Tome 6 : I comme Indonésie. Carnet de voyage en Indonésie
(Souvenirs d'un voyage fait en 2013 avec quelques amis à travers Sumatra, Java et Bali)
Dès le départ nous avions l’intention de ne pas faire comme tout le monde, surtout les Français, de ne pas nous concentrer sur Bali mais de visiter l’Indonésie, pas toute entière, parce que c’est impossible en une seule fois, mais au moins Sumatra et Java, pour ses paysages, ses ethnies, ses monuments et sa culture qui est riche et, finalement, peu connue en France. En résumé, notre projet était donc de traverser pendant une semaine Sumatra avec arrêts au Lac Toba et en pays minangkabau, puis une semaine Java, 4 jours à Yogya et puis les deux volcans, enfin Ubud.
En conclusion on peut dire qu'on a bien choisi nos hôtels, qu'on a bien sûr fait quelques erreurs mais surtout qu'on n'avait pas du tout compris que les routes étaient à ce point mauvaises (incroyablement mauvaises, et, de temps en temps, travaux sans continuité ni logique) et encombrées. Les Guides n'en disent rien (Nelles, Petit Fûté et Lonely Planet. Et Michelin pour notre amie Nicole). Et puis je me suis basé sur ce que m’avait dit ma cousine Christine, la routarde : elle avait quitté Yogya en voiture à 7h30, visité le kraton de Solo et est arrivée à Bromo à 18h sans se presser (selon ses carnets de route). Alors, bien sûr un minibus (on était trois couples) n'a pas la même suspension, ni la même accélération qu'une voiture ou un 4x4, mais quand même. Aujourd'hui faire la route Yogya-Bromo en une journée est impensable.
A Sumatra, pareil. On a fait la route Medan - Toba un dimanche. Encombré aussi au point qu'à partir d'un certain moment, le chauffeur a compris qu'il devenait impossible d'attraper le dernier bac de 18 heures de Parapat. Alors il est descendu comme un chauffeur de Rallye à l'autre bac plus haut, à Tigaras (face à Siminando). Chance : arrivée à la dernière minute et pris la dernière place. Moi j'avais au départ souhaité faire étape (les autres débarquaient le matin même de Paris) à Brastagi au Bukit Kubu Hotel (vieux charme hollandais) mais l'agent local de Medan nous a dit que l'endroit était à fuir, condition très horrible, même pour s'arrêter à déjeuner ! J'ai quelques doutes. A Brastagi on a quand même visité le marché aux fruits (recommandé par les Guides, mais bon...). Et, à en juger d’après la photo du moins, nos femmes semblaient être encore un très bon état !
Annie, Nicole et Josée
A Tuk-tuk on avait réservé le Romlan Guesthouse où avait séjourné l'année précédente Johanna Lederer, la Présidente de Pasar Malam, Association culturelle franco-indonésienne. Eau limpide où ne règne que calme et volupté, avait-t-elle écrit. Il faut s’y baigner pour retrouver un état de félicité d’avant la naissance. Temps divin… les climatiseurs n’existent pas, rendus inutiles par la fraîcheur agréable des nuits. L’hébergement à Tuk Tuk est joli, simple, propre, pas cher. La chose à manger sans restriction est la carpe grillée, saupoudrée d’intir-intir (un poivre local d’une grande fragrance). Le guesthouse est tenu par des amis du poète batak Saut Situmorang (dont il faut se recommander, m'a-t-elle dit. Pasar Malam avait édité une traduction de ses poèmes), D. Manurung qui est Batak, et sa femme allemande Marion Knoop. Quand je lui ai écrit, à Marion, elle m'a répondu que je serai très bien reçu étant aussi highly recommended : visiblement elle s'est foutue de moi. Car quand nous sommes finalement arrivés complètement fourbus par le voyage à près de 8 heures du soir (et ceux qui étaient venus de Paris la nuit précédente évidemment encore plus fourbus que nous), la Marion ne s'est même pas dérangée pour nous saluer. Et ce sont ses petites Bataques qui nous ont aidés à monter les escaliers avec nos valises de 20 kilos ! Elle a quand même accepté un peu plus tard à nous remettre du savon, du PQ et faire préparer par ses servantes des soupes, au demeurant délicieuses, à ceux d'entre nous qui tenaient encore debout.
Les jours suivants elle ne s'est pas beaucoup plus intéressée à nous. Mais quand on l'interrogeait elle nous répondait longuement et aimablement et nous racontait sa vie. Elle avait marié son deuxième fils la semaine précédente, l’hôtel était plein pour le mariage et elle en était encore restée un peu vaseuse, nous a-t-elle dit. Plus tard elle nous a raconté qu’elle se posait des questions sur son avenir. Pour le moment son fils aîné est fonctionnaire à Medan et son deuxième fils qui vient de se marier est installé à Samosir (mais va-t-il y rester, se demande-t-elle). Elle a perdu deux de ses assistantes, l’une s’est mariée, l’autre a ouvert son propre restaurant. Maintenant elle doit tout réapprendre aux nouvelles. Mais ce sont des enfants, me dit-elle. Alors elle va peut-être continuer encore mais sans le restaurant.
Elle y est depuis 22 ans, en pays batak et a, visiblement, pris le pli local, même si elle est très critique sur le plan politique. Mais en tant qu'étrangère je me tais et n'en discute qu'avec mon mari, dit-elle. Or celui-ci est fonctionnaire ! Alors... (et maintenant il est retraité et ne veut plus rien faire, me dit-elle). Elle est choquée par l'ampleur de la concussion (60% des investissements, routiers entre autres, partent en pots de vin, ce qui explique peut-être l'état des routes : à Sumatra on appelle nos nids de poules des traces de mammouths !). Elle est choquée par le film fait par Suharto sur les évènements de la chute de Soekarno qui en fait une contre-vérité évidente (un complot communiste) et qu'on oblige encore aujourd'hui les écoles à le projeter chaque année aux enfants. Elle m'a aussi raconté une histoire d'une chirurgienne allemande qui a investi dans une clinique à Sumatra et à qui on refuse le droit de séjour et de travail (soit parce qu'elle s'est intéressée à la politique soit pour des questions de concurrence). Le procès est toujours en cours.
Comme je voyais dans sa bibliothèque une traduction en allemand du Quatuor de Buru de Pramoedya Ananta Toer elle m'a raconté que la traductrice allemande du Quatuor avait longuement séjourné chez elle, qu'elle avait vécu pendant un moment dans la maison de celui que ses amis appelaient Pram (pour bien comprendre certains détails de son texte pour la traduction), que Pram était alors toujours dans l'obligation de se signaler quotidiennement à la police mais étant devenu un personnage connu et ayant de l'argent, c'était le policier qui venait chez lui pour faire signer les documents et qu'il attendait sagement que Pram ait fini sa sieste ! J’ai longuement parlé de Pramoedya Ananta Toer et de son ouvrage majeur dans ce même tome 6 dans P comme Prampedya. Le Quatuor de Buru de Pramoedya Ananta Toer. Donc pas la peine d’y revenir ici.
Petite digression sur Vicky Baum
J’ai aussi fauché à Marion, avec son accord, le roman de Vicky Baum, Liebe und Tod in Bali (traduit en français sous le titre Sang et Volupté à Bali) et l'ai lu pendant mon voyage. Sa connaissance intime des moeurs et coutumes des paysans balinais m'a étonné. Vicky Baum était une écrivaine autrichienne juive partie vivre aux Etats-Unis (Hollywood a mis en scène l’un de ses romans sous le titre Grand Hôtel), qui a pris la nationalité américaine et a d’ailleurs écrit plus tard en anglais. Ce n’était pas de la grande littérature mais son roman sur Bali a eu un grand retentissement. Il évoque effectivement le grand massacre de 1906 qui a permis aux Hollandais de terminer leur mainmise sur l’île. Le prétexte : le naufrage d’un bateau appartenant à un Chinois. La Hollande a traité les Balinais de la côte de naufrageurs. Le Rajah de Badung (le Denpasar actuel), soutenu par ses voisins encore libres dont celui de Klungkung, a refusé de payer le moindre dédommagement et quand l’armée hollandaise a débarqué, le Rajah, ses femmes, ses enfants, ses nobles, prêtres, serviteurs et nombre de ses paysans se sont présentés aux Hollandais en habits blancs, ornés de tous leurs bijoux et portant leurs kriss sacrés. Et quand les Hollandais ont ouvert le feu ils se sont immolés eux-mêmes (on a parlé de près de 1000 personnes). Horreur des Hollandais et horreur internationale quand on a appris l’affaire. Ce qui n’a pas empêché les Hollandais, deux ans plus tard, en 1908, de bombarder le Palais de Klungkung, dont il ne reste que le fameux Hall de Justice que nous avons visité (il y a eu une immolation de veuve que les Hollandais avaient interdite). C’est en 1935 que Vicky Baum qui cherchait l’inspiration (ou par amour de la danse car elle était aussi danseuse) est venue visiter Bali, a rencontré Walter Spies qui lui a peut-être donné certaines indications sur les coutumes balinaises et a séjourné chez un Docteur de l’île, le Dr. Fabius qui lui a fait cadeau de ses études et d’un manuscrit. Et c’est ce manuscrit qui est à la base du roman de Vicky Baum. Tout s’explique (même si Vicky Baum ne mentionne ni le nom du Docteur Fabius ni l’histoire du manuscrit. Mais dans l’introduction au roman c’est un médecin qui parle, qui raconte comment il a sauvé la vie à un descendant du Rajah et annonce le récit qui va suivre). J'ai raconté cette histoire dans ce tome 6 de mon Voyage, sous le titre : B comme Bali. Bali, île bénie ou île salie ? et j'y ai représenté le monument qui commémore cette histoire à Denpassar, au Puputan Square (puputan signifiant combat jusqu’à la mort). Il s'agit bien du puputan de Badung de 1906.
Retour au Voyage
Si nous avons eu lieu de nous plaindre de la réception de la Marion, il reste que le Romlan Guesthouse est dans l’ensemble correct, même s’il n’y pas toujours de l'eau chaude (énormément aussi de coupures de courant sur Samosir), et qu’il est un des rares à être au ras de l'eau. Facile pour se baigner. L'eau est bonne malgré l'altitude. Et il y a même un quai où le bateau qui fait la traversée peut accéder.
On a bien sûr aussi visité l'île, les maisons Batak, mais hélas, comme les maisons Minangkabau, elles sont toutes couvertes aujourd'hui de ces horribles tôles ondulées rouillées. Honte à Sollac pour cette malheureuse invention ! Et on a aussi vu une danse. La danse de la mort du buffle.
Le buffle jouait très bien. Encore qu'il aurait pu montrer un peu plus d'angoisse. Mais il devait bien savoir que ce n'était que du bluff pour touristes et qu'il sauverait, une fois de plus, sa tête. C'était à Siminando. Il faut quand même dire qu'on y voit au moins une maison batak au toit de palmiers.
Et puis je crois que c'est à Ambarita qu'on a vu une ancienne table de pierre et un endroit où le condamné était coupé vivant en tranches et distribué aux Bataks présents (les plaideurs, si j’ai bien compris). J’espère qu’on y mettait quand même un peu de jus de citron comme ce que les grands-parents du Batak des environs du Lac Toba, rencontré par Gabrielle Wittkop, avaient encore vu quand ils étaient petits (« on faisait des entailles dans la peau, zak, zak, zak, on arrosait de jus de citron, et plus le type gueulait, plus on rigolait. Ensuite… on lui tranchait la tête… Le corps était consommé cru, assaisonné de poivre vert, chaque morceau, le meilleur étant les fesses, distribué selon sa qualité… »)
Et puis on a repris la route en direction de Bukittinggi. Heureusement que le correspondant local nous a prévenus qu'il était impossible de faire la route en une fois et nous a obligés à faire étape à mi-chemin. Johanna prétend qu'elle l'a fait. Je ne vois pas comment c'est possible. L'endroit où on a couché et l'hôtel en question qui existe pourtant déjà depuis une bonne dizaine d'années ne sont pas mentionnés par les Guides : Hôtel Torsibohi à Sipirok. Correct. Un peu froid. En hauteur. Repas correct aussi. Garçon efficace et parlant anglais. Ce qui n'était pas le cas des filles dans leurs voiles islamiques noirs. On est déjà en pays musulman (c'est la dernière tribu Batak, alors que les Bataks Karo et Toba sont chrétiens). J'aurais bien aimé visiter les temples assez mystérieux de Padang Lawas qui se trouvent dans le coin. On y fait encore pas mal de fouilles. Bouddhistes ? Tantrique, dit le Nelles. Même qu'on y commettait des sacrifices humains collectifs. « Le cannibalisme lui-même était sans doute chez les Bataks une réminiscence de l'influence indienne », ose écrire le Nelles. (Si Renuga, l’épouse Malaisienne-Indienne de mon ami Georges Voisset savait cela !). Enfin, de toute façon 2 heures et demie, nous dit le guide, pour y aller étant donné l'état des routes et des pistes. Il aurait fallu coucher une nuit de plus à Sipirok.
A Bukittinggi on a couché au Hills. Très beau, ancien palais, au centre, tout près de la tour-horloge. Mais les fenêtres à l'ancienne sont difficiles à insonoriser. Sur l'arrière où se trouvait d'abord notre chambre il y avait la musique tonitruante du bar jusqu'à minuit et sur l'avant les motos et le muezzin ! Le resto mauvais. Mais l'un des restos mentionnés par le Petit Fûté était mauvais aussi et avait changé d'adresse (Bedual Cafe), quant à l'autre, Warung Sari Rasa, on ne l'a jamais trouvé.
On a eu la chance d'assister à un spectacle de danse d'un petit groupe local minangkabau (Saayun Salangkah, j'ai acheté le DVD). Au départ il n'y avait pas assez de monde. Ils nous ont demandé de payer plus pour qu'ils puissent commencer. On a d’abord crié au chantage. Puis finalement tout s'est arrangé et c'est probablement un de nos meilleurs souvenirs du voyage. D'autant plus qu'on a également eu droit à un combat au kriss tout ce qu'il y a de plus acrobatique et follement rapide (le silek, je crois).
Dans la région Minangkabau on a également visité une Académie d'art à Padangpajang où on a pu assister à des répétitions de danses traditionnelles (c'est le Petit Fûté qui l'indiquait : l'ASKI, un Conservatoire, à la sortie nord de la ville). On aurait pu y rester longtemps... Et assister à d'autres répétitions de musique, leçons de dessin ou de sculpture, etc. Mais c'était vendredi et tout s'arrête à midi.
On a d'ailleurs fait tout un circuit en pays Minangkabau. Le Palais royal de Pagaruyung. Le Petit Fûté 2013-2014 prétend qu'il a brûlé, la reconstruction aussi et que ce n'est pas la peine de s'y arrêter. Faux : il est reconstruit à nouveau. L’ami Jérôme Bouchaud dont j’ai fait la connaissance à propos d’un concours de pantoun francophone qu’on a lancé avec mon ami Georges Voisset et qui, installé en Malaisie, a un site littéraire (www.lettresdemalaisie.com ) et a travaillé pour des Guides (surtout Olizane) trouve cela scandaleux car il avait signalé au Petit Fûté pour son édition 2013/14 que les travaux de rénovation étaient terminés. Et leur avait envoyé des photos qu’il m’envoie également. Certaines photos d’intérieur me font un peu regretter qu’on n’ait pas pu en visiter l’intérieur à cause d’un muezzin qui n’en finissait pas de réciter le coran…
On a aussi visité un village minangkabau bien conservé, je crois que c'était Rao Rao (mais il y en a plusieurs). On y a discuté avec les femmes (c'est le régime matrimonial). Et appris qu'il y a un héritage bas qui est distribué et un héritage haut qui est intouchable et reste pour toujours dans la famille. C'est une ethnie plus attachante que l'ethnie batak, en tout cas beaucoup plus attachée à ses traditions. Il y avait beaucoup de maisons traditionnelles dans ce village. Mais toujours ces malheureuses tôles rouillées…
Et puis on s’est arrêté pour déjeuner au milieu des rizières de la plaine minangkabau. Et on a découvert que certains membres de notre groupe avaient une passion immodérée pour la banane…
Quant à la descente aux 44 virages pour voir le lac de Maninjau (lac spectaculaire, a dit Johanna) on aurait pu s'en passer sans problème...
A Bukittinggi on a aussi visité le zoo malgré la mise en garde du Petit Fûté : de pauvres bêtes derrière des grillages rouillés (en fait, à partir du moment où tu es derrière un grillage tu t'en fous qu'il soit rouillé ou non). Mais j'avais envie de voir le fameux chevreuil-nain qu’on appelle pelandouk en malais ou kancil en javanais (à moins que ce ne soit l’inverse) pour de vrai. Cet animal qui joue le rôle de notre renard dans les Contes populaires, se jouant du Tigre ou même du Crocodile comme le fait notre animal rusé à nous du Loup Ysengrin dans notre Roman du Renart. En pure perte. Inconnu au bataillon. J'ai même l'impression que tout le monde l'a oublié. J'ai d’ailleurs écrit à mon ami Georges qui vient de publier une version française des Contes malais (G. Voisset : Contes sauvages, les très curieuses histoires de Kancil le petit chevrotain, édit. Les Perséides, 2012) qu'il ferait bien de retraduire ses Contes en malais. On y a quand même vu un tigre avec une patte coupée (piège de villageois) et deux jeunes tigres qui jouaient ensemble et n'avaient pas l'air d'être trop malheureux (comme les deux Frères du film d'Annaud). Et puis deux vieux Hommes-forêts pileux terriblement malheureux. L'un d'eux avait collé sa face au grillage et n'arrêtait pas de me fixer.
Toute la misère du Monde. Le désespoir total. J'en ai rêvé la nuit. Les Gorilles sont des brutes, les Chimpanzés n'arrêtent pas de faire les cons et les Bonobos ne pensent qu'au sexe. L'Homme est un condensé de ces trois grands singes. Mais l'Orang-Outan c'est différent. Il a la sagesse des meilleurs des Hommes. Il sait que rien n'a de sens. Qu'il attire le malheur. Que l'Homme est méchant de nature. Et s’il ne parle pas c’est, comme on dit là-bas, pour qu'on ne le fasse pas travailler...
Un mot à propos de l'islam. A Sumatra chacun affiche sa religion d'autant plus que le voisin en a une autre. Les églises pullulent en pays bataks Karo et Toba. Dès qu'on arrive dans la dernière ethnie batak juste avant l'entrée en pays minangkabau l'islam s'affiche violemment par ses écoles coraniques géantes (il y en a une juste avant d'arriver à un col avec des petites cases pour chaque fois quatre élèves) et les petites filles coiffées de foulards islamiques dans toutes les écoles. Même si elles ont l'air de rigoler quand même, voulant toujours se faire photographier avec nous (grande gentillesse des Indonésiens en général, en plus notre séjour a dû coïncider avec le début des vacances scolaires et cet enthousiasme à vouloir se faire photographier avec nous a continué au Prambaran et à Borobudur).
Il n'empêche que, pour nous, cela nous a paru terriblement choquant. Et absurde en plus : pourquoi cacher la vue des cheveux d'une fille impubère ? Au petit déjeuner au Hills à Bukuttinggi, à la table à côté de nous, une petite fille avait ce voile alors qu'elle n'avait pas quatre ans ! J'ai dû me retenir pour ne pas changer ostensiblement de place.
Et puis on est parti à Padang et pris l'avion pour Yogya.
A Yogya on a eu un hôtel charmant. Un petit bijou. Le Dusun Jogja Inn ou Village Inn. Propriétaire homo au goût exquis pour la décoration des chambres (demander de luxe !) situées autour de la piscine centrale très belle, floraison magnifique aussi. Des bassins avec poissons chinois. Serviteurs homos aussi bien sûr. Mais tout cela très in. On a eu une réception mondaine avec musique (mondiale bien sûr), buffet et danse (de chez nous) en l'honneur de la demi-sœur d'Obama (je crois que sa mère s'était remariée avec un Indonésien). On est restés 4 jours.
Et puis on a fait ce qu'on fait à Yogya : Kraton, anciens bains royaux, musée, ateliers de batiks, ateliers de poupées kulit, etc. C’est l’amie Nicole, grande spécialiste de l’artisanat, artisane elle-même, qui les a magnifiquement photographiés.
C’est le Petit Fûté qui conseillait d’aller voir le Batik Art Center où, disait-il, on pouvait voir les œuvres des élèves du Centre national du batik de l’Université de Yogyakarta, ainsi que celles, superbes, de leurs maîtres. On y est allé, mais ce sont des tableaux faits de batiks qu’on y a vus. C’est aussi à cause du Petit Fûté qu’on a visité le marché aux oiseaux. Mais alors là : totalement inutile.
Et puis j'ai réussi à entraîner tout le monde à une représentation de wayang kulit à côté du Musée. Magnifique. La tradition se perpétue, paraît-il. Et c'est bien ainsi. Tous les soirs. Trois dalangs se relayent. Le problème c'est que ceux qui ne connaissent pas peuvent s'y ennuyer très vite. On ne comprend pas les textes. Et l'introduction chantée est très longue. Alors quand j'ai vu Annie et Nicole fermer les yeux et commencer à s'endormir, j'ai eu peur et j'ai dit à la guide qu'on ne resterait qu'une heure. Et quand on est partis j'avais vraiment honte. La tête du dalang, chantant, récitant, changeant de voix suivant les personnages, manipulant ses poupées, complètement illuminée, me poursuit encore.
C'est probablement l'un de mes meilleurs souvenirs. D'ailleurs tout était magnifique, le gamelan, les deux chanteuses (je ne connaissais pas ce détail), le cadre. Et dire qu'il n'y avait presque personne dans la salle. Un tout petit nombre de touristes. Et peut-être quelques Indonésiens. Moi non plus, je n'y comprends pas grand-chose, m'a dit notre guide (elle était originaire de Sumatra Sud mais vit à Yogya depuis longtemps et parle couramment javanais). Il parle et chante en vieux javanais.
Petite digression sur le javanais
Sur le moment je pensais que notre Reny avait tort. Que ce n’est pas en vieux javanais que s’exprimait le dalang mais qu’il devait plutôt employer de temps en temps le javanais noble, celui que l’on utilise pour parler aux aristocrates et aux dieux. Car le javanais avait ceci de particulier que c’était une langue à plusieurs niveaux sociaux : essentiellement le ngoko des enfants et du peuple et le javanais supérieur, le krama dont il existait plusieurs niveaux permettant de marquer la déférence, sans compter le madya, un javanais intermédiaire. L’anthropologue Jeanne Cuisinier qui a enseigné à l’université de Yogyakarta donne les explications suivantes : « Le javanais dispose de vocabulaires différents suivant le rang des interlocuteurs, leurs âges et leurs rapports. Les Hollandais appelaient haut-javanais les vocabulaires de la politesse et du respect, kromo et kromo inggil, par opposition à celui de la familiarité, dit ngoko, exactement : vocabulaires du tutoiement, celui où l’on emploie le pronom kowe, « toi ». Tous les mots ne sont pas différents en kromo et en ngoko, mais un assez grand nombre, parmi lesquels des termes désignant des parties du corps, les actions les plus simples, comme marcher, parler, voir, etc., et jusqu’à des noms de fruits, de fleurs et de couleurs ». D’ailleurs j’ai cru comprendre que certains linguistes considèrent qu’il n’y a qu’une seule langue javanaise, le ngoko, et qu’on pourrait très bien considérer le kromo simplement comme un ensemble de vocabulaire supplémentaire (doublon). Même si ce vocabulaire supplémentaire est drôlement important : les linguistes ont pu dénombre 850 termes kromo, 260 termes kromo inggil (une forme d'hypercorrection propre aux palais) et 35 termes madya, nous dit Romain Bertrand, chercheur à la Fondation nationale des Sciences politiques (au CERI, Centre d’Etudes et de Recherches Internationales).
La hiérarchisation du javanais était une des raisons qui a provoqué ce fait absolument incroyable : le javanais, langue parlée par la très grande majorité des Indonésiens (Java, au moment de l’Indépendance était surpeuplée alors que Sumatra qui parlait le malais, était presque vide d’habitants !) a été sacrifié sur l’autel de l’unité de la Nation. C’est à partir des années 1920, nous dit Patrice van Eersel dans la préface du livre d’Elizabeth D. Inandiak, Les Chants de l’île à dormir debout – Le Livre de Centhini, (Les Editions du Relié, Gordes, 2002), que les nationalistes javanais décident, pour se rallier les autres ethnies de l’immense archipel, de saborder leur propre langue, au profit du malais, langue véhiculaire de tout l’archipel… Ceci étant, si le javanais a été sacrifié au nom de l’unité c’est que le malais qui a été instauré comme langue nationale sous le nom d’indonésien, avait un certain nombre d’avantages. Il était utilisé depuis fort longtemps comme une langue véhiculaire, une langue de commerce dans les ports de l’archipel, langue du Bazar, langue utilisée entre autres par les Chinois. En tout cas si le malais s’est finalement imposé comme langue nationale de l’Indonésie (la langue indonésienne, identique à quelques mots près à la langue malaise) c’est bien aux décisions prises au début du siècle par les élites autochtones (et particulièrement par le journaliste réel dont le héros du Quatuor de Buru est le portrait) qu’on le doit. Et les premiers qui en ont fait officiellement la langue nationale ce sont les Japonais juste avant qu’ils ne quittent les Indes néerlandaises et qu’ils font tout pour rendre la reprise de l’archipel plus difficile aux Alliés en en proclamant l’Indépendance (indépendance refusée bien sûr par les Hollandais et devenue effective que plusieurs années plus tard). Et on pourrait dire que le premier roman écrit en indonésien est justement Le Fugitif de Pramoedya.
Le javanais et le malais appartiennent tous les deux, comme la langue originalement parlée aux Philippines, le tagalog, à la famille malayo-polynésienne. Ce qui n’empêche qu’il n’y a pas intercompréhension entre les deux langues. Ce qui ne doit pas nous étonner : l’allemand et le français appartiennent tous les deux à la famille indo-européenne, ce qui n’empêche que Français et Allemands ne se comprennent guère entre eux (et pas seulement à cause de la langue d’ailleurs !).
Le javanais ancien, c’est encore une autre histoire. Le livre d’Elizabeth Inindiak, une Française établie en Indonésie et mariée à un Indonésien (Reny la connaît, m’a-t-elle dit), est une adaptation d’un livre écrit justement en vieux javanais. Transposition poétique et condensée d’une œuvre majeure de la culture javanaise : Le Livre de Centhini. Œuvre énorme, encyclopédique, épique, érotique, et bien autre chose encore, écrite par trois poètes de cour au début du XIXème siècle. Donc finalement pas très ancienne. Et pourtant Elizabeth a un mal fou à trouver quelqu’un qui puisse la lui traduire. Mystère. Mais je ne voudrais pas vous ennuyer avec tout ça. Je vous signale quand même qu’on y trouve un chapitre particulièrement érotique. Une partouze géante…
Petite digression sur le wayang kulit
Le théâtre d’ombres n’existe pas seulement en Indonésie. D’autres pays l’ont connu. Je ne sais plus dans quelle émission de télé on a vu qu’un tel théâtre existait toujours à Istanbul. Le karagöz, un théâtre essentiellement satirique pratiqué dans une petite salle cachée quelque part dans la ville. Et qui a dû essaimer à un moment donné en Grèce puisqu’on y a connu le karaghiosis. Il existait au Moyen-Orient, en Chine (où il est d’origine très ancienne), en Inde, en Thaïlande et au Cambodge (on a vu des poupées du théâtre d’ombres cambodgien au Musée du Masque et de la Poupée à Ubud : on en parlera encore). Mais c’est certainement en Indonésie (à Java comme à Bali) où il est encore le plus vivant. Les experts se battent pour savoir quelle est son origine. Chinoise, Indienne ou locale ? Le Mahâbhârata et le Ramayana sont les deux thèmes principaux de ce théâtre, mais les noms des dieux et des héros ont été complètement modifiés et il existe également, aussi bien à Java qu’à Bali, des thèmes dont l’origine est à chercher dans les légendes et mythes typiquement locaux (le plus connu est celui de Panji, un roi de l’est de Java, et sa quête amoureuse). On peut trouver sur le net la monographie sur le wayang kulit de Bali d’une membre de Pasar Malam, Emmanuelle Halkin, voir : Le Théâtre d'ombres à Bali.
On pense que le théâtre d’ombres était déjà présent sous sa forme présente au Xème siècle à Java et a été introduit à Bali au XIème siècle. Ce que je trouve extraordinaire c’est qu’il a réussi à se maintenir même dans les zones qui ont subi plus tard l’influence de l’islam (Java, Sumatra, Malaisie). Alors que tout dans ce théâtre devait choquer les cheikhs venus d’Arabie : thèmes de la mythologie hindoue, poupées représentant la figure humaine (interdite par le Coran), spectacle non-religieux. On a d’ailleurs prétendu que l’aspect si caricatural des poupées javanaises est dû à la volonté d’échapper à cette représentation de la figure humaine.
Si, comme nous l’a dit notre Reny, la jeunesse de Yogyakarta ne s’intéresse plus guère à ces vieilleries, il n’y a pas si longtemps les représentations étaient très fréquentes dans les villages, à l’occasion de toutes sortes de fêtes.
Robert van Gulik, ancien Ambassadeur de Hollande au Japon et en Chine, très grand érudit dans ces deux cultures (The Lore of the Luth, Erotic Colour Prints of the Ming Period, La vie sexuelle dans la Chine ancienne, etc.) et auteur des Romans policiers dont le héros est le juge Ti à l’époque Tang, a été élevé aux Indes néerlandaises (son père était un médecin militaire) et a été initié au wayang kulit par un Sergent indigène qui l’emmenait enfant encore aux représentations villageoises (comme il était précoce il a même réalisé une étude complète sur le wayang kulit, ses thèmes, ses poupées, ses représentations, à l’âge de 11 ans) a écrit plus tard, au cours des années trente des articles sur le théâtre d’ombres (Oostersche Schimmen) dans la Revue littéraire et culturelle Elsevier’s Maandschrift. Voici comment il se remémore ces séances villageoises dans les nuits indonésiennes :
Les plus beaux souvenirs sont ceux qui nous remémorent un moment où nous retrouvons quelque chose que nous pensions perdu. Ainsi une image est-elle restée gravée dans mon souvenir de ma jeunesse lorsque j'assistais à une représentation du théâtre d'ombres à Java.
On connaît les nuits de l’intérieur de nos Indes orientales : dans le soir qui tombe tôt, le vert profond de la nature sauvage a commencé à tourner au gris, et la masse lourde des montagnes entassées sur la ligne de l'horizon s'est enfoncée lentement dans une profonde obscurité. C’est dans un pasanggrahan perdu que se tient la représentation : en fin d'après-midi déjà, on avait commencé à entendre dans le lointain les sons du gamelan, qui coulent si doucement avec leur répétition monotone de motifs, avec leurs variations si légères qu’elles, ne troublent guère la tranquillité du paysage. C'était comme si on rendait audible le silence. On s'est laissé conduire par la musique, et on a assisté au spectacle. Dans la lueur oscillante, incertaine, de la lampe à huile en cuivre, on a vu les ombres évoluer sur la toile blanche ; on a vu les gestes élégants des longs bras stylisés, vu la force contenue dans un mouvement glissant. Et on a suivi les épisodes enchevêtrés, captivants, le jeu noble de la passion, de la souffrance et de l’expiation qu’ont interprété ces ombres. Alors on a entendu la voix du montreur qui progresse lentement dans un long récitatif sans fin : on a ressenti profondément, on a soudainement saisi, les forces inconnues qui mènent leur jeu éternel au-dessus de notre petite existence humaine de tous les jours.
Tout ceci se passait dans les années 20 (Robert van Gulik est né en 1910). Il faut croire qu’alors les paysans de l’intérieur de Java comprenaient parfaitement ce que déclamait et chantait le dalang…
Si certains d’entre vous s’intéressaient à Robert van Gulik, sa vie et son œuvre, ils pourraient se reporter au Tome 4 de ce Voyage autour de ma Bibliothèque, Note 16 (suite) : Robert van Gulik.
Retour au Voyage
Et puis nous avons, bien sûr, visité les grands monuments aux alentours de Yogyakarta, d’abord Prambanan, puis Borobudur.
Les temples de Prambanan sont hindouistes. D’où l’obligation de porter un sarong « pour honorer les dieux ». Ce qui n’a pas été du goût d’Annie. Mais pas moyen d’y échapper. Pas plus d’ailleurs qu’à Borobudur, pourtant bouddhiste ! La foule était dense, d’autant plus que c’était le début des vacances et qu’il y avait beaucoup d’écoliers, mais même si cela coinçait quelques fois dans les escaliers (il faudra que quelqu’un m’explique un jour pourquoi les marches sont toujours aussi hautes en Indonésie) cela restait toujours bon enfant. La majorité des visiteurs semblaient être des locaux. Plus quelques Européens (surtout Hollandais), Australiens et Asiatiques (surtout Japonais). Mais on n’a jamais vu ces hordes de Coréens qu’on a connus à Angkor Vat et qui passaient brutalement, et sans s’excuser, entre vous et les bas-reliefs que vous étiez en train d’admirer.
Et puis en soirée nous avons refait le chemin jusqu’aux temples de Prambanan. Pour voir un grand spectacle hollywoodien : Ramayana. Un ballet de 200 danseurs, dit le Petit Fûté. Vraiment magnifique. Sur une grande scène en plein air, entourée de gradins, et surtout avec, en arrière-plan, Prambanan illuminé ! Jean qui a réussi à filmer pratiquement la totalité du spectacle et s’est fait faucher son caméscope au moment d’entrer dans sa jeep à 3 heures du matin à Bromo en a pleuré longtemps.
On a beau être prévenu – et moi j’avais des documents sur Borobudur dans ma Bibliothèque : la grande étude de M. P.-Verneuil, intitulée Les Temples de la période classique indo-javanaise et parue chez G. Vanoest, Paris-Bruxelles, en 1927 et le très beau Borobudur, Golden Tales of the Buddhas, de John Miksic, édité chez Bamboo, Singapour et Periplus Editions, Londres, en 1990, et magnifiquement illustré par le photographe italien Marcello Tranchini – on est véritablement époustouflé, quand on voit Borobudur pour la première fois, par le gigantisme de ce monument. Quant aux bas-reliefs ils valent bien ceux d’Angkor Vat. Et on pourrait passer des heures (il y en a sur quatre niveaux) à les contempler.
Petite digression sur Borobudur
(et Prambanan et les bas-reliefs)
Quand je repense à Borobudur et que je regarde les photos qu’on a prises, j’éprouve un sentiment de frustration. Notre guide Reny a bien fait son travail, nous a expliqué le sens de ces séries de bas-reliefs qui se succédaient jusqu’au quatrième étage, les images simplistes du début, de ceux qui vivent dans les plaisirs matérialistes, de ceux qui font le bien, puis la vie imaginaire de Bouddha, et enfin ces autres images, plus sophistiquées, d’un enseignement supérieur, faites pour l’élite…, il n’empêche : on voudrait savoir plus, comprendre. Qui a créé tout cela, cette œuvre considérable, quel roi l’a décidée ? Et comment se fait-il que tout ait été oublié pendant si longtemps, comme Angkor Vat d’ailleurs ? Et puis d’abord comment l’Inde a-t-elle pu exercer une telle influence sur ce pays, son art, sa religion, ses mythes ?
Il y a un livre remarquable écrit par un ancien Directeur de l’Ecole Française d’Extrême-Orient, G. Coedès qui nous en parle : Les Etats hindouisés d’Indochine et d’Insulinde, publié chez l’éditeur E. de Boccard à Paris en 1948 (une première édition avait paru à Hanoi en 1944). Coedès étudie l’influence indienne en parallèle sur tous ces territoires qu’il appelle l’Inde extérieure et qui vont de la Birmanie au Nord jusqu’aux îles de Sumatra, Java et Bali au Sud en passant par l’Indochine : Fou-Nan, Cambodge et Champa. Et il souligne ce qui distingue la manière indienne de la façon dont se comporte la Chine et, plus tard, les nations européennes : l’infiltration indienne a toujours été pacifique. Elle était d’abord et avant tout commerciale. On établit des comptoirs, on crée des liens avec les chefferies existantes, on se marie avec les filles des chefs. Et puis, à un moment donné, pour des raisons historiques diverses, économiques, les relations s’intensifient (3ème et 4ème siècles) et l’installation se densifie. Des royaumes se créent. On ne sait pas toujours si les rois sont indiens ou des locaux indianisés. Qu'importe. De toute façon, tout le monde le dit : ceux qui peuplent ces régions, en particulier l’Insulinde, ne sont pas des primitifs. Ils ont déjà acquis un certain degré de civilisation sur le plan de l’organisation sociale, la navigation, le commerce, l’art. P.-Verneuil dit ceci : « C’est en raison même du degré de civilisation auquel Java s’était élevée, qu’elle était préparée, mieux que les autres îles de l’archipel, à subir profondément l’influence hindoue qui allait s’y développer, étant ainsi mieux à même d’en apprécier la supériorité incontestable ». Et cette influence indienne va être d’une importance extrême : religieux (hindouisme, bouddhisme plus égalitaire et plus prisé par les commerçants navigateurs), art, écriture (tous les alphabets de cette Inde extérieure ont pour origine l’alphabet devanagari), mythes et légendes, théâtre d’ombres, etc. Et les langues (c’est surtout le cas de la langue javanaise) conservent un vocabulaire important d’origine sanscrite.
Mais, dit Coedès, « les pays conquis militairement par la Chine ont dû adopter ou copier ses institutions, ses mœurs, ses religions, sa langue et son écriture. Au contraire, ceux que l’Inde a conquis pacifiquement, par le prestige de sa culture, ont conservé l’essentiel de leurs caractères individuels et les ont développés, chacun suivant son génie propre. Ce qui explique… dans une certaine mesure, l’originalité des civilisations khmère, chame, javanaise, malgré leur commune origine hindoue » (Coedès utilise systématiquement le mot hindou pour indien).
Qui ont été les architectes, les concepteurs, les tailleurs de pierres de Borobudur (et plus tard Prambanan) ? Tous Indiens, nous a dit Reny. Faux : les sculpteurs, nous disent aussi bien John Miksic que P.-Verneuil, étaient des locaux. Qui ont travaillé bien sûr en suivant un plan et des indications très précises d’érudits, de religieux, d’architectes et de contremaîtres venus d’Inde. L’œuvre était si considérable qu’elle n’aurait guère été réalisable autrement. Un million de pierres, chacune pesant à peu près 100 kilos ! On pense, dit l’historien Miksic, que la construction de Borobudur a dû commencer aux alentours de 760 et a dû se terminer vers 830 après J.-C. D’après ses calculs il aurait fallu au moins 700 hommes travaillant toute l’année pendant trente ans. Mais le rythme n’a certainement pas été le même pendant toute la durée de la construction. Il pense que ce sont les villages de la région qui ont fourni la main d’œuvre, les artisans et la nourriture.
Impossible sans un roi. Qui était-il ? Les données sont rares. Heureusement il y a des relations chinoises car les savants indiens n’ont jamais semblé s’intéresser beaucoup à cette « Inde extérieure ». Alors que, comme le dit Coedès, « on ne connaît pas dans l’Inde de monument ressemblant, même de loin, au Bayou d’Angkor Thom ou au Borobudur ». Et le grand Indianiste S. Levi, écrit dans l’Inde civilisatrice : « l’Inde n’a produit ses chefs-d’œuvre définitifs que sous l’action de l’étranger ou sur la terre étrangère… En architecture, c’est dans le lointain Cambodge et la lointaine Java qu’il faut chercher les deux merveilles issues du génie indien : Angkor et Boroboudour… ». Mais les Chinois suivaient tout cela de près. Ils ne voyaient certainement pas avec beaucoup de bienveillance la création de tous ces royaumes dans une région qui était aussi, et depuis fort longtemps, leur partenaire commercial à eux (souvenez-vous : c’est grâce aux Chroniqueurs chinois que l’on a eu de nombreux détails sur la vie au Fou-nan et à Angkor Vat). Coedès semble plutôt prudent dans ses affirmations à propos des royaumes concernés. P.-Verneuil est plus précis : vers le milieu du VIIIème siècle, dit-il, apparaît, à Sumatra, du côté de Palambang, un royaume du nom de Çrîvijaya, royaume qui s’étend progressivement jusqu’à ce que les princes de la dynastie régnante, les Çailendra (Miksic écrit : Sailendra), finissent par régner sur le centre de Java. En même temps il y a une évolution importante sur le plan religieux qui voit le triomphe du bouddhisme malayaniste. C’est pendant cette période que se situe la construction de Borobudur.
Et puis, vers 850, dit P.-Verneuil, les souverains de l’ancienne dynastie (laquelle ? les Sanjaya, dit Miksic) reviennent au pouvoir. Les Çailendra sont chassés, le siège du pouvoir va à Prambanan, l’hindouisme çivaïste revient, et c’est ainsi que se construit l’autre chef d’œuvre de Java, les temples de Prambanan, que domine celui de Çiva (qu’on écrirait aujourd’hui plutôt Shiva).
Et puis en 915 tous les signes de la vie cessent (la dernière inscription date de 928, dit Miksic). Subitement. Pourquoi ? On ne sait. (Eruption ? Epidémie ? Attaque meurtrière des Sailendra depuis Sumatra ?). Et le centre du pouvoir va vers l’Est, vers Surabaya. Et les magnifiques temples sont oubliés, repris par la jungle, recouverts de terre pour Borobudur (ce qui a probablement protégé les bas-reliefs). Comme Angkor Vat. Et comme au Cambodge ce sont les Européens, après une période d’incertitude et d’inconscience (en 1896 encore on autorise le Roi de Siam à emmener avec lui 8 chariots chargés de sculptures de Borobudur, 30 bas-reliefs, cinq Bouddhas, deux lions, une gargouille, un gardien, etc.), qui vont restaurer Borobudur au XXème siècle. Mais laissons cela. C’est sans importance. Ce qui m’intéresse, par contre, c’est qu’au cours de ces restaurations on ne découvre que progressivement ce que les bas-reliefs illustrent exactement. Plusieurs érudits (dont S. Levi) interviennent dans ce processus qui va de 1885 à 1938. Ils trouvent que tous sont basés sur des écrits saints bouddhistes. Le Jatakamala (histoires de la naissance de Bouddha), le Lalitavistara (Ouverture du Jeu : épisodes de la vie de Bouddha), le Gandavyuha (Le Monde vu comme une Bulle), le Mahakarmavibhangga (la grande classification des actions) et, finalement, le Bhadracari (qui illustre une séquence du Gandavyuha). Le Gandavyuha relate les pérégrinations d’un jeune homme, Sudhana, dans la recherche de la sagesse. Comme il se doit cette histoire est racontée dans les galeries supérieures de Borobudur alors que les histoires légendaires, les jatakas (naissance) et les avadanas (faits hroïques), sont représentées sur les galeries inférieures (et celles du Lalitavistara entre les deux). Qu’importe. Ce qui me frappe d’abord c’est une fois de plus l’incroyable imagination des conteurs indiens (que je connaissais déjà dans d’autres domaines : influence vraie ou fausse sur nos contes merveilleux, origine indienne de nos fables, origine indienne de certaines histoires des Mille et une Nuits, Océan des Rivières des Contes de Samodeva, etc.). Et ensuite, ce que disent tous les commentateurs : quel merveilleux livre d’images ! « Images dont certaines, dont beaucoup, sont des chefs-d’œuvre de composition et de sentiment », dit P.-Verneuil. « Ici, l’art hindou s’est humanisé », dit-il encore. C’est que l’apport local, l’influence javanaise, s’y fait sentir. Les faits familiers de la vie des hommes y sont mêlés harmonieusement à ceux de la vie des dieux. Les plantes, les arbres, les animaux, domestiques et sauvages, sont représentés par les sculpteurs avec un plaisir manifeste. Et aussi les maisons traditionnelles et même un bateau de haute mer avec son mât et ses voiles.
Nicole et moi nous en avons photographiés beaucoup de ces bas-reliefs. Mais sans en chercher particulièrement le sens. En nous laissant simplement guider par la beauté ou l’originalité. C’est ainsi que vous pourrez voir ce Hanoman dont un serpent semble vouloir saisir le zizi (il est d’ailleurs du Prambanan) et un Sage vénérable encadrer l’image charmante d’une jeune fille accroupie aux pieds d’un éléphant.
Ou cette scène de la vie de ceux qui sont encore prisonniers de leurs désirs où un homme semble vouloir prendre une femme par derrière (vous voyez, nous dit Reny, ils connaissaient déjà toutes les positions. C’est sûrement un de ses clients occidentaux qui a dû lui faire cette remarque !). Et, à côté l’image charmante d’une famille heureuse.
En feuilletant le livre de Miksic et de Tranchini on tombe encore sur beaucoup d’images charmantes. Comme cette image de Bodditsava assis sur son cheval lors de la fuite de son palais ou cette autre image où les sculpteurs de pierre javanais ont visiblement voulu se faire plaisir en ne représentant rien d’autre que des animaux !
Ou encore ce fameux panneau qui illustre une histoire des avadana (le retour du fidèle Ministre Hiru) et où l’on reconnaît à gauche une maison traditionnelle sur pilotis qui fait penser aux maisons de Sumatra (Minangkabau ou Batak) et à droite un navire avec plusieurs voiles et ce balancier qui caractérise encore aujourd’hui tous les bateaux austronésiens et polynésiens.
Et encore, pour finir, ce Roi en son palais et puis une figure que j’aime beaucoup, la nymphe Manohara qui s’élève de son château en volant. Les genoux pliés est la position conventionnelle pour évoquer un vol. La position gracieuse de ses bras et de ses mains indique la hâte de son envol car elle doit échapper à ses poursuivants qui veulent sa mort. L’amour du prince Sudhana pour Manohara, une kinnara, une nymphe, est la première histoire de ce Sudhana, le héros du Gandavyuha.
Les kinnaras sont des êtres célestes qui ont des ailes. La façon dont Manohara a été capturée (au moment où elle se baigne avec ses compagnes dans un étang couvert de lotus) me fait penser à une histoire féerique malaise qu’a traduite cet Allemand auquel je me suis beaucoup intéressé, commerçant hanséatique devenu érudit en littératures et cultures malaise et javanaise, Hans Overbeck. L’histoire s’appelle Histoire du Radja Muda et conte l’amour-passion du jeune Muda parti pour chercher femme quand il voit dans un étang se baigner la princesse-cygne Rakna Dewi et ses six sœurs, princesses d’un Empire céleste. Les princesses échangent de beaux pantouns entre elles et Muda également avec Rakna Dewi, mais je ne vais pas vous ennuyer avec cela. En tout cas Muda fauche les ailes de Rakna Dewi (les princesses, pour mieux se balancer sur leurs balançoires, ont enlevé leurs ailes), il l’épouse, ils ont beaucoup d’enfants et vivent heureux. Plus ou moins, car il n’est pas toujours facile de supporter des beaux-parents célestes et de vivre avec une femme qui vole..
En tout cas je note qu’une fois de plus les Indiens ont influencé les habitants de l’Insulinde car cette histoire me semble avoir une origine évidente dans celle de Sudhana et Manohara. Et je note encore autre chose car je pense à nos propres histoires de fées et de nixes (les Ondine et autres Mélusine) et je constate que l’homme aime bien rêver à une femme sortie d’un autre monde, d’un monde mystérieux, d’un monde féerique. Ou alors c’est parce que la femme reste éternellement un mystère pour l’homme qu’il invente de semblables contes. Mais là, je vois que je vous ennuie vraiment et je me hâte de revenir à la relation de notre voyage.
Retour au Voyage
Pour le trajet vers Bromo notre guide nous a finalement convaincus qu'il fallait prendre le train au moins jusqu'à Jombang : 4 heures. Comme on s'y est pris trop tard on n'a pu voyager qu’en deuxième classe mais cela n'était pas trop grave (ventilateurs au lieu d'air conditionné). Le chauffeur était parti dans la nuit et nous attendait à la gare. Il n'empêche que le trajet jusqu'au Bromo a encore pris près de 6 heures, la circulation dans la région de Surabaya étant d’une densité extrême et l’infrastructure routière manifestement insuffisante.
On est arrivés aux Bromo cottages juste au moment où le soleil allait se coucher. Vues superbes au cours de la montée. Grande diversité de la végétation, des arbres surtout. Et puis départ dans la nuit à 3 heures, les jeeps nous emmenant jusqu’à un point de vue où nous allions attendre le lever du soleil. Au milieu d’une foule immense. Mais cela ne fait rien. Cela valait la peine de voir se colorer le grand volcan du fond d’abord, qui éjectait un petit nuage de fumées vite colorée en rose, puis progressivement les autres montagnes aux allures de gâteaux cannelés et la grande plaine de sable qui prenait une couleur orange.
Et puis on a repris nos jeeps pour descendre jusqu’à la plaine de sable que nous avons traversée avant d’effectuer une légère grimpette (les fameuses 300 marches) pour atteindre le Bromo lui-même et observer les fumées qu’il a bien voulu nous envoyer.
Et puis, après le petit déjeuner à l’hôtel, on est reparti pour le Ketapang Indah à Ketapang. Hôtel très bien sauf qu'il est en bord de mer, loin du Kawa Ijen. Et surtout on a eu la malchance qu'il avait été choisi par un groupe de fonctionnaires pour faire une formation de gestion. Et c'était pire qu'en Amérique. Musique tonitruante, karaoké, gymnastique collective, toujours en musique, jeux complètement idiots, enfantins, entre différentes équipes (pour souder ensemble, en faire des robots) : horrible. Puis lever à 3 heures encore, jeeps dont les suspensions étaient cassées sur une route horriblement défoncée, puis une montée nettement plus dure, très pentue, de 2 à 2h30 jusqu'à atteindre le fameux lac vert sulfureux.
Et pendant toute la montée on croisait les porteurs qui descendaient deux paniers sur un balancier contenant 60 à 80 kilos de soufre (on les a vus peser à mi-chemin. L'un d'eux avait même un poids supérieur à 90 kilos). C'est qu'ils sont payés au kilo. Moins de 1000 Roupies par kilo (moins de 0.07 Euros). Mais, attention, la Compagnie va faire un effort important pour eux. Bientôt ils auront des uniformes. Ils sont très contents. Quant à Annie elle a mis son foulard islamique.
On est restés à l'hôtel la nuit d'après. A glander. La plage impossible. Noire. La piscine était sympa. Mais il pleuvait à verse.
Le lendemain on prenait le bac pour Bali.
En quittant Java on pouvait se poser la question si on n’a pas fait quelques erreurs. Je crois qu’il est évident aujourd’hui qu’on aurait mieux fait de prendre l’avion de Yogyakarta jusqu’à Surabaya et de partir immédiatement de l’aéroport de Surabaya pour Bromo. Il est possible, aussi, qu'on ait fait une erreur avec l'hôtel. Ce n’était visiblement pas un hôtel de montagnards. Il y avait un autre hôtel possible dans les rizières (Ijen Resort and Villas). Mais d'après Nicole il était encore plus loin et il aurait fallu partir à 2 heures du matin. Pas humain !
A Bali on a d'abord fait escale sur la côte Nord à Amed. A cause de ma cousine, la routarde : tu verras, beaucoup moins touristique, bancs de corail. Oui, mais sable noir et difficile d'atteindre les bancs de corail. On n'avait plus de véhicule. Celui de Java est parti et celui de Bali n'est arrivé que le lendemain midi. Mais les petits bungalows sur colline descendant vers la mer avec piscine débordante de Wawa Wewe II étaient sympas. Le barracuda grillé servi le soir de l'arrivée nous changeait de la cuisine indonésienne ordinaire et le lendemain matin, très tôt, on a pu voir les bateaux des pêcheurs rentrer au port. Les trous dans les voiles ne semblaient guère les gêner.
C’est à Amed que notre guide de Java nous a quittés. Reny Puji Astuti (voir sa photo à Prambanan) a été une guide parfaite, dynamique, toujours prête à rigoler, maîtrisant très bien la langue française (bravo l’Université de Yogyakarta) et connaissant très bien son métier. Issouan, notre guide de Sumatra était d’ailleurs également très compétent et tout-à-fait sympathique (sur la photo il nous fait déguster le fameux durian au goût si divin et à l’odeur si puante que les hôtels interdisent qu’on l’introduise dans les chambres : un beau mythe, tout ça). Lui était un Barak Karo, fils d’un prêtre évangélique et d’une musulmane ! Et nos chauffeurs, eux aussi, étaient tous parfaits.
Et puis on est partis le lendemain au milieu de l’après-midi. La route était belle, traversant la montagne. Une vallée avec des rizières magnifiques (mais il pleuvait à verse). Et on a encore eu le temps de visiter le fameux pavillon entouré d’eau de Klungkung avec ses plafonds peints Et aussi le Kerta Gosa, l’ancien Palais de Justice et les enfers ensoleillés des fresques, comme le raconte Gabrielle Wittkop, où des diables rigolards effectuent leur tâche de si bon coeur, si l'on peut dire.
A Ubud on avait suivi le conseil de mon ami Georges Voisset : le Puri Saraswati Bungalows. J'avais hésité car sur le net il y avait quelques remarques pas tellement sympas. Mais Georges a insisté. Et il a bien fait. Quelle merveille! Ce jardin sur l'emplacement du vieux palais, le calme (alors qu'on est au beau milieu de l'Ubud actif), la sérénité, le temple à côté, les danses tous les soirs (au temple). Bungalows avec veilles portes sculptées, au milieu d'un jardin merveilleusement arboré et fleuri, de nombreuses colonnes et restes de portails sculptés. Une piscine aussi, très agréable (et comme toujours un petit abri pour la méditation, comme à Yogya Village Inn d'ailleurs). Je ne le remercierai jamais assez de nous avoir indiqué ce petit bijou.
Voir aussi nos gardiens ci-dessous et la très belle fenêtre sculptée photographiée par Nicole :
Et puis le jardin fleuri lui aussi magnifiquement photographié par Nicole.
Et voici le vieux Temple, adjacent à notre jardin, avec son grand plan d’eau de lotus qui a donné son nom au fameux Café Lotus qu’il adosse :
Il n'y avait qu'un petit hic. Nos amis ont été réveillés à pas d'heure par les coqs de derrière l'enceinte. Ils n'ont pas osé passer le mur pour leur tordre le cou. Les coqs de combat à Bali c'est dangereux. Au fait on dirait que chaque paysan balinais en possède au moins une demi-douzaine Ils sont sagement rangés dans leurs cages-corbeilles devant la porte des maisons. Voici ceux d’Amed (l’homme soigne un coq blessé et la poule, elle, est amoureuse du champion) :
Finalement on n'a eu que deux jours et demi à Ubud car on a encore perdu une journée à aller au lac Braton (une excursion probablement inutile mais qui nous a au moins permis de voir les fameuses rizières classées de Jatiluwih).
On a consacré le gros de notre temps à la peinture même si un Américain rencontré au Fly Café (un endroit trouvé par hasard mais qui paraît très in, très routard, très Wifi libre aussi et musique live), nous dit que Ubud était surtout la capitale du « bad art ». Et il a probablement raison. Il doit bien y avoir un millier de galeries aujourd'hui. Chaque peintre ouvre sa propre galerie. Certaines ne sont pas inintéressantes. Surtout quand on peut discuter avec l'artiste lui-même. C'est ainsi qu'on a rencontré, en marchant sur un sentier sur un versant de la grande gorge de la rivière Campuan qui passe à Ubud et au milieu des rizières (de très jolies rizières d’ailleurs, voir ci-dessous) un peintre qui avait des amis à Angoulême (dans la BD) et qui peignait sur des œufs en bois (c'est tout un art!).
Mais on a surtout fait les musées. Le Neka, le plus intéressant à mon avis. L’Arma aussi. Et découvert Walter Spies et le Hollandais Arie Smit qui vivait encore lors de notre passage alors qu'il est né en 1916. Mais j’ai raconté tout ceci, parlé longuement de leurs peintures, des peintres locaux aussi, de l’extraordinaire Musée de masques et poupées wayang avec ses fantastiques collections rassemblées par un riche Chinois-Indonésien, du Gamesh Bookshop et de sa très cultivée vendeuse et des écrivains qu’elle m’a recommandés, dans la note qui se trouve également dans ce tome 6 de mon Voyage et qui est intitulée B comme Bali. Île bénie ou île salie ?
Le fondateur (et propriétaire ?) de l'Arma, Agung Rai, doit être quelqu’un d’assez extraordinaire, lui aussi. Il paraît qu'enfant il mourait de faim. Et le voilà à la tête du Musée, de ses dépendances (hôtel, plusieurs restaurants, école de danse) et d'une immense galerie (Agung Rai Gallery) où on a pu visiter 5, 6 ou plus de bâtiments débordant de tableaux et dont certains valent certainement très chers (et ne sont d'ailleurs pas à vendre). Et, pendant que nous visitions le Musée il y avait cours à l’Ecole de danse. De toutes jeunes filles continuant la tradition. Nicole les a photographiées.
Que vous dire encore ? Vous avez probablement noté combien il m’est difficile de conclure cette relation. Quelle peine j’ai à la quitter. Quitter toutes ces images, ces innombrables photos, ces lectures, ces souvenirs. J’aurais pu en parler encore longtemps. Il y a bien d’autres aventures que nous avons vécues. Tiens, celle-là par exemple : je vais encore la raconter car elle montre aussi l’incroyable esprit commercial que les Balinais, certains Balinais, ont acquis sous l’influence de ce tourisme intense. Au retour du lac Braton, notre chauffeur de taxi nous arrête à une plantation de café. Ici on fait du café lowak, nous dit-il. Nous avions déjà entendu parler de ce café à Java. Café fait de graines avalées par des bêtes puantes qui les adorent et recueillies dans leurs crottes. J’avais déjà demandé à l’Américain rencontré au Fly-Café : c’est quoi ces bêtes puantes, cela ressemble à vos skunks ? Non, me dit-il. Cela pue beaucoup moins. En français, vous les appelez des civettes. Bon, alors on nous fait passer par la plantation, nous invite à une terrasse de dégustation, nous sert un tas de variantes de café et de thé (dont le délicieux thé au gingembre). Mais, moi, je pousse discrètement ma tasse de café lowak vers mon voisin. J’aime trop le café pour aller boire un café qui sent la merde de civette (voyez l’horrible bête ci-dessous). Même s’il est affreusement cher, très in, et vendu à la Grande Epicerie à Paris.
Et, voyez leur organisation : ils avaient même des parapluies pour nous abriter de la pluie en nous rendant depuis leur terrasse de « dégustation » à leur magasin de vente !
Mais malgré tout cet environnement commercial qui n’est d’ailleurs pas leur faute mais la faute à nous autres, touristes, on a eu beaucoup de peine à se détacher d’Ubud. D’abord notre séjour était vraiment trop court. Et puis le charme a dû opérer. Je n’irais pas jusqu’à partager l’enthousiasme de mon ami Georges Voisset pour qui Ubud est un endroit extraordinaire, et le Puri Saraswati un petit lieu où de toute évidence, chaque matin, balayeurs et petites fleuristes d'oreilles de dieux du temple croient encore sans réserve à ce qu'ils font. Et qui reste persuadé qu’à Bali on rencontre encore plus de beauté, plus de foi, plus de simplicité, plus d'amour, que n'importe où ailleurs... Moi je me tiendrais plutôt à ce que me dit ma cousine Christine : à Ubud tu n’as rien d’autre à faire qu’à louer une moto et sillonner les rizières. Cela tombe bien, je viens de vérifier nos permis de conduire luxembourgeois, à Annie et moi : on a droit aux motos, sans restrictions de puissance. Alors chiche. La prochaine fois qu’on va à Ubud (il faudra bien qu’on retourne en Indonésie, pour voir les Célèbes et Florès et, pourquoi pas, Kalimantan), on va louer des motos. Les plus grosses possibles…
(juillet 2013)