Voyage autour
de ma Bibliothèque

Tome 5 : N comme Noir. Roman noir et film noir américains. Influence du cinéma de Weimar sur le film noir américain

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(les cinéastes allemands immigrés aux Etats-Unis, leur influence sur le film noir américain. Le roman noir américain de Dashiel Hammett et ses suiveurs. Influence réciproque entre roman noir et film noir)

Au cours des années 40 et 50 a éclos aux Etats-Unis un nouveau phénomène cinématographique, le film noir, presqu’aussi important que le western, et qui, plus tard, est devenu un véritable culte pour un certain nombre de nos cinéastes français. Si ce cinéma-là procède d’abord et avant tout du roman noir qui, lui, est bien américain, il a également subi dès l’origine celui de tous ces cinéastes et techniciens du cinéma allemand qui sont arrivés en masse aux Etats-Unis – ou qui y sont restés – après l’avènement de Hitler (dans ma note sur Lotte Eisner et le cinéma de Weimar au tome 5 de ce Voyage, j’en ai parlé de ce génocide culturel : 800 personnes, dit-on, ayant travaillé dans l’industrie du cinéma allemand et autrichien, metteurs en scène, acteurs, architectes-décorateurs, opérateurs et autres techniciens ont quitté ou ont été obligés de quitter l’Europe). Ils y ont apporté certains éléments du style expressionniste du cinéma de Weimar : éclairages, décors, manière de filmer, privilégiant aussi, peut-être, certains thèmes (le Mal). J’ai déjà abordé ce sujet longuement dans ma note sur Lotte Eisner. Et montré que, d’abord, on ne pouvait définir tout le cinéma allemand de cette époque d’expressionniste, que seul un petit nombre de ces films (six à neuf selon les critiques) pouvait être défini comme tel, mais que tout ce cinéma était influencé par l’ambiance qui régnait à ce moment-là en Allemagne, « l’ambiance d’une époque en plein bouleversement », dit le critique et sociologue S. Krakauer, « le choc de la défaite, l’inflation et le sentiment d’insécurité, les angoisses devant un avenir incertain, font que la réalité semble s’être transformée en un cauchemar », ajoute-t-il (précisons que la fameuse inflation date de 1923, mais que le cauchemar des années 30 c’est la grande crise et le chômage de masse déclenchés par la crise de Wall Street). Ce cauchemar, cette peur, font aussi resurgir le Mal (voir M le Maudit et le Dr. Mabuse) qui est dans l’esprit du temps (les chemises brunes des SA sont déjà là) et qui retrouve, comme le dit Lotte Eisner, les racines de la culture germanique (elle parle de « mysticisme nordique », d’ « emphase romantique », de « fascination pour la mort »). D’ailleurs elle a intitulé sa grande étude du cinéma de Weimar L’écran démoniaque. Un terme mal choisi pour le public français, ai-je dit, car il n’est pas équivalent de diabolique, mais plutôt de fantastique. On pourrait même dire de romantique, dans la mesure où la mystique allemande a influencé le romantisme allemand. Un terme que Lotte Eisner ne refuse pas puisqu’elle dit aussi : « le film muet allemand n’est rien d’autre que le développement d’anciennes visions du romantisme allemand ». Tout ceci pour dire que l’on ferait fausse route en affirmant que l’influence des cinéastes allemands sur le cinéma noir allemand se limiterait à des éléments expressionnistes. Elle est bien plus large, elle est aussi dans les thèmes (le Mal, la peur, la psychose, la vengeance, le destin) et dans le style propre de chaque cinéaste. Elle est dans l’utilisation du noir et blanc, dans certaines réminiscences formelles de l’expressionnisme mais qui ont marqué plus généralement le cinéma de Weimar, c’est Patrick Brion, auteur d’un ouvrage sur le cinéma noir américain (voir Patrick Brion : le Film noir, édit. Nathan, Paris, 1991), qui le dit : « ruelles mal éclairées… docks menaçants, cliniques et asiles… un monde nocturne… ». C’est aussi l’influence du grand metteur en scène de théâtre Max Reinhardt dans la représentation des foules (mouvements dans la pénombre, éclairages subits, mouvants, dramatiques) que l’on retrouve en particulier chez Lang, tant dans sa période allemande (Metropolis, Nibelungen) que dans son film américain Fury (lynchage).
J’ai déjà parlé longuement de Fritz Lang dans ma note sur Lotte Eisner, ainsi d’ailleurs que de Murnau (mais Murnau s’est tué déjà en 1931 sur une route californienne, juste après avoir terminé l’Aurore et n’a évidemment joué aucun rôle dans cette histoire de cinéma noir). Je ne pourrai éviter de revenir à Fritz Lang, au moins pour commenter ses films noirs américains, mais, auparavant, j’ai voulu rechercher qui étaient tous ces metteurs en scène originaires d’Allemagne ou d’Autriche-Hongrie qui ont émigré en Amérique, en dehors de Fritz Lang et de Murnau. Voici les principaux d’entre eux :

 Les metteurs en scène d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie immigrés aux Etats-Unis

Otto Preminger. Né à Vienne en 1906, il est acteur chez ce fameux Reinhardt dont je viens de parler. Puis il devient metteur en scène de théâtre lui-même, réalisateur de films aussi, activités qu’il poursuit en Autriche jusqu’en 1935. C’est alors qu’il est invité à venir travailler aux Etats-Unis. Son premier film américain d’une certaine importance est un film anti-nazi, Margin for error (1943), une histoire où un policier juif s’attaque à un consul allemand de New-York, anti-sémite et escroc. Puis vient Laura (en 1944) et Fallen Angel (Crime passionnel) en 1945. Ces trois films sont des films noirs et Laura est considéré comme un chef d’œuvre du genre (« une oeuvre exceptionnelle à l’envoûtement duquel il est difficile d’échapper », dit Patrick Brion dans le Film Noir). Le film commence par cette phrase: « I shall never forget this week-end, the week-end Laura died ». Et la Cinémathèque de Caen écrit sur le net: « Preminger restera toujours fasciné par la dimension secrète, nocturne, fragile de ses personnages ». Preminger réalisera encore d’autres films noirs plus tard, tels que The Man with the golden Arm (en 1955) avec Frank Sinatra et Anatomy of a Murder avec James Stewart (en 1959). Mais Preminger est surtout connu pour l’admirable The River without Return avec Robert Mitchoum et Marilyn Monroe (en 1954), que certains considèrent comme un des premiers westerns psychologiques, pour le film musical Porgy and Bess (1959) et pour Exodus (1960).
Edgar George Ulmer. Né en Autriche-Hongrie (en 1904), il grandit à Vienne, est acteur de théâtre, décorateur, travaille pour Max Reinhardt, devient assistant de Murnau et coopère encore avec d’autres metteurs en scène allemands : Billy Wilder, Robert Siodmak et Fred Zinnemann. Il se rend aux Etats-Unis avec Murnau en 1926 pour la réalisation de l’Aurore. En 1934 il réalise son premier film muet, The Black Cat, avec Boris Karloff. Il n’est pas très connu car il est resté un peu à l’écart de Hollywood. Il réalise des films ethniques, yiddish, etc. Mais aussi quelques films noirs : Detour en 1945 (un homme victime du destin) et Strange Woman avec Hedy Lamarr en 1946. Sa marque de fabrique ? Une grande expressivité visuelle, dit-on sur Wikipédia.
Robert Siodmak. Né à Dresde en 1900 dans une famille juive polonaise. Il travaille comme scénariste en Allemagne. Premier film marquant, un film muet : Les Hommes le Dimanche (1929). Billy Wilder et Fred Zinnemann y collaborent. Siodmak va considérer jusqu’à sa mort que le cinéma muet était l’apogée du 7ème Art (importance de l’image). Il a une vision pessimiste de la nature humaine ce qui colore ses films d’une tonalité un peu désenchantée. C’est aussi un grand critique de la petite bourgeoisie. Son style reste influencé par l’expressionnisme allemand (certains critiques parlent de dramaturgie de la lumière comme pour Fritz Lang). Mais il a aussi une très grande admiration pour Welles et son Citizen Kane. Il quitte l’Allemagne en 1933, d’abord pour la France, puis pour les Etats-Unis en 1939. Il a réalisé de nombreux films noirs. Entre autres : Phantom Lady (Les Mains qui tuent), en 1944, basé sur une oeuvre de l’auteur de romans noirs William Irish, The Strange Affair of Uncle Harry en 1945, The Killers en 1946, avec Ava Gardner et Burt Lancaster, basé sur une nouvelle de Hemingway (c’est le vrai film noir, typiquement américain : des tueurs de la pègre arrivent dans une petite ville pour abattre un homme), The Dark Mirror (La double Enigme) en 1946 encore, avec Olivia de Havilland, Cry of the City avec Victor Mature en 1948 et Criss Cross (Pour toi j’ai tué) en 1949. Ce dernier film, qui met en scène, une fois de plus, des personnages qui ne peuvent échapper à leur destin, est basé sur un roman de Don Tracy de 1934. On y reviendra car Don Tracy est un écrivain important qui s’attaque au racisme et à la violence qu’il engendre (en particulier dans son roman de 1937 : How sleeps the Beast, traduit en français par La Bête qui sommeille). Siodmak est revenu en Europe après la guerre (1952) après avoir tourné le Corsaire Rouge avec Burt Lancaster. En Allemagne il a réalisé encore en 1957 un film que nous avons vu plusieurs fois à la télé : Les SS frappent la nuit (une histoire de tueur, maniaque sexuel, couvert par son uniforme de soldat SS). A la fin de sa vie Siodmak s’est installé à Locarno en Suisse.
Josef von Sternberg. Né à Vienne en 1894, il se rend avec sa famille aux Etats-Unis à l’âge de 7 ans, mais revient faire ses études en Europe. Il fait la guerre de 14 avec les Américains en tant qu’opérateur de cinéma. Ses rapports avec les producteurs de Hollywood seront toujours difficiles (il doit avoir mauvais caractère). Il est né Sternberg mais adopte le von comme Stroheim. Lotte Eisner ne l’aimait guère. Elle lui reproche d’être le seul, avec Hitchcock, à avoir refusé de soutenir Langlois, mais surtout d’avoir monté – et bousillé – à la demande des producteurs, le film de Stroheim, the Wedding Night. C’est pourtant lui, semble-t-il, qui a réalisé les premiers films noirs américains : Underworld (les Nuits de Chicago) en 1927, Dragnet (La Rafle) en 1928 et Thunderbolt (L’Assomeur) en 1929. Lotte Eisner reconnaît néanmoins que L’Ange bleu tourné en Allemagne en 1930 avec Marlène Dietrich et Emil Jannings est un véritable chef d’œuvre. Mais à partir de ce film c’est surtout Marlène qui l’intéresse et il n’arrête plus de la faire jouer : Morocco en 1930, Dishonored en 1931, Shanghai Express et Blonde Venus en 1932, The Scarlet Emperess en 1934, The Devil is a Woman en 1935.
Billy Wilder. Né en Autriche (en 1906) dans une famille juive (des hôteliers), de son vrai nom Samuel Wilder. Il étudie le droit, s’intéresse au journalisme à Berlin, y est même un moment donné danseur mondain, devient scénariste (Les Hommes le Dimanche et Emil und die Detektive), puis quitte l’Allemagne nazie en 1933, se rend en France avant d’émigrer aux Etats-Unis où il commence à travailler pour Lubitsch. Le seul véritable film noir qu’il réalise, Double Indemnity (Assurance sur la Mort), est tout de suite un modèle du genre. Le film, tourné en 1944, est basé sur un roman de James M. Cain et le scénario est le résultat d’une collaboration avec un autre auteur de romans noirs qui va bientôt devenir célèbre, Raymond Chandler. S’il réalise encore quelques films tragiques comme le fameux Boulevard du Crépuscule avec Gloria Swanson (en 1949), c’est dans la comédie qu’il révèle son génie avec des films aussi superbes que Sabrina avec Audrey Hepburn en 1954, Sept ans de Réflexion avec l’inoubliable Marilyn Monroe en 1955 et Certains l’aiment chaud avec l’incroyable trio Marilyn, Tony Curtiss et Jack Lemmon (et la fameuse réplique finale : Nobody is perfect !) en 1959. Grâce à ses nombreux succès Billy Wilder est un des rares metteurs en scène américains qui ont réussi à être indépendants financièrement par rapport aux producteurs hollywoodiens.
Fred Zinnemann. Né à Vienne en 1907, il commence à étudier le violon, puis le droit, se rend à Paris, y suit les cours de l’Ecole Technique photographique et cinématographique, puis quitte pour les Etats-Unis dès 1929. Il est surtout connu pour le fameux western Le Train sifflera trois fois (High Noon) tourné avec Gary Cooper en 1952 et Tant qu’il y aura des Hommes (From here to Eternity) avec Burt Lancaster et Montgomey Clift en 1959. Il n’a pas réalisé, à ma connaissance, de véritable film noir.
Ernst Lubitsch. Né à Berlin en 1892, émigré aux Etats-Unis en 1922 déjà. Lui non plus n’a pas tourné de films noirs. Mais c’est un des tout grands. Et je me demande si le fameux « Lubitsch touch » n’est pas lié à sa culture d’origine. Lotte Eisner disait que l’humour de Lubitsch s’est affiné aux Etats-Unis. Elle définissait l’esprit berlinois comme un savant mélange entre la gouaille et la joie de vivre populaire, l’intellectualisme de l’intelligentsia (de la bourgeoisie juive entre autres) et du Galgenhumor (l’humour noir, littéralement l’humour de la potence) des juifs immigrés d’Europe centrale. Ses films les plus connus : Angel (1937) avec Marlene Dietrich, la huitième Femme de Barbe-Bleue (1938) avec Claudette Colbert et Gary Cooper, Ninotchka (1939) avec la Garbo, The Shop around the Corner (1940) avec James Stewart, etc.
Douglas Sirk. Né à Hambourg en 1900 sous le nom de Hans Detlef Sierck dans une famille d’origine danoise, il est élevé au Danemark, puis étudie en Allemagne le droit, la philo, l’histoire de l’art, devient metteur en scène de théâtre à Hambourg, Chemnitz, Brème, Leipzig, a des démêlés avec les autorités nazies, ce qui le force à travailler un certain temps à l’UFA, puis fuit l’Allemagne en 1937 après avoir encore tourné La Habanera avec Zarah Leander, passe en Italie et en France avant de quitter l’Europe pour les Etats-Unis. Dans son nouveau pays il est d’abord éleveur et fermier avant de pouvoir se mettre au cinéma. En 1943 il réalise un film anti-nazi, Hitler’s Madman (la folie de Heydrich) avant de passer au film noir avec Shockproof (Jenny, Femme marquée) en 1949. Ses autres films sont surtout des mélodrames comme La Ronde de l’Aube (adaptation de Pylone de Faulkner) (1957) et Le Temps d’aimer et de mourir (1958) basé sur le roman éponyme de Erich Maria Remarque. Son style est marqué par l’emploi de couleurs chaudes et baroques, excessives même et par un certain symbolisme dans les décors (escaliers, miroirs, fenêtres). Est-ce une certaine réminiscence de l’expressionnisme ? Il revient en tout cas en Europe (en Suisse) en 1960.
Michael Curtiz. Né à Budapest en 1886 (de son vrai nom : Mihaly Kertész) dans une famille juive, il est acteur et metteur en scène en Hongrie, puis travaille en Allemagne, mais aussi en Italie, au Danemark et en Autriche. Il rejoint Hollywood dès 1927. Il est surtout connu pour La Charge de la Brigade légère (1936), un fameux Robin des Bois avec Errol Flynn (1938) et l’inoubliable Casablanca avec Ingrid Bergman et Humphrey Bogart (1942). Mais il a aussi réalisé un très beau film noir, Mildred Pierce, basé sur un roman de James M. Cain et tourné en 1945 avec dans le rôle principal Joan Crawford.
Voilà donc 9 metteurs en scène originaires d’Allemagne ou d’Autriche-Hongrie, en plus de Fritz Lang et de quelques autres, qui ont illustré le film américain du milieu du XXème siècle. Et presque tous ont touché au film noir. Et l’ont donc influencé d’une manière ou d’une autre.
Et puis il faut bien revenir encore une fois à Fritz Lang. L’élément le plus important du style de Fritz Lang, dit Lotte Eisner, est le rôle de la lumière, « la dramaturgie de la lumière », pour reprendre ses termes. Cela m’avait déjà frappé dans Metropolis (1926). Voilà comment j’avais décrit la scène : « Il y a une séquence qui m’a littéralement fasciné, c’est celle où Maria est poursuivie dans les ténèbres des sous-sols par l’Inventeur fou muni d’une puissante lampe-torche : elle cherche, épouvantée, à échapper au faisceau lumineux jusqu’au moment où elle se trouve immobilisée, piégée dans une encoignure, collée au mur, les bras écartés, et où le cône de lumière l’atteint au milieu du corps comme si elle était un papillon cloué vivant sur une planche ». Lotte Eisner, quand elle était encore journaliste à Berlin, a eu le privilège d’assister à une scène de tournage du Testament du Docteur Mabuse (1932), une scène nocturne où, à nouveau, une lampe-torche, celle tenue par un policier, cherche à traquer le criminel caché dans les fourrés (et lors d’une conférence tenue à Paris par Bernard Eisenschitz sur le style de Fritz Lang, avec projection d’extraits de ses films, le conférencier nous avait raconté que Fritz Lang avait fait arroser les fourrés au préalable pour faire apparaître, comme dans un kaléidoscope, une multitude de tâches lumineuses). Il y a aussi Liliom, ce film, peu connu (avec Charles Boyer et Madeleine Ozeray), que Fitz Lang avait encore tourné en France en 1933/34, avant de s’embarquer pour l’Amérique, où il avait cherché à maîtriser la lumière en mouvement. « La lumière est à nouveau un élément dramatique important et le metteur en scène s’est donné beaucoup de mal », raconte Lotte Eisner, « pour filmer le reflet projeté par les lumières mouvantes du carrousel sur un mur ». Et puis voilà que l’on retrouve cette « dramaturgie de la lumière » dans ses films américains, du moins de deux d’entre eux, des films jumeaux, The woman in the window (La femme au portrait), qui date de 1944, et Scarlet Street (La rue rouge), tourné en 1945. Dans le premier film la femme qui a servi de modèle au portrait apparaît soudain dans le tableau illuminé par les phares des automobiles qui passent dans la rue (elle se tenait furtivement derrière l’homme qui admire le tableau). Car les reflets peuvent aussi servir de miroir ! Dans le deuxième film c’est une enseigne lumineuse qui flashe à intervalles réguliers comme pour marteler le cerveau malade du caissier assassin. On retrouve également le style de Fritz Lang (les mouvements de foules) et un thème qui lui est cher, celui de la vengeance, dans le premier de ses films américains, Fury (Furie), tourné en 1936.

Et aussi une certaine critique sociale puisqu’il s’agit d’une histoire de lynchage (voir ma note sur Lotte Eisner : « Joe, un honnête Américain, interprété par Spencer Tracy, est pris pour l’auteur d’un kidnapping. Les habitants de la ville veulent le lyncher et mettent le feu à la prison. Joe en réchappe, laisse croire à sa mort et n’a plus qu’une idée : se venger et faire condamner les lyncheurs à mort. A la dernière minute il se repent et se dénonce »). Comme je l’ai déjà dit, j’ai largement traité la filmographie de Fritz Lang dans ma note sur Lotte Eisner. Je vais donc m’en tenir à l’essentiel : après Fury, il tourne You only live twice (J’ai le droit de vivre) en 1937 (un film sur « le piège du destin », dit Lotte Eisner) et You and me (Casier judiciaire) en 1938, film plutôt raté. Puis on lui demande de tourner des westerns en couleurs (nouvelle technique à maîtriser pour Lang). Il en tourne deux (en 1940 et 41) dont The Return of Frank James (Le retour de Frank James), une belle histoire de vengeance (thème languien) avec Henri Fonda. Plus tard, en 1951, il tournera un troisième western, un film superbe, avec la somptueuse Marlène Dietrich, Ranch notorious (L’ange des maudits), une histoire de vengeance, une fois de plus. Puis c’est la guerre et tout le monde participe, avec ses moyens, à l’effort de guerre. Fritz Lang tourne quatre films anti-nazis dont, en 1941, un film que j’aime beaucoup, Man Hunt (Chasse à l’homme). Viennent ensuite les deux films jumeaux cités plus haut et deux autres films noirs « psychologiques », dont le magnifique House by the River (1949) où, me semble-t-il, il retrouve l’ambiance grise de ses films allemands dans une scène macabre de barque sur la Tamise sous la pluie : clairs-obscurs, la lune qui perce les nuages et éclaire un poisson qui saute… Parmi les six films qui suivent, s’échelonnant de 1951 à 1956, (je ne vais pas tous citer) on trouve un vrai film noir à l’américaine de la veine de Hammett (on va encore en parler), The big Heat (Règlement de comptes) (1953) : c’est que pour la première fois Fritz Lang abandonne le film noir « psychologique » pour mettre en scène le fric et la trilogie gangsters, flics et politiciens. On y trouve encore un autre film remarquable, While the city sleeps (La cinquième victime) (1955), un film sur la presse ou plutôt le pouvoir, un film qu’il serait intéressant de comparer au Citizen Kane (1940) d’Orson Welles, ai-je dit, d’autant plus que celui de Lang est probablement bien plus noir, une terrible critique sociale, et je citais Noël Simsolo, un autre historien de cinéma, qui parlait de « portrait terrifiant » (voir Noël Simsolo : Fritz Lang, édit. Edilig, Paris, 1985). Dans le film de Fritz Lang, disais-je, « le magnat de presse met en concurrence ses trois chefs de département, et l’objet de cette concurrence c’est la découverte d’un meurtrier. Et pour y réussir tout est bon : délation, corruption, prostitution et beaucoup de cruauté. Le crime est bon pour la presse. Pour elle le crime paye ».
Fritz Lang a produit 22 films au cours de sa période américaine. Et la très grande majorité de ces films sont des films noirs dans la mesure où ils comportent un ou plusieurs meurtres. Et je citais, toujours dans mon étude sur Lotte Eisner, ce texte de Lang qui date de 1947 et que rapporte Simsolo : « Le meurtre surgit du point le plus noir du cœur humain… Quoique la civilisation nous ait apprivoisés et contienne nos désirs destructeurs au nom des intérêts de la société, il existe assez de sauvagerie pour nous identifier momentanément avec le hors-la-loi qui défie le monde et s’exalte avec la cruauté. Le désir de mutiler ou de tuer est inséparable du désir sexuel, sous l’emprise duquel aucun homme ne peut agir en toute raison. Le meurtrier n’a qu’à apparaître pour libérer en nous un complexe d’émotions dont quelques-unes étaient enfouies si profond que nous les rejetons avec violence. Cette répulsion même est la preuve de notre anxiété qu’il soit possible que vous et moi devenions un meurtrier, par un concours de circonstances susceptibles de miner les contraintes imposées par des siècles de civilisation ».
Je trouve que ce texte qui fait penser à une autre déclaration du même genre de Freud, est bien actuel dans les temps barbares que nous sommes en train de vivre.

Mais, une fois qu’on a mis en lumière ce que le cinéma noir américain doit aux cinéastes allemands, on est bien obligé de reconnaître également que ce cinéma-là qui est quand même essentiellement américain procède aussi, et peut-être même avant tout, d’un nouveau genre de roman policier, qui est spécifiquement américain lui aussi, le roman noir, dont l’initiateur est ce Dashiell Hammett auquel la Bibliothèque de la Littérature policière de la rue du Cardinal Lemoine a consacré, il y a quelques années, une grande et remarquable exposition.

Le roman noir américain

Pour me remettre à nouveau dans le bain j’ai recherché ce que je trouvais sur ce genre dans la partie littérature policière dans ma propre bibliothèque ainsi que dans la collection de polars que ma fille Francine a laissée ici à Luxembourg. C’est ainsi que j’ai d’abord relu l’étude consacrée à ce genre par Alain Lacombe (voir Alain Lacombe : Le roman noir américain, édit. Union générale d’Editions-10/18, 1975) ainsi que celle, bien connue, de Francis Lacassin (voir Francis Lacassin : Mythologie du roman policier, édit. Union Générale d’Editions-10/18, 1974). Et puis quelques romans de Hammett et de Chandler : Dashiell Hammett : La Clé de Verre, édit. Gallimard-Poche Policier, 1949 - Dashiell Hammett : Le Faucon maltais, édit. Gallimard-Carré Noir, 1950 - Dashiell Hammett : La Moisson Rouge, édit. Gallimard-Carré Noir, 1950 (voir aussi la nouvelle traduction qui est sortie chez Gallimard la même année que l’exposition Hammett : Dashiell Hammett : Moisson Rouge, édit. Gallimard-Série Noire, 2009 et qui a fait l’objet d’un article du Monde le 7 août 2009 : Alain Beuve-Méry : 1929 : Regard au scalpel sur la société américaine), enfin Raymond Chandler : Farewell, my lovely, édit. Ballantine Books, N.-Y., 1971. Il y a encore un autre auteur que j’ai ressorti, Don Tracy, parce qu’il est de la même époque que Hammett et qu’il a publié un roman sur le lynchage en 1937 : How sleeps the Beast. Or je me souviens d’avoir lu un roman de la Série Noire qui montrait d’une manière hallucinante comment un individu pris dans une foule excitée est lui-même progressivement contaminée par la fureur ambiante et la soif de tuer, la soif du sang. Et je me demandais si ce n’était pas justement ce roman-là qui avait paru dans la Série Noire en 1951 avec le titre : La Bête qui sommeille qui m’avait fait une si forte impression (j’ai trouvé la référence dans la grande anthologie de Claude Mesplède et Jean-Jacques Scheret : Les Auteurs de la Série Noire, 1945-1995, édit. Joseph K., 1996). J’ai déniché plus tard le bouquin en question à la librairie L’Amour du Noir à Paris. Je l’ai lu et même si je n’ai pas trouvé exactement le souvenir que j’en avais, la scène de lynchage y est et elle est effroyable. Pas seulement à cause de l’abominable cruauté de la fin (le nègre est cloué au mur d’une grange, par son sexe aussi, on lui laisse un couteau et on met le feu à la grange, il se coupe lui-même son sexe avant d’être abattu). Mais surtout par la description de la violence collective, les meneurs et les menés, complètement transformés, éléments d’un groupe qui n’existent plus par eux-mêmes et ne sont plus que les parties d’un tout monstrueux (cela fait penser aux idées de Canetti sur la « cristallisation » de la masse, dans Masse und Macht). En tout cas j’ai aussi lu (ou relu ?) le seul autre roman de Tracy que j’ai trouvé ici parmi la collection de Francine : voir Don Tracy : Tous des Vendus, édit. Gallimard-Série Noire, 1948 (le titre anglais est Criss-Cross, qui est aussi le titre du film que Robert Siodmak en a tiré).
Qu’en ai-je retenu ? Il faut d’abord revenir aux deux études d’Alain Lacombe et de Francis Lacassin. Les deux parlent de mythes. Lacassin intitule sa collection d’essais Mythologie du roman policier. Et dans son premier essai consacré à Poe il parle d’épopée : « Le roman policier, phénomène urbain et quotidien, peut apparaître comme une forme singulièrement appauvrie de l’épopée. Le résidu d’une geste dépouillée de ses couleurs fantastiques : cortèges, combats, vaisseaux, châteaux, monstres et prodiges ». Je crois, d’ailleurs, qu’il avait déjà parlé de récit épique à propos du roman populaire du genre des Mystères de Paris d’Eugène Sue ou du roman d’aventure en général. En feuilletant un autre livre trouvé dans la bibliothèque de romans policiers de Francine, le Polar de Denis Fernandez Recatala, chargé de cours de littérature à Paris XIII (et paru aux Editions MA en 1986), je constate que l’idée n’est pas nouvelle et que Chesterton avait déjà affirmé en 1901 que « le roman policier est l’Iliade de la grande ville ». Mais je n’ai aucune considération pour l’auteur des histoires ridicules de Father Brown et je ne vois vraiment pas comment on peut traiter les romans dits à énigmes à la Agatha Christie d’épiques. C’est d’ailleurs ce que dit Lacassin. C’est en France, dit-il, que l’on continue une tradition de roman populaire, pré-policier, inspiré des Mémoires de Vidocq, avec Les Misérables, Vautrin de Balzac, le Comte de Monte-Cristo, Rocambole, Arsène Lupin, etc. Si la filiation de cette veine romanesque est évidente avec l’épopée (du moins pour Lacassin), elle est bien sûr beaucoup plus ténue pour l’école du roman-problème anglo-saxon, « coupé de la réalité sociale, dédaigneux de l’environnement social et de l’espace, cloîtré dans des chambres closes ou à l’intérieur d’un cadre aristocratique, voué à l’argumentation et à la ratiocination, cultivant avec préciosité le crime parfait ou esthétique… ». C’est grâce au roman noir américain, dit encore Francis Lacassin, que « le genre retrouve les formes et les vertus de l’épopée ». Le privé entreprend une œuvre de purification. Sous la critique acide sociale émergent à nouveau la générosité et le désintéressement d’Eugène Sue et des romans de chevalerie. « Sous l’érotisme, la violence, le sang, le roman noir réconcilie en l’homme les désirs antagonistes de meurtre et de justice ». Ce qui m’amène déjà à faire une première observation que je développerai encore : tout ce que dit Lacassin s’applique à une seule forme de roman noir, celle initiée par Dashiell Hammett, celle de la critique sociale (ou même politique), de la description de la corruption, du pouvoir exercé sur la ville, du triangle tragique des trois P, Politique, Pègre et Police (et souvent juge), et du combat solitaire pas toujours très orthodoxe du détective ou du journaliste courageux. Et pas aux autres formes…
Alain Lacombe estime que le roman noir américain a marqué le passage du mythe de l’espace qui était le mythe sous-tendant l’épopée de la Conquête de l’Ouest et auquel était déjà attaché la notion de possession (on partait vers l’Ouest pour conquérir des terres) au mythe de la survie par le pouvoir dans un monde qui d’horizontal est devenu vertical. Je ne crois pas que le mythe de l’espace ait entièrement disparu de l’identité américaine. Voir ce que j’en dis à propos des road-movies dans Exotisme de l’Amérique du Nord au tome 5 de ce Voyage. Au XIXème siècle ce mythe était présent dans une certaine littérature western que nous ne connaissons guère en France (Alain Lacombe n’en dit pas grand-chose). On a lu les romans de Fenimore Cooper mais ses héros à lui étaient surtout des trappeurs et des Indiens. Mais je ne pense pas que beaucoup de gens connaissent le Virginien d’Owen Wister (1902) et surtout l’œuvre abondante de Zane Grey qui date également du tout début du XXème siècle (je me souviens pourtant que Hugo Pratt, dans une interview, a cité les histoires de Zane Grey parmi celles qui l’ont inspiré pour certaines aventures de son Corto Maltese). Le monde vertical c’est celui de la ville. Une ville qui pouvait n’être qu’un bourg. Ce pouvoir, dit Lacombe, est exercé par la triade Maire, Juge, Chef de la Police. On sait qu’à l’époque de la Frontière, les shérifs étaient élus. Est-ce que juges et chefs de la police étaient encore élus à l’époque qui nous intéresse, les années 20 ? Oui, certainement. Le sont-ils encore aujourd’hui ? Je n’en sais rien. Mais ce qui est certain, on le constate à la lecture de certains romans noirs c’est qu’ils dépendaient du Maire (soit nommés par lui, soit élus sur le même ticket que lui). Ce qui expliquerait qu’ils partagent son pouvoir. Il est vrai que la coopération de ces deux maîtres de la loi et de l’ordre pouvait être obtenue autrement, par la corruption (l’argent), et que la mainmise sur la ville pouvait être imposée grâce à l’emploi d’hommes de main. Lacombe rappelle que la prohibition date de 1920 et que c’est grâce à elle que la pègre a pu s’organiser et se développer (les bootleggers). Et que 1929 est la date du grand krach de Wallstreet. Rien d’étonnant donc à ce que le véritable roman noir américain allait éclore au début des années 30. Lacombe rappelle aussi que beaucoup d’écrivains classiques ont critiqué la société américaine et l’appétit pour l’argent et le pouvoir. Pas seulement ceux que l’on a appelés socialistes, Jack London et Upton Sinclair, mais aussi Sinclair Lewis, Theodore Dreiser, Sherwood Anderson, et plus tard Dos Passos. Lacombe semble attacher beaucoup d’importance au McTeague de Frank Norris qui date de 1899 et qui a servi de base au fameux film de von Stroheim de 1924, Greed (Les Rapaces) (Lotte Eisner raconte que c’est parce que les nombreuses bobines du film de Stroheim étaient marquées McTeague qu’elles ont été détruites – pour faire de la place – avant qu’un employé s’aperçoive qu’il s’agissait de Greed). Frank Norris qui est mort en 1902 déjà, est un écrivain que l’on cite souvent en même temps que London et Sinclair comme s’il était un écrivain socialiste (ce n’est pas l’avis de Walter Rideout qui a écrit une histoire de la littérature socialiste américaine, voir Walter B. Rideout : The radical novel in the United States, 1900-1954, édit. University Press, Cambridge, 1956). Peut-être est-ce à cause de son roman Octopus qui a paru en 1901 et qui décrivait le combat, sanglant, des fermiers contre la puissante société des Chemins de fer, la Southern Pacific Railroad, qui devait transporter leur blé jusqu’à la Côte. Mais McTeague n’est qu’une sombre histoire d’argent qui déchire trois personnages (des Rapaces, bien nommés) d’une manière dramatique et qui se termine tragiquement au Mexique dans une Vallée de la Mort. Il est possible que ce roman, naturaliste, influencé par Zola, ait pu influencer une partie de la littérature noire ultérieure, et surtout une partie du cinéma noir, mais certainement pas le roman noir type Hammett.
Ce qu’il faut aussi noter c’est que la plupart des écrivains classiques cités ne touchaient qu’une élite. Les auteurs de romans noirs, d’abord connus par les pulp magazines, ont tout de suite eu une répercussion bien plus importante. Et le premier d’entre eux, celui qui a laissé sa marque sur toute cette littérature et même sur le cinéma qui s’en est inspiré est Dashiell Hammett.

Dashiel Hammett

Hammett né en 1894, avait une bonne expérience du métier de détective puisqu’il a travaillé pour Pinkerton de 1915 à 1921 (avec une courte interruption pendant laquelle il s’était engagé dans l’armée). Il commence à écrire dès 1922 dans les magazines spécialisés et son premier roman, Moisson Rouge, commence à paraître dans la Revue Black Mask dès la fin de 1927. En fait ses quatre romans majeurs, The Red Harvest (Moisson rouge), The Dain Course (Sang maudit), The Maltese Falcon (Le Faucon de Malte) et The Glass Key (La Clé de verre) sont publiés par Knopf entre 1929 et 1931. Il s’engage politiquement dès 1937 pour soutenir les « Loyalistes » de la guerre civile espagnole, est proche du parti communiste américain (en 1940), Président de l’organisation de Droits civiques de New-York après la guerre et, bien sûr, convoqué par McCarthy en 1953. Quand celui-ci lui demande, raconte Francis Lacassin (dans Dashiell Hammett ou la Littérature à Haute Tension), « Si vous étiez à notre place, autoriseriez-vous vos livres dans les bibliothèques de nos centres culturels ? », Hammett lui répond : « A votre place, Sénateur, je n’autoriserais pas de bibliothèques du tout ! ». Cela donne une idée du bonhomme. Et il n’est donc pas étonnant qu’il soit le premier à décrire une ville pourrie et le premier à mettre en scène un privé qui nettoie la ville en dressant les gangs les uns contre les autres (dans Moisson rouge). Un autre privé, tout aussi courageux, Sam Spade, apparaît dans le Faucon de Malte. Mais pour moi le roman le plus intéressant reste La Clé de verre qui met en scène un caïd, un sénateur, sa fille et l’ami du caïd qui cherche à calmer le jeu et qui va d’ailleurs quitter la ville à la fin du roman. Si je dis que c’est le plus intéressant c’est qu’il montre de la manière la plus évidente l’importance de l’élection (et les méthodes utilisées pour la gagner : des hommes de main) pour obtenir et conserver le pouvoir sur la ville. « Dans ses romans réalistes », peut-on lire dans les Auteurs de la Série Noire, « Hammett dénonce une société corrompue, où les criminels copient la respectabilité des classes dominantes qui, elles-mêmes, utilisent des méthodes proches de celles des gangsters ». Hammett s’est arrêté d’écrire assez tôt. Il a encore publié un autre roman, The Thin Man (L’Introuvable) en 1934, un roman que je n’ai pas lu mais qui ne semble pas avoir la même qualité que les quatre autres. Et puis il travaille comme scénariste à Hollywood, y rencontre une femme, Lilian Hellman, avec laquelle il vit en couple assez libre et qu’il aide vraisemblablement à devenir elle-même une écrivaine reconnue. Il meurt en 1961, épuisé par la maladie et l’alcool.
Mais l’importance de Hammett ne se limite pas aux thèmes qui vont continuer à illustrer le roman noir américain. Sa véritable révolution c’est son style. Un style cru, réaliste (on rapporte simplement les faits), rapide, des dialogues incisifs où l’humour est souvent présent. Le roman noir, dit Francis Lacassin, « procède d’une vision cinématique qu’il est aisé de transposer en une vision cinématographique. Il n’est pas récit mais image en mouvement ». Il n’est donc pas étonnant que le cinéma s’en soit rapidement inspiré : Moisson Rouge dès 1930, Le Faucon de Malte dès 1931, et à nouveau en 1936, avant que John Huston en fasse un véritable chef d’œuvre du genre en 1941, avec Humphrey Bogart (en Sam Spade) et le rescapé du cinéma allemand, Peter Lorre, La Clé de verre dès 1935, et encore en 1942 (Stuart Heisler avec comme scénariste un autre auteur de la Série noire, Jonathan Latimer), sans compter de nombreuses reprises du Thin Man et de ses suites. Quant à Raymond Chandler que je considère comme le véritable successeur de Hammett, c’est la totalité de ses romans, moins un, qui sont repris au cinéma. Et lui-même a travaillé comme scénariste pour de nombreux films basés sur les œuvres d’autres auteurs de romans noirs, tels que Double Indemnity (Assurance sur la mort) (1941) de Billy Wilder, déjà cité, dont l’histoire est de James M. Cain, ou L’Inconnu du Nord-Express de Hitchcock (1955), basé sur un roman de Patricia Highsmith.

Influence réciproque entre roman noir et film noir

Dans Les Auteurs de la Série Noire, on trouve un texte de Jean-Paul Schweighaeuser et de Jean-Jacques Schleret, intitulé Roman et film noirs et qui met en lumière l’influence réciproque exercée par le roman noir sur le film et celle du film sur le roman. Car le cinéma a également incité les auteurs à créer leurs histoires en pensant à une adaptation ultérieure par Hollywood. Il y a même des scénarios qui ont été « novelisés ». Alain Lacombe, dans Le roman noir américain, traite le même thème dans un chapitre intitulé Le roman noir et le cinéma. Il pense que si le cinéma s’est tout de suite intéressé au roman noir, c’est qu’on venait de passer au parlant, et que des cinéastes de qualité voulaient éviter les « développements verbaux », ce qui correspondait bien à la structure du nouveau genre. Par ailleurs on voulait échapper au manichéisme idéalisant et naïf du western et qu’il semblait intéressant d’adopter un autre manichéisme moins voyant, plus moderne, celui du héros détective dans la cité. Mais Alain Lacombe va plus loin : il estime qu’à partir d’un certain moment, les auteurs de romans noirs ne pensant plus que cinéma, celui-ci a fini par tuer le roman. A partir du milieu des années 60, estime-t-il, « la persistance du mode filmique a absorbé les velléités de renouvellement de l’application écrite du genre ». Il croit que « le Roman noir est un genre en voie de disparition » (il écrit en 1975). Ce qui est manifestement faux. Il évolue simplement dans un sens plus violent, plus sadique, plus vicieux et plus dément. Je pense à James Ellroy et Ed McBain, bien sûr. Même si la critique sociale et politique n’est pas entièrement absente chez Ellroy. Si seulement le dixième de ce qu’il raconte dans sa Trilogie américaine (sur les Kennedy, sur le FBI, sur la CIA, sur la Mafia) est avéré, c’est horrible pour la démocratie américaine. Pour en revenir à l’influence réciproque roman-cinéma, il faut quand même signaler que des films de gangsters ont vu le jour très tôt aux Etats-Unis. Griffith avait déjà tourné un tel film dès 1912 : The Musketiers of Pig Alley. Et puis il y a Sternberg, je l’ai déjà dit, qui tourne trois films noirs, dont Underworld, entre 1927 et 1929. Or Underworld, pensent Schweighaeuser et Schleret, a influencé aussi bien D. H. Clarke qui a écrit Louis Beretti en 1929 et W. R. Burnett qui a écrit, la même année, Little Caesar. Les deux romans sont des biographies de gangsters. Et les deux ont été à nouveau transposés au cinéma dès 1930, le premier par John Ford, le deuxième par Mervin LeRoy (avec déjà Edward G. Robinson et Douglas Fairbanks Jr.). Et en 1932 paraît le premier Scarface, celui de Howard Hawks, auquel Burnett a coopéré en tant que scénariste. On voit que le Parrain a des origines qui remontent loin ! Mais est-ce que les biographies de gangsters font partie du cinéma noir ? Patrick Brion, dans Le Film noir, les en exclut. Je pense qu’il a tort. Par contre je trouve qu’il ne faudrait pas mélanger tous les genres dans le cinéma noir.

Les genres du film noir

Pour moi il y en a trois : le film noir proprement dit qui est spécifiquement américain et qui met en général en scène un héros, détective ou journaliste, et qui se heurte à un pouvoir en place, tel qu’il a été décrit plus haut et qui est foncièrement corrompu. Il s’agit ni plus ni moins que d’une critique sociale et politique. Et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas joindre les films de gangsters purs à ce premier genre de cinéma noir. Après tout ces films sont censés montrer le côté abject de leurs héros, même si, dans certains cas, on a plutôt l’impression qu’on les admire ou qu’on les plaint. Il y a ensuite le film noir que l’on pourrait appeler psychologique qui montre des crimes individuels et dont les motifs peuvent être très divers : rapacité, sexe, etc. Cette littérature et ce cinéma-là ne sont pas typiquement américains. Je pense par exemple aux deux films jumeaux de Fritz Lang, The Woman in the Window et Scarlet Street ou à cet autre film, de Fritz Lang également, Human Desire (1954), qui n’est qu’un remake de La Bête humaine de Renoir/Zola. Et puis il y a un troisième genre que j’appellerais le film noir à suspense qui est essentiellement celui de Hitchcock, un metteur en scène auquel Patrick Brion fait la part belle. Or pour moi Hitchcock, qui est d’ailleurs un Anglais immigré, ne fait que perpétuer la tradition du roman policier anglo-saxon à l’ancienne. Qu’est-ce que Fenêtre sur cour, par exemple, vient faire dans le cinéma noir américain ? Hitchcock a certainement de grandes qualités de mise en scène (découpage, position et mouvement de la caméra) qui ont fait l’admiration des gens de la Nouvelle Vague, mais personnellement il ne me touche guère. Et en tout cas ce n’est pas lui qui représente le cinéma noir américain à mes yeux.
Pour mieux montrer la différence entre ces trois genres, je vais faire une rapide analyse des principaux auteurs de romans noirs américains plus ou moins contemporains de Dashiell Hammett.

Les autres auteurs de romans noirs

Raymond Chandler. Il est né en 1888, mais il n’a écrit son premier roman, Le grand Sommeil, qu’en 1939, c. à d. bien après ceux de Hammett. Il a eu le temps d’étudier le style de son prédécesseur et de l’adapter. Il a eu une bio bizarre (il a vécu à Londres, a pris la nationalité anglaise et a même voulu entrer dans l’administration de Sa Majesté) mais c’était un homme d’une certaine culture (comme Hammett d’ailleurs) et il a réfléchi sur le nouveau genre de littérature policière qu’ils étaient en train de créer. Son personnage de héros détective, Philip Marlowe, est plus complexe, plus travaillé que le Sam Spade de Hammett. S’il aime l’alcool et les femmes, il a aussi du cœur et de la tendresse, il ne se vend pas, il a sa dignité de pauvre et sa conscience, il pratique l’insolence et un humour réjouissant. « Un anarchiste au cœur tendre », dit Francis Lacassin. C’est très juste. Et c’est pour cela qu’il me fait penser au privé de l’ancien anarchiste français, Léo Malet, Nestor Burma. Et que je ne puis être entièrement d’accord avec ceux qui ont écrit dans Les Auteurs de la Série noire, qu’il n’y avait chez Marlowe ni engagement politique, ni volonté de nettoyer une société en crise. Et puis ne révèle-t-il pas constamment que le monde dans lequel il évolue est corrompu ? C’est évident dans le roman que je viens de relire, Farewell, my lovely, ainsi que dans les autres romans de Chandler dont je me souviens. Les romans de Chandler et les films qu’on en a tirés rentrent bien dans le premier des genres que j’ai définis, celui que j’ai appelé le genre de la critique sociale et politique.
Comme déjà dit, on a tiré de nombreux films de ses romans. Citons-en quelques-uns : Farewell, my lovely a été transposé au cinéma en 1944 avec le titre de Murder, my sweet par Edward Dmytrik. En 1946 c’est Howard Hawks qui fait une adaptation géniale de son roman de 1939, Big Sleep, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall. A partir de ce moment-là Bogart est Marlowe et Marlowe est Bogart ! Pour toujours. En 1947 Robert Montgomery tourne Lady in the Lake (un roman de 1943) en jouant lui-même le rôle de Marlowe.
William R. Burnett. Né en 1899. Comme déjà dit c’est lui qui écrit l’une des premières biographies de gangsters (un caïd de Chicago), Little Caesar, en 1929, aussitôt transposée au cinéma. C’est Raoul Walsh qui réalise deux films à partir de son roman de 1940, High Sierra (encore une histoire de gangsters) : un film du même nom, High Sierra, en 1941 avec Humphrey Bogart et La Fille du Désert en 1949. Asphalt Jungle, roman de 1949, est adapté au moins quatre fois à l’écran, la plus belle version étant celle de John Huston de 1950. De toute façon, lit-on dans Les Auteurs de la Série noire, « 26 films sont tirés de son œuvre qui compte 35 livres (la moitié sont des romans noirs) et quelques nouvelles ». Il est vrai que ses romans noirs décrivent surtout des histoires de gangsters. Ce qui n’empêche que dans les deux romans qui suivent Asphalt Jungle et qui forment avec celui-ci une espèce de tryptique de la ville, Burnett étudie aussi les rapports entre la pègre et le pouvoir (Little Men, Big World, 1951) et ceux qui lient police et business (Vanity Row, 1952). Et dans le dernier roman, écrit à l’âge de 82 ans, Good-bye, Chicago, il étudie une fois de plus la vie des gangs de Chicago autour desquels, lit-on encore dans Les Auteurs de la Série noire, gravitent « policiers véreux, avocats corrompus et politiciens achetés ». Mesplède et Schleret semblent avoir une très haute opinion de Burnett écrivain. « Tous ses romans sont à lire, tellement sa technique d’écriture est parfaite et ses récits poignants ». Burnett a raconté, paraît-il, qu’il a forgé son style en lisant les écrivains français, Balzac (hum !), Mérimée, Flaubert et Maupassant. Et même cet écrivain sicilien méconnu que j’aime énormément, Giovanni Verga, si l’on en croit l’auteur de Polar. Je crois bien qu’il faudra que j’aille une fois de plus visiter la Librairie L’Amour du Noir, pour trouver quelques-unes de ses œuvres !
Horace McCoy. Né en 1897, cet ancien journaliste a créé un autre type de héros du roman noir, le journaliste justement. Mais sans grand succès semble-t-il. No Pockets in a shroud, écrit en 1937, et qui met en scène le journaliste révolté Mike Dolan, n’a été édité aux Etats-Unis que dix ans plus tard (et avec d’importantes modifications). C’est qu’on a trouvé qu’il était anti-américain ! Je viens de lire sa version française, bien écrite mais dont l’histoire paraît un peu tordue, trouvée elle aussi dans la collection de ma fille Francine (voir Horace McCoy : Un linceul n’a pas de poches, édit. Gallimard-Carré Noir, 1946) et je crois avoir trouvé la raison. Dolan dénonce pêle-mêle la liberté de la presse, la corruption dans le sport, des chirurgiens véreux (des avortements clandestins qui se terminent mal), la mainmise de puissants sur la ville (et il a des amis communistes qui disent que de toute façon c’est pareil dans toutes les villes américaines) et les agissements d’une espèce de Ku-Klux-Klan (les Croisés) qui pendent, émasculent ou enduisent de goudron et de plumes leurs victimes et qu’on dit être fascistes (le nom de Hitler est énoncé plusieurs fois). L’Amérique accepte la critique, mais il y a des limites ! Ce qui fait que ce roman n’a jamais été transposé au cinéma si ce n’est par notre inénarrable Jean-Pierre Mocky en 1974 ! Notons, à titre de curiosité, que c’est McCoy qui a écrit la fameuse histoire des couples qui crèvent la faim et qui dansent jusqu’à ce qu’ils s’écroulent : On achève bien les chevaux.
Don Tracy. Né en 1905. J’en ai déjà parlé à propos du film Criss-Cross de Robert Siodmak et du roman de Tracy sur le lynchage, How Sleeps the Beast, qui date de 1937. Le lynchage est un problème qui le travaille puisqu’il y avait déjà une telle scène, lit-on dans Les Auteurs de la Série noire, au début de son roman Flash qui date de 1934 et qu’il va y revenir dans un autre roman écrit beaucoup plus tard : The hated one (1963). Mais quand on lit Criss-Cross (Tous des Vendus !) et qu’on analyse le film qu’on en a tiré on voit bien que l’on est déjà dans un autre genre de littérature et de film noirs, le drame individuel, le drame psychologique. Même si dans Tous des Vendus ! interviennent de petits gangsters locaux, mais à la base il y a une histoire de femme !
Je serai plus rapide en ce qui concerne les autres auteurs majeurs de la période car ils procèdent tous de ce même genre psychologique (ou réaliste à la Zola).
James M. Cain, né en 1892, avait commencé par défendre les mineurs, puis avait travaillé pour le célèbre journaliste Lippmann, enfin comme scénariste comme beaucoup d’autres à Hollywood. Il est d’abord connu pour The Postman always rings twice (Le Facteur sonne toujours deux fois) qui date de 1934 et qui a été transposé plusieurs fois au cinéma, et la première fois en 1946 par Tay Garnett (avec Lana Turner). Autres romans dont j’ai déjà cité les adaptations cinématographiques : Double Indemnity (Assurance sur la Mort) - le roman date de 1936 et le film de Billy Wilder de 1944 – et Mildred Pierce – roman daté de 1941 et film de Curtiz de 1945. Mais tous ces romans ne sont rien d’autre que des mélodrames même si dans Double Indemnity apparaît un détective de compagnie d’assurances.
Jim Thompson, né en 1906, et qui a travaillé comme son père dans le pétrole, puis a gagné sa vie comme journaliste, met en scène des désaxés et des fous, jouets de la fatalité, comme on en verra encore beaucoup dans le roman noir américain contemporain. Dans « la géhenne thompsonienne », disent Mesplède et Schleret dans Les Auteurs de Série noire, « l’ignoble, l’odieux, l’infâme, le scatologique le plus abject et l’inceste s’y côtoient ». Pour la petite histoire notons que le fameux Coup de Torchon de Tavernier (avec Philippe Noiret, Isabelle Huppert, Stéphane Audran, Eddy Mitchell et Jean-Pierre Marielle) est une adaptation de son roman Pop 1280, qui date de 1964.
Et puis je ne peux m’empêcher de parler de David Goodis. Même s’il est déjà d’une autre génération, puisque né en 1917 (à Philadelphie) et qu’il ne semble pas avoir été tellement apprécié aux Etats-Unis. Encore que plusieurs de ses premiers romans ont été transposés au cinéma par Hollywood, tels que : Dark Passage (1946) par Delmer Davis en 1947 avec Humphrey Bogart et Nightfall (1947) par Jacques Tourneur en 1956. Personnellement j’ai toujours considéré Goodis comme quelqu’un qui était au-dessus du lot. J’ai au moins une demi-douzaine de ses romans dans ma bibliothèque au rayon policiers. Peut-être est-ce à cause des thèmes : la fatalité, le destin, ou à cause du cadre : souvent les docks de sa ville natale, Philadelphie. Ou simplement à cause de ce film que Beineix a tiré d’un de ses romans, véritable film-culte pour moi : La Lune dans le caniveau avec Gérard Depardieu en docker et le grand acteur Dominique Pinon. Il y a une époque à laquelle j’ai été complètement fasciné par le trio Beineix (Diva et La Lune), Besson (Subway), Carax (Mauvais Sang avec le merveilleux acteur-danseur Denis Lavant) et par ce nouveau style que ces films semblaient annoncer (oh, ces magnifiques couleurs kitsch !). Je le raconte au premier tome de mon Voyage à C comme Camus où j’exprime mon amour pour la Méditerranée et pour le « Méditerranéen » Camus en commençant à faire l’éloge du Grand Bleu. La Lune dans le Caniveau date de 1983. L’année d’après c’est Gilles Béhat qui a transposé un autre roman de Goodis (Street lost) au cinéma : Rue barbare. Très beau film également, injustement méconnu. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls films tournés en France inspirés de Goodis. Tirez sur le Pianiste (avec Aznavour) de Truffaut, La course du lièvre à travers les champs de René Clément, Les Passagers de la Nuit et Le Casse d’Henri Verneuil le sont également. Mesplède et Schleret ainsi que Denis Fernandez Recatala ne semblent guère partager mon enthousiasme pour Goodis. « Un univers pessimiste, désespéré et noir », disent les premiers. Et il raconte toujours un peu la même histoire. « Le héros est une épave », explique Recatala, « qui revient à sa déchéance après avoir entrevu, l’espace d’un instant, la possibilité de s’en sortir ». Mais il reconnaît que « ce qui importe c’est le ton, une espèce de désespoir indifférent qui est celui des personnages eux-mêmes ». François Guérif qui a, je crois, créé la collection Carré Noir, dit à propos de Rue Barbare que David Goodis est le plus émouvant des grands auteurs de romans noirs américains. Et celui qui présente Cassidy’s Girl dans la collection Poche de Fayard dit ceci : « Comme La Lune dans le caniveau, Cassidy’s girl nous plonge dans le monde des paumés peuplant les docks de Philadelphie mais, au-delà du sordide, la tendresse et la chaleur humaine transparaissent dans ce roman bouleversant, d’une beauté tragique ». Entièrement d’accord. Et c’est bien pour cela que j’aime cet auteur. Même si la phrase qui clôt sa bio en introduction à Cassidy’s girl va peut-être un peu trop loin : « Longtemps classé parmi les grands du polar, David Goodis est maintenant considéré comme l’un des maîtres de la littérature américaine ».


Mais il faut bien conclure. Le film noir américain a été influencé à la fois par le roman noir américain initié par Hammett et continué par quelques autres et par les cinéastes allemands et autrichiens qui en ont marqué le style, héritage du cinéma muet allemand dont les racines sont l’expressionnisme et le romantisme. Phénomène remarquable : le roman noir américain et le cinéma allemand de la République de Weimar sont nés tous les deux alors que sévissaient des crises économiques épouvantables aussi bien aux Etats-Unis qu’en Allemagne. Le roman noir américain, à ses débuts, impliquait une critique sociale et politique sévère (le pouvoir dans la ville pourrie). Cette critique a été transposée partiellement au cinéma jusqu’à ce que Hollywood privilégie le film noir psychologique et mélodramatique. Et se rappelle que le but premier du cinéma hollywoodien est de distraire. Plus tard encore les films de gangsters sont même devenus de véritables panégyriques (le Parrain et compagnie). Même si certains romans et films de gangsters expliquent comment certaines minorités (Italiens, Irlandais, juifs, Polonais) ont généré le phénomène : pour survivre tout simplement (quand on se sent hors la société on devient facilement hors la loi, on en voit la preuve encore tous les jours dans nos banlieues), pour combattre la violence du capital dans certains cas (le syndicat des camionneurs par exemple). Et puis, à la défense de Hollywood, il faut quand même avouer que les Américains acceptent plus facilement de se mettre en cause que nous. Et que d’autres films ont exposé d’autres maux : racisme par exemple, et bien sûr la guerre du Vietnam…