Klondike ou d’autres eldorados pour chercheurs d’or. Au Transvaal les veines d’or allaient loin sous terre. Le minerai n’était pas très riche, mais le sous-sol était bourré de veines sur d’immenses surfaces. Ce qu’il fallait c’était du matériel, des installations, de l’investissement, du capital, des finances. De plus il fallait de la main d’oeuvre pas chère. Et sur ce plan on était en concurrence avec les fermiers boers qui, eux aussi, avaient besoin de la main d’oeuvre indigène. Il n’est donc pas étonnant que les deux plus grosses sociétés minières, dont la Consolidated Goldfields de Rhodes (encore lui), sont les principaux comploteurs et partisans de la guerre.

Supplément du Petit journal Illustré du 18 janvier 1896. Le Docteur Jameson prisonnier des Boers


Haggard qui n’était pas un ami des Boers, allait rencontrer, bien plus tard, au Cap, en 1914, des financiers qui avaient fait fortune avec l’or et les diamants du Transvaal. Lorsqu’il leur parle du raid de Jameson qu’il considère comme une faute, les financiers le contredisent: au contraire, disent-ils, ce fut un grand succès car il mena à la guerre et à tout ce qui s’en suivit. Quand Rider parle du coût élevé en vies humaines, l’un des financiers, un certain Abe Bailey, lui réplique: Quelle importance? Les vies c’est pas cher. Haggard est profondément choqué. Lui qui avait longtemps cru à la mission civilisatrice de l’Empire. Un Empire qui apporterait la paix aux peuples en guerre du monde entier. Cet Empire a-t-il jamais existé? se demande-t-il. Ou n’est-ce que le business sordide imaginé par ces financiers? (Toute analogie avec l’état du monde actuel et l’Empire américain ne saurait être que pure coïncidence!).
Ce sont finalement les Boers qui démarrent la guerre, en octobre 1899, après de longues négociations sur le droit à la nationalité des étrangers du Transvaal. L’Etat libre d’Orange qui était totalement indépendant, alors que le Transvaal avait dû reconnaître une certaine suzeraineté de la Couronne d’Angleterre, lève ses troupes en même temps que le Transvaal. Au début les Boers, qui ont envahi le Natal, vont de victoire en victoire. Ils tirent mieux et connaissent mieux leur terrain. Ils ont d’ailleurs importé des canons, des Krupp et des Creusot. Et puis progressivement les Anglais importent de plus en plus de troupes, pas seulement de Grande Bretagne, mais aussi d’Australie, de Nouvelle Zélande, du Canada, etc. Bientôt il y aura 250 000 soldats qui vont écraser les Boers. Les sièges de Ladysmith (au Natal), de Kimberley (territoire des diamants placé à la frontière entre la Colonie du Cap et l’Etat libre d’Orange et où s’était réfugié Rhodes) et de Mafeking (placé tout en haut de la Colonie du Cap à la frontière du Transvaal et du Béchouanoland et défendu par ce rigolo de Baden-Powell, fondateur ultérieur du mouvement scout) sont levés. Et en juin 1900 la ville de Pretoria, capitale du Transvaal est occupée par le général en chef anglais, Lord Roberts, qui s’était déjà illustré auparavant en Afghanistan.
Quand Conan Doyle publie son histoire de la guerre des Boers en septembre 1900 il croit que la guerre est terminée (vous vous étonnez peut-être de voir le créateur de Sherlock Holmes faire oeuvre de journaliste de guerre, alors que les premiers faits d’armes du célèbre détective ont déjà paru. Mais il faut savoir que Conan Doyle avait certaines ambitions pour devenir un auteur de romans historiques et que le journalisme l’attirait également. Il faut savoir aussi que Conan Doyle venait d’assassiner Sherlock dans The Memoirs of Sherlock Holmes paru en 1895, plus précisément dans la dernière nouvelle du recueil intitulée The Final Problem, où le détective, au cours d’une lutte mortelle avec l’infernal professeur Moriarty, se précipite au fond d’un ravin des Hautes Alpes. Et ce n’est qu’en 1905 que Sherlock ressuscitera, pour satisfaire ses lecteurs et son porte-monnaie, dans The Return of Sherlock Holmes. En Afrique du Sud il semble que le Docteur Conan Doyle ait repris son métier originel et soigné les soldats anglais à Bloemfontein où ils tombaient comme des mouches victimes d’une épidémie de typhus). En septembre 1900 les deux Etats étaient annexés et occupés. Et pourtant la guerre va encore durer près de deux ans. Et ceci surtout grâce à Christian de Wet...
Le général de Wet était un obscur fermier, pas très éduqué, de l’Etat libre d’Orange. Mais il avait un courage extraordinaire, beaucoup d’astuce et de bon sens. Il allait devenir très rapidement le général en chef du Free State. C’est dès le moment où le général Roberts est installé à Pretoria que de Wet a l’idée de perturber ses lignes de communication en faisant dérailler ses trains. A la fin de l’année 1900, alors que les derniers pourparlers ont échoué (Louis Botha, l’ancien général en chef du Transvaal, devenu plus tard Premier Ministre de la nouvelle Union Sud-africaine, dit à Rider Haggard en 1914 que la guerre aurait pu se terminer 18 mois plus tôt si Lord Milner n’avait pas refusé d’une façon stupide d’accorder l’amnistie à tous les combattants boers, ce qui l’a été de toute façon lors de la signature de la paix en mai 1902), de Wet et Botha démarrent une véritable guerre de partisans. On pille les gares, on détruit les communications télégraphiques, on fait dérailler les trains, on les attaque, on échappe aux grands encerclements, on vit sur l’habitant, à la fin on va même jusqu’à déshabiller les prisonniers pour pouvoir se ré-équiper soi-même en uniformes et en chaussures. Roberts réplique en appelant les combattants des rebelles, des guérilleros (les Anglais avaient encore le souvenir des guerres napoléoniennes et de la résistance populaire espagnole), en rasant les fermes qui se trouvent dans un rayon de quinze kilomètres autour d’une attaque de «guérilleros», en détruisant les récoltes, en confisquant le bétail et surtout en déportant femmes et enfants dans des camps de concentration.

L'insaisissable de Wet

Camps de reconcentration

Les progrès de la science

Bravoure britannique

Dessins parus dans l'Assiette au Beurre du 28 septembre 1901
On voit que cette guerre a, par beaucoup d’aspects, préfiguré celles du 20ème siècle à venir: importance de l’artillerie, adoption du creusement de tranchées pour échapper aux effets des boulets et de leurs éclats (les boulets anglais étaient bourrées de lyddite; de Wet raconte avoir vu un boulet anglais exploser sur un rocher et tuer tous les 25 chevaux qui étaient attachés derrière), actions de partisans, suivies d’actions de représailles sur les civils voisins, premiers camps de concentration, etc. Les pertes en hommes étaient élevées. D’après Conan Doyle, fin août, c. à d. après seulement dix mois, les Anglais avaient déjà perdu 40000 hommes dont 10000 tués. Or la guerre allait encore durer près de deux ans. Lors des discussions de paix les Boers citent le chiffre de 20000 morts parmi les déportés (femmes, enfants et vieillards). Toute l’Europe est choquée: Allemagne, Autriche, Russie, France, Hollande aussi bien sûr. J’ai trouvé un vieil exemplaire de l’Assiette au Beurre dont les dessins illustrent bien le sentiment anti-anglais qui monte en France (malgré l’Entente Cordiale qui sera conclue quelques années plus tard, en 1904). Finalement la paix est signée après de longues négociations et acceptée par les représentants de la population boer fin mai 1902. Les Boers ont dû abandonner ce qui était l’essentiel à leurs yeux, l’indépendance. Mais finalement ils ne s’en sortent pas si mal. Leur langue est préservée. Ils sont de toute façon les plus nombreux dans la nouvelle Union Sud-africaine. Ce sont les leurs qui vont diriger la nouvelle entité. Et les seuls perdants dans l’histoire ce sont les Noirs! Le point 8 de l’accord final précise: the question of granting a franchise to the native shall not be decided until a representative constitution has been granted, c. à d. la question de savoir s’il faut accorder une «franchise» (c. à d. des droits de citoyenneté) aux «natifs» ne sera pas décidée avant qu’une constitution représentative aura été instaurée. Lors des discussions le problème ne sera d’ailleurs jamais abordé, comme si tout cela allait de soi. Rappelons qu’au Cap certains Noirs cultivés ou aisés ont un droit de vote limité. Dans les républiques boers ils n’ont aucun droit.
Avant la guerre l’Afrique du Sud était divisée en républiques indépendantes ou semi-indépendantes, des royaumes et des territoires indigènes. Après la guerre il n’y a plus qu’une Union Sud-africaine où la démocratie est exclusivement blanche et où les Boers sont majoritaires. Les Noirs qui étaient plutôt favorables aux Anglais pendant la guerre (on le note à plusieurs reprises lors des délibérations entre Boers au moment des négociations de paix), ont tout perdu. Dès le début c’est un général boer (Louis Botha) qui devient premier ministre et un autre, Jan Smuts, son représentant. Un autre général, J. M. B. Hertzog, est appelé lui aussi à de hautes fonctions mais éliminé plus tard à cause de sa position anti-anglaise. C’est pourtant lui qui gagnera les élections en 1948 et sortira l’Union Sud-africaine du Commonwealth, déclarera la république et jettera les bases de l’Etat policier que l’on a connu. Mais la constitution raciste de l’après-guerre (c’est en 1906 que l’Afrique du Sud devient officiellement un dominion) est bien le socle sur lequel va être bâti plus tard le régime de l’Apartheid.

(2003)